Floc'h, prénom Jean-Claude, mais ce petit nom est inutile

[Cabarezalonzo]

Ne serait-il pas temps, alors qu'il vient d'être mis à l'honneur pour les Rencontres Chaland qui viennent de se dérouler comme chaque années à Nérac pour ce premier week-end d'octobre, d'ouvrir enfin un topic consacré à Floc'h ?
Je considère personnellement son absence dans la partie du forum dédiée à la BD franco-belge comme une anomalie et même une injustice.

Lorsque Le Rendez-vous de Sevenoaks (premier titre de ce qui deviendra ultérieurement la série "Albany et Sturgess" mais à ce moment le lecteur faisait connaissance avec le personnage principal du récit, un certain Georges Croft et il n'était pas question de série) est apparu dans les pages du nouveau mensuel Pilote en 1977, cette arrivée aussi soudaine qu'inattendue, dans un périodique de BD désormais destiné aux adultes, d'une ligne claire qui lorgnait du côté de Jacobs, eut un énorme impact tant sur le lectorat que dans le milieu des auteurs de BD. Ce n'était pas pour autant la première surprise. Quelques semaines auparavant, Hugo Pratt (une signature inhabituelle au sommaire de ce mensuel, à la différence de celles d'Alexis, Vidal, Clavé, Fred, Caza, F'murrr, Bilal, Druillet, Franc, Lauzier, Pétillon, Klotz, etc...) avait débarqué avec son one-shot "La Macumba du Gringo", ce qui n'était pas passé inaperçu dans le landernau.

Floc'h, à cette époque, était un nom qui ne disait rien à la plupart des lecteurs. Quant à François Rivière, le scénariste, son nom évoquait surtout, pour ceux d'entre nous qui plongeaient leur nez dans la revue critique du jeune éditeur Jacques Glénat "Les Cahiers de la BD" (un fanzine devenu pro), un historien et critique de BD, un chroniqueur pointu notamment sur le travail des auteurs proches de Hergé. On pouvait apprendre aussi que François Rivière publiait ici et là des études érudites consacrées aux reines anglaises du crime et qu'il avait une dilection toute particulière pour Agatha Christie. On ignorait, pour la plupart d'entre nous, qu'il se lançait en parallèle dans l'écriture de scénarios et de romans, production venant s'ajouter à son travail analytique.

Pour en revenir au dessinateur Floc'h, ActuaBD en parle depuis quelques jours à l'occasion des Rencontres Chaland, cuvée 2020.
Passons donc la parole aux spécialistes.
Et à Didier Pasamonik qui vient de mettre en ligne quelques articles consacrés à Floc'h ou à ces Rencontres de Nérac.

Du plus ancien au plus récent

https://www.actuabd.com/Les-Rencontres- ... -d-honneur

https://www.actuabd.com/Rencontres-Chal ... en-majeste

https://www.actuabd.com/Rencontres-Chal ... gne-claire

https://www.actuabd.com/Rencontres-Chal ... d-pluvieux

[Cabarezalonzo]

Tout a commencé en 1977, donc, avec :

[Yog-volo]

j'y étais
je me souviens parfaitement de cette sortie en 77 et on en avait même parlé sur France Culture (nuits magnétiques de Laure Adler je crois)
Sinon j'ai vu l'expo à Nérac et j'ai été impressionné par l'immensité des planches dessinées. Les planches du "sevenoaks" sont très grandes, du format "raisin" je pense.
Impressionné aussi par la manière qu'a Floc'h, dans ses dessins plus récents, de "sculpter" son trait afin qu'il soit le plus parfait possible.
Quasiment chaque trait est redécoupé au "blanco"... impressionnant

[Cabarezalonzo]

Eh bien, merci Yog-volo pour ce témoignage.
Tu n'aurais pas une petite dédicace à nous faire admirer ?
Ou quelques photos de l'expo à poster ?

[Yog-volo]

ah non, et tu me fais regretter de pas avoir fait plus de photos
juste 2 ou 3 pas très exploitables

IMG_20201003_165830[1].jpg

IMG_20201003_165849[1].jpg

et pour les dédicaces, je ne crois pas qu'il en faisait. Je n'ai attendu que pour la belle Laureline Mattiussi

[Cabarezalonzo]

Merci pour les photos.
Ne t'en fais pas pour les reflets. J'ai également pris quelques photos inexploitables à l'expo Chaland de Saint-Etienne. Mais la plupart des originaux, pour ne pas dire tous, avait déjà été exposé ici ou là.
Tandis que Floc'h, c'est une autre paire de manches.

Je n'aurais pas cru que Floc'h possédait encore ses originaux des couvertures de Life, visibles tout au fond.
A gauche sur la photo du bas, le designer Raymond Lœwy [*], et juste à côté (en partie masqué par le visiteur vu de dos), le réalisateur de Psychose.


J'ai toujours eu une certaine tendresse pour ces petits livres objets édités par les rhodaniennes éditions Carton dont voici les couvertures :

1. eo de 1985


J'en retranscris ici l'achevé d'imprimer. Admirez-en la tournure !... "Achevé d'imprimer le 20 septembre 1985 sur les presses de Monsieur Signoret imprimeur à Lyon".

1a. réédition de 1986



2. eo de 1986

[toine74]

Petit souvenir avec son complice Rivière


(purée il y a déjà 27 ans...)

[Cabarezalonzo]

Ah oui, avec le célèbre "La maison biscornue" en édition reliée et VO !... Sacré veinard.

[Edhral]

J'ai acheté ce gros pavé à sa sortie, et ça a été un plaisir rare de découverte, pour la fan que je suis des policiers de vieille dame anglaise - l'hommage est si beau.

[Cabarezalonzo]

Je suppose que tu as dû particulièrement apprécier "A la recherche de Sir Malcolm" ou bien fais fausse route ?

En tout cas, ce recueil (le plus complet semble-t-il ?) ou les précédentes versions d'intégrale réunissant au moins les trois ou les quatre volumes (!) de la trilogie anglaise (Albany et Sturgess), est l'album idéal pour découvrir Floc'h.

[Cabarezalonzo]

Un(e) ancien membre actif du forum me fait remarquer, hors caméra et dans la coulisse du plateau, que lorsque j'évoque l'apparition remarquée du Rendez-vous de Sevenoaks dans le jeune mensuel Pilote après l'arrivée également inattendue et inopinée de la Macumba du gringo, inédit récent d'Hugo Pratt (auteur passé de Pif/Vaillant chez Casterman et dont Glénat et les Humanos purent récupérer quelques miettes, c'est-à-dire surtout des vieilleries), j'ai omis de rappeler également un autre monstre sacré en la personne de Robert Crumb venu renouveler et/ou enrichir ce qui subsistait de la vieille écurie encore fringante de Dargaud (Alexis, Bilal, Bretécher, Caza, Clavé, Druillet, F'murr, Fred, Klotz, Lauzier, Solé, Tabary, Vidal et même les désormais très discrets Uderzo et Goscinny jusqu'au décès de ce dernier).



Donc, pour résumer et remettre un peu d'ordre dans cette apparition d'auteurs réputés ou non venus d'ailleurs, dans un magazine qui sortait de la tourmente (après mai 1968, le passage de l'hebdo au mensuel ne s'est pas fait sans dommages) nous avons eu successivement :

A/ Des étrangers à la notoriété et célébrité croissantes, déjà reconnus par la profession et le lectorat

Robert Crumb


Hugo Pratt



B/ Et de valeureux Français quasiment inconnus mais so british voire so belgian, pratiquant une BD qui, bien que pour adulte sur le fond, eût pu trouver facilement sa place dans les pages du jeune journal TIntin de l'immédiat après-guerre.

Floc'h et Rivière

On observera que la nouvelle histoire concoctée par Floc'h et Rivière figure au sommaire du mensuel, tout comme La Macumba du gringo (one shot) de Pratt ou La Mémémoire (aventure de Philémon) de Fred, dans la catégorie "Romans". On ne fait plus référence aux "histoires à suivre" par opposition aux "récits complets", le magazine étant devenu adulte. Allons donc !...


Voilà, fin de l'introduction (logorrhée diront certains). Le rappel du contexte dans lequel de nombreux lecteurs ont fait connaissance avec Floc'h et Rivière en 1977 est désormais clos. L'entrée en scène ayant eu lieu, on peut tourner la page.

Après ce que d'aucuns considèreront comme un indigeste hors-sujet (je suis désolé pour eux... ), on pourra désormais consacrer nos échanges et réflexions au dessinateur qui donne son nom à l'intitulé du topic.

[Jopo de Pojo]

Si je puis me permettre, cher Cabarez, l'incursion de Crumb dans Pilote, avec une histoire dispensable, n'est pas très représentative. À l'époque, Crumb est beaucoup plus à sa place dans l'Echo des Savanes, avec des récits plus emblématiques.

Pour en revenir à Floc'h, ce qui est toujours un peu compliqué, c'est son rapport contrarié à la bande dessinée, qui l'a rendu célèbre, mais qu'il snobe un peu. Pourtant, même s'il est pris en tenaille entre Swarte et Chaland (qu'il a pas mal influencé pour F 52 soit dit en passant) , plus subversifs, ses quatre ou cinq premiers albums sont des régals. Graphiquement, Sevenoaks est encore un poil hésitant, mais à partir du Dossier Harding, tout est excellent. Les planches originales de Blitz, de grand format, sont des merveilles. Et les scénarios so british de Riviere aussi.

Quant à sa ligne claire, si Swarte est plus inspiré de l'art du mouvement de Hergé, Floc'h, lui, est plus dans la tradition un peu hiératique de Jacobs. Ce qui explique peut-être qu'il excelle dans les grandes images et les sérigraphies.

[Cabarezalonzo]

En effet, Jopo.
Pour Crumb, Pilote récupérait les miettes (Les bandes les plus représentatives avaient été ou étaient publiées dans le magazine Actuel et dans l'Echo). On ne peut pas gagner à tous les coups, évidemment. Mais pour beaucoup de lecteurs, néanmoins, Big Yum Yum en couverture du mensuel fut révélateur de l'orientation du journal car Crumb jouissait d'une aura. Et la carrière de Big Yum Yum, que je croyais définitivement enterrée avec l'album broché de la seconde collection Pilote, fut relancée récemment chez Denoël Graphic avant d'être repris en poche chez Point. J'avoue avoir du mal à comprendre.

Mais quelques mois plus tard, Pilote aura la chance de ramener dans ses filets du "premium" de Pratt (hors Corto et Scorpions bien entendu), alors que la concurrence est vive.

Pour Floc'h, en effet, sa progression graphique fut régulière, visible et décelable même par un lecteur peu familiarisé, d'album en album jusqu'à cette aventure mettant au cœur du récit le tristement célèbre Titanic, A la recherche de Sir Malcolm.
Blitz, paru un peu avant Malcolm, appartient bien sûr à cette période de la maturité, rapidement atteinte (en trois albums !). On conçoit sans peine que Chaland, qui savait séparer le bon grain de l'ivraie et détecter les talents sûrs, pût être impressionné par celui qui était son aîné de quatre ans.

Quelques visuels en relation avec notre discussion.

- Harding, eo (1980) et réédition (1984)
C'est le deuxième titre de la "série" en devenir qui s'intitulera bien plus tard "Albany et Sturgess".


- Blitz, eo (1983)


Prépublié dans un quotidien et paru en album chez un éditeur concurrent de Dargaud, Albin Michel, cet album fait alors figure de one-shot indépendant. Mais plus tard, les auteurs donneront une suite et tisseront des liens pour relier cette série d'albums Blitz à l'univers d'Albany et Sturgess (car il vaut mieux parler de l'univers d'Albany et Sturgess que d'une série, puisqu'on peut y rattacher des livres ne relevant pas de la BD).

Réédition chez Albin Michel. Un coup d'œil au 4e plat montre clairement qu'une série sous le nom générique de Blitz est en train de voir le jour.


Elle se poursuivra sous le label Dargaud. Et désormais, le premier plat annonce la couleur et rattache cette série à l'univers d'Albany et Sturgess.


Quant au 4e plat, il permet alors d'avoir une vision d'ensemble de la production de Floc'h et Rivière. Les trois albums du haut et les trois albums du bas forment deux trilogies. Deux albums de ce panel n'en font pas partie : "Meurtre en miniature" (un mini roman illustré, dans un format à l'italienne) et l'émouvant "Olivia Sturgess : 1914-2004".


La première pièce de Blitz bénéficia également d'un tirage (sans doute de plusieurs) au Livre de Poche, avec une couverture qui est clin d'œil assumé à La Marque Jaune de Jacobs. Les deux auteurs ont toujours revendiqué ouvertement leurs influences.


- Malcolm, eo (1984)
A mon sens, un des sommets de la série "Albany et Sturgess".


Une page (celle de la première planche du récit).



Pour avoir un mini résumé des trois premiers titres formant la trilogie anglaise, il suffit de se référer justement au quatrième plat de l'eo de cette trilogie : "Les trois aventures dont Francis et Olivia sont les héros entraînent successivement le lecteur dans un drame d'épouvante en plein cœur de Londres (Sevenoaks), une énigme policière dans un manoir du Kent (Harding) et une affaire d'espionnage à bord du Titanic (Malcolm)."







-

[Jopo de Pojo]

Excellente synthèse,
Cher Cabarez.

[mbouglion]

J'ai relu cette série ce printemps, dans cette ambiance propice à une immersion dans sa bibliothèque.
Je me suis aperçu à cette occasion qu'il me manque "Seven Oaks", que je n'ai dû lire qu'en épisodes, ou en médiathèque. Et je n'ai pas "Underground" ni "Black-out". Quelques manques regrettables donc...
Ca a été un plaisir de relecture, en particulier pour "A la recherche de sir Malcolm" que je place un cran au-dessus des autres. Mais tout est délicieux ; "Olivia Sturgess 1914-2004", par exemple, est très réaliste.
J'ai ajouté à cette lecture ceci, dont je n'avais qu'un souvenir mitigé, et que j'ai trouvé également très bien à la relecture

[Cabarezalonzo]

Ah oui, j'avais beaucoup aimé, dès ma première lecture. Mais je ne possède que l'eo, pas ce beau tirage que tu nous présentes, veinard.

[Jopo de Pojo]

A propos de dédicaces de Floc'h, il utilisait parfois un petit personnage en relief pour les albums destinés à ses amis (j'ai récupéré celui-là auprès de l'un d'eux, dont j'ai caché le nom) :

[Cabarezalonzo]

Jamais vu, pour ma part, merci du partage. C'est original et raffiné, à l'image de l'auteur.

[Erik Arnoux]

Amusant de se souvenir du début de ces années 80 durant lesquelles les agences de communication parisienne avec qui je bossais ne juraient que par un Floch omniprésent chez eux et qu'à chaque fois qu'on me commandait des illus, on me précisait bien "fais-nous un graphisme à la Floch", ce que d'ailleurs après avoir dit "oui oui", j'éludais sans souci en faisant certes de la ligne claire sans pour autant aller dans cette voie... et en passant à chaque fois.

Les gens des agences n'ont guère d'imagination et moutonnent, suivant souvent davantage les modes qu'ils ne les précèdent en s'engouffrant sans vergogne dans des voies balisées tracées par d'autres, la mode c'était Floch...

[Jopo de Pojo]

Il avait aussi dessiné l'affiche de "Diabolo menthe", film qui a eu un grand succès.