de illario » 14/02/2017 16:04
" Suburra "
Long Métrage de Stefano Sollima, 2015. Film adapté d'une ébauche de roman de Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo. 2h15. Co-réalisation Italo-Française.
"La Suburra, quartier malfamé de Rome, est le théâtre d’un ambitieux projet immobilier. L’Etat, le Vatican et la Mafia sont impliqués. En sept jours, la mécanique va s’enrayer : la Suburra va sombrer, et renaître."
Le film tire son titre d'un quartier malfamé de la Rome antique. Un secteur où plusieurs couches de la société se rejoignaient dans une atmosphère de tripots et de lupanars où tous les genres se rencontrait et parfois se défiaient, milieu d'échange et d'intrigue entre les habitants de la plèbe et quelques pontes de familles patriciennes. Le film de Stefano Sollima nous fait plonger dans une Rome contemporaine qui n'a rien à envier à son ancêtre antique, une ville moderne cosmopolite mais malade de son plan d'urbanisme transfiguré. Rome n'a pas changée, la grande métropole moderne, majestueuse, mêle de belles résidences et des palais digne de la renaissance, à une ville ancienne, remontant au cœur de l'antiquité, une ville qui jette ses veines à travers un monde parallèle, une cité invisible sombre lieu d'enjeux antagonistes. Une cité multipolaire où l'ordinaire croise des vicaires du Vatican, le gratin de la sphère politique et des sociétés secrètes liés aux familles mafieuses du Mezzogiorno. Une alchimie favorable aux trafics d'influence, à la corruption, à la prostitution, un parfum nauséabond trempant dans des effluves de drogues, de sang et de violence. Suburra est un film à miroirs multiples, mais le principal reste celui d'un film sur la Mafia.
Rome recèle des quartiers et des gens qui parfois sous leurs habits chics restent des figures controversés, où l'image trompeuse de la bienséance et de la morale est intrinsèquement liée à un monde fait d'ombres, de corruption et de violence. Un archétype qui fait s'élever quelques figures divinisées vers les sept collines de l'Urbs mais qui en parallèle plonge ses racines profondes nourries dans un marrais noire de la cité millénaire. Rome est un monde chaud, voluptueux, mais qui souffre dans sa chair d'un climat pesant où juste la pluie et ses torrents peuvent adoucir les veines d'une population en souffrance. Le thème de la pluie ruisselante sur la ville est bien présenté et le député Filippo Malgradi est là pour en témoigner, les instincts sulfureux qui transpercent ses apparences d'un Dieu de la cité ne trouvent que la pluie pour purifier et adoucir les forces androgènes qui le tiraillent et qui n'ont de cesse de le mener vers les bas fond de la vieille cité de Suburra. Quand un corps, aussi pure peut-il être touche au marais, touche au fruit défendu, alors le mal s'insinue en lui et commence à lui ronger les veines et le sang
Ostie est le port de Rome aimaient à dire les marchands, Ostie est le jardin balnéaire de Rome répliquaient les patriciens. Ostie reste le jardin d'une haute société qui allait y faire escapade et villégiature régénératrice, loin de la cité à l'atmosphère étouffante de la vieille cité de Rome. Stefano Sollima remet en perspective la dualité des deux cités. Rome est la cité des dieux et des puissants, Ostie demeure une cité ouverte sur la mer mais qui ne renonce pas à devenir la rivale de sa métropole. Dans le film, Ostie est la retraite d'une famille mafieuse, retranchée dans ses "vertus" mais néanmoins rêvant de devenir une cité à l'égale d'une Las Vegas, une cité balnéaire se projetant dans un projet immobilier malsain et soutenu de haute main par une classe politique corrompu qui y voit ses intérêts financiers grandir à mesure des enjeux financiers, une relation malsaine qui va croiser les non moins intérêts de la mafia.
L'intrigue, rondement ficelée, se déroule du 5 novembre 2011 jusqu'au 12 novembre 2011, soit une semaine. Si Rome ne s'est pas faite en un jour, elle va en mettre sept pour sombrer dans l'Apocalypse. On suit la trajectoire de plusieurs personnalités, chacune vivant, évoluant et reflétant des mondes antagonistes, une danse macabre qui mènera à un affrontement dantesque. L'Apocalypse c'est quand tous les pouvoirs se renversent en une journée ! Un jour et une nuit sacrée, où le Pape (Ratzinger??) démissionne, le gouvernement se saborde, le parlementaire Malgradi perd son immunité, les deux familles mafieuses s'entretuent, le tout mené par un archange noir surnommé "le Samouraï". La partie commencée en début de film et va se dénouer sur le dos des méchants, seuls les petits, les oubliés, le peuple sorti dans la rue auront chacun leur revanche, sous une pluie salvatrice qui nettoiera la cité de son atmosphère pesante.
Tout commence par un pape en prière, un décor intimiste qui plante une atmosphère oscillant entre réalité et passion divine. L'assemblé Italienne, les coulisses du pouvoir temporel, un député au chevet d'un parti malade et en voie de péricliter. Des scènes noires, pesantes, contrairement à l'intimité du cadre du Vatican, lourd, silencieux, intimiste, mais les deux faces du pouvoir, spirituel et politique, cachent des secrets lourds, intenses, pesants qui finiront par se rejoindre dans les scènes d'un monde ordinaire sclérosé et à la dérive, un monde tout enclin à l'affrontement final. On rencontre des figures chapeauté par le règne de la corruption, de l'argent, la drogue et la violence, tous aux mains des instances supérieures, celles évoluant près des cieux (que ce soit le pouvoir de la religion ou le pouvoir politique) vont interférer dans le monde des hommes, terrestre et pleins de maux, étouffé par l'atmosphère d'une grande ville moderne enclin à un urbanisme anarchique. Une figure majeure, tenant du pouvoir séculier va croquer la pomme ! La pomme de la discorde. Une discorde qui s'installe entre les tenants d'un ordre caché, sous-terrain, domaine du dieu (Vulcain) de la violence et de la mort.
Sollima valide son savoir-faire sur les films de la mafia. On retrouve là un bon chroniqueur d'une société secrète qui a ensanglanté l'Italie depuis des siècles. L'un des réalisateur attitré de la série Gomorra sait y faire et nous amène dans ne guerre des gangs, sans fioriture ni poésie, une réalité dure, crue, cruelle. Ça balance, ça pointe, ça flingue ! Une violence sans concession, à la mode Quentin Tarantino, avec également des personnages rappelant celle des Sopranos de David Chase.
Un scénario brillant, solide, des minis intrigues qui s'entremêlent et donne un final cohérents à l'ensemble. La structure narrative se déroule en début en collier de perle avec un chronomètre temporel qui fait monter la tension. On peut se demander s'il existe un protagoniste, qui pour peu que l'on s'attarde sur les décors devient la ville, principalement Rome et Ostie en second lieu. Chacune des scènes en amène une autre et créer autant d'effets qu'une boule de billard frappant une autre. Des scènes découpées en chapitre qui chacune comme une rafale de fusil forme la trame de la couche suivante. Des personnages hauts en couleur, des figures mythifiées telles des dieux antiques (Pause du député Malgradi dans la chambre d'hôtel), qui finissent comme dans les meilleures tragédies par tomber de leurs nuages.
Une réalisation maîtrisée de main de maître, du début à la fin, qui de point de vue différent amène une unité conjoncturelle ayant pour point final "l'Apocalypse". La camera subjective nous mène parfois dans des plans séquences comme la tuerie du supermarché. Une camera fluide et intelligente, qui cherche des points de vue, détaillant des personnages incomplexes, à fleur de peau, et présentant chacun des intérêts multiples et complexes en relation avec cette société italienne cosmopolite, transverse et torturée par des penchants violents et souvent fruits d'héritages anciens.
Illario