Les bandes dessinées font-elles un bon placement ?
Si l’appétit des collectionneurs ne se dément pas pour la BD, la prudence reste de mise avant tout achat, pour éviter, notamment de se retrouver avec un « faux » entre les mains.
Près de 3,2 millions d’euros : c’est le prix atteint par une ébauche de la couverture de l’édition originale de l’album de Tintin Le Lotus Bleu de 1936, réalisée par Hergé à l’encre de Chine, aquarelle et gouache et adjugé lors d’une vente organisée à Paris en 2021, par la maison de ventes aux enchères Artcurial. Pour l’heure, il s’agit d’un record du monde toujours inégalé pour une planche de bande dessinée.
Même si les collectionneurs s’arrachent à prix d’or les exemplaires, en noir et blanc ou en couleur, de la première édition de Tintin, le marché de la bande dessinée demeure accessible. « Il est possible de se faire plaisir pour quelques centaines d’euros. Par exemple, de nombreux albums en éditions originales et en bon état peuvent se trouver aujourd’hui pour un budget inférieur à 500 euros », précise André Querton, expert indépendant en BD.
S’il n’existe pas de règles concernant l’estimation d’une bande dessinée, plusieurs éléments doivent être pris en compte par les amateurs. A commencer par la cote de son auteur, fortement liée à ses succès en librairie. A cela s’ajoute sa date d’édition, en sachant que les rééditions sont presque toujours décotées par rapport aux versions originales. Il convient également de prendre en considération l’ancienneté et la rareté du tirage, ainsi que son état de conservation. Mais le nec plus ultra reste une dédicace de l’auteur, idéalement agrémentée d’un dessin de sa main.
Fréquenter galeries et festivals
Néanmoins, pour mettre toutes les chances de son côté, les spécialistes conseillent d’aiguiser son œil à l’étude des planches et des albums, afin d’apprendre à connaître les subtilités de ce marché, aujourd’hui considéré comme un art à part entière. Pour ce faire, il est indispensable de pousser les portes des nombreuses galeries spécialisées. Vous pourrez ainsi vous immerger dans cet univers à travers des expositions, tout en profitant des conseils d’experts passionnés.
Parmi les lieux les plus courus en France, citons Huberty & Breyne, la Galerie du 9e Art, Barbier, Daniel Maghen ou encore Martel, mais aussi Art-Maniak et Zic & Bul (toutes sont à Paris). Mais il est peut-être également judicieux d’aller déambuler dans les allées des principaux salons de la bande dessinée (à Angoulême, à Saint-Malo, à Bruxelles, à Lyon…) afin de s’informer de l’actualité et des dernières tendances du neuvième art.
Depuis plusieurs décennies, la bande dessinée suscite un intérêt croissant de la part des lecteurs, quelle que soit leur génération. Comme le souligne une étude publiée en janvier 2024 par GfK Market Intelligence, malgré un recul en 2023, le nombre d’exemplaires vendus a en effet augmenté de 55 % entre 2019 et 2023. L’engouement pour ce genre littéraire explique sans doute pourquoi les records à plusieurs millions d’euros pleuvent dans les ventes récemment organisées par des maisons de ventes aux enchères comme Artcurial ou encore Tajan.
Quant aux mangas, qui portent en partie les ventes de BD des dernières années, les experts notent un intérêt croissant des passionnés lors des récentes ventes aux enchères, même si, pour l’heure, ce n’est en rien comparable avec le marché de la bande dessinée classique.
Peu fréquentes dans le passé, ces vacations autour de la thématique de la bande dessinée n’ont cessé de se multiplier ces dernières années, au même titre, par exemple, que les ventes d’art moderne et contemporain. Elles attirent désormais un public plus large de collectionneurs. Certains voient dans ce type d’acquisition une réelle opportunité d’investissement.
« Achat guidé par la passion »
Et les prix n’ont cessé de monter au cours de la dernière décennie. Notamment ceux des planches originales des maîtres du genre particulièrement rares et prisées, à l’image de Hergé (Tintin), Goscinny et Uderzo (Astérix), Franquin (Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe), Morris (Lucky Luke), Peyo (Les Schtroumpfs) ou encore Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer). Mais, les BD américaines, notamment celles de DC Comics (Batman, Superman) et de Marvel (Captain America, Iron man, Spiderman), sont également recherchées, d’autant qu’elles sont parfois remises en lumière par de récentes productions cinématographiques.
En raison de la rareté de ces « valeurs sûres », la plupart de leurs planches originales, servant à l’impression en série des albums, sont désormais devenues hors de prix pour les collectionneurs. Celles d’autres auteurs de bandes dessinées peuvent également atteindre des prix très élevés. C’est le cas d’Hugo Pratt (le créateur de Corto Maltese), de Jacques Tardi, de Moebius (Jean Giraud), de Sempé ou encore de William Vance.
Néanmoins, il existe encore des possibilités d’acquérir des planches originales à des prix abordables. Pour les plus petits budgets, il est également possible de se tourner vers des éditions originales, des tirages de tête ou de luxe, des albums dédicacés ou bien vers des œuvres originales de dessinateurs peu connus du grand public. L’important est d’acheter ce que l’on aime, « il doit s’agir avant tout d’un achat guidé par la passion et le plaisir de la lecture », estime Daniel Perez, expert en BD pour la maison de ventes Tajan. On peut parler « aussi de coup de cœur », estime ce dernier, car « la BD est un art qui combine plusieurs formes d’expression artistique telles que l’illustration, la narration et parfois même la poésie ».
Les spécialistes que nous avons interrogés conseillent cependant de prendre quelques précautions au moment de réaliser une acquisition, afin, notamment, d’éviter de se retrouver avec un faux entre les mains. En effet, compte tenu de l’engouement actuel, nombre d’œuvres falsifiées circulent sur le marché. Et même les amateurs éclairés ont parfois du mal à distinguer une BD originale d’une contrefaçon.
Pour s’assurer de l’authenticité des planches ou des albums, il est recommandé de privilégier les achats dans les salles des ventes reconnues, ou dans la dizaine de galeries parisiennes spécialisées. Autant d’endroits où il est possible d’exiger « un certificat d’authenticité signé par un expert, qui engage alors sa responsabilité », précise Daniel Perez.