Magasiner ses mainsCHRONIQUE / Vivre une vie d’amputée apporte son lot de situations insolites qui souvent semblent tout droit sorties d’un film de science-fiction. Comme un cyborg, je dois composer avec le fait que mes morceaux de robot sont dorénavant trop vieux pour que les fabricants acceptent de les réparer. Après un peu plus d’une dizaine d’années de loyaux services, il faut les remplacer. Mais tant qu’à être reconstruite, pourquoi ne pas en profiter pour essayer quelques modèles de mains bioniques?
Le processus pour réunir toutes ces mains droites et gauches, déclinées sous plusieurs compagnies, n’est pas une chose facile. Grâce au travail de ma prothésiste attitrée aux membres supérieurs de mon appareillage, toutes les étoiles se sont alignées pour que je puisse les tester en un seul rendez-vous.
La main humaine est un organe fascinant. Sa force de préhension additionnée à son épatante agilité permet d’accomplir une multitude de tâches complexes. Avec ses vingt-sept os et tous les muscles, tendons et nerfs que comporte une vraie main, il n’est pas étonnant que concevoir une prothèse pour la remplacer représente un grand défi d’ingénierie.
Si je souhaite ouvrir ma main, je dois contracter le muscle situé au-dessus de moignon. Pour la fermer, c’est le muscle sous le moignon qui doit s’activer. Et comme l’amputation des mains vient aussi avec la perte de l’articulation du poignet, un rotateur peut être installé. Pour en disposer, je contracte les deux muscles simultanément et une fois entrée dans le mode de rotation, il me suffit de contracter le même muscle pour l’ouverture pour tourner ma main dans le sens des aiguilles d’une montre. Afin de tourner en sens contraire, c’est le muscle pour la fermeture que je sollicite.
Ça prend un peu de temps pour s’habituer à contracter les muscles un à la fois aussi aisément que simultanément. Aujourd’hui, les gestes sont devenus automatiques et mes mouvements, naturels. J’aime tout du modèle que j’ai la chance d’avoir depuis douze ans. Mes mains « I-limbs Ultra » d’Össur sont pratiques et impressionnantes par la diversité des gestes que je peux lui programmer. Pour changer la position de mes doigts, je n’ai qu’à maintenir ma contraction de façon prolongée ou j’exerce consécutivement deux ou trois contractions rapides.
Un seul détail m’a toujours embêté ; les gants qui protègent mes mains contre les éclaboussures et les saletés se percent facilement. Aussitôt qu’un petit trou se forme, l’interstice s’agrandit chaque fois que je déplie les doigts. Je souhaitais régler ce problème en choisissant une main qui n’a pas de gant. C’est en essayant les autres modèles à ma disposition que j’ai compris que finalement, chaque prothèse offre des avantages, mais aussi des inconvénients.
TASKA
D’emblée, cette main m’intéressait pour son esthétisme. En plus d’avoir une belle apparence, on peut interchanger les plaques de la paume et du dos de la main pour une autre couleur ou un choix de motif floral. J’ai commencé les essais avec le modèle le plus gros de l’entreprise TASKA. La main est robuste et résistante à l’eau, mais la forme du pouce, un peu bizarre à sa jonction, ne m’a pas conquise. La plus petite main, plus féminine, règle ces petits soucis superficiels et la « CX » tout comme la « HandGen2 » sont particulièrement rapides.
Malgré ses qualités, j’ai réalisé que la main n’était pas faite pour moi lorsque j’ai voulu tenir une fourchette. La prise d’un ustensile avec des doigts qui ne bénéficie pas de l’adhérence d’un gant en silicone se « lousse » rapidement. Un crayon aussi.
Bebionic
Cette main fabriquée par l’entreprise Ottobock est tout simplement magnifique. J’ai aussitôt eu un coup de cœur pour le petit modèle aux pièces blanches. Ces mouvements sont naturels et rapides. Le pouce est légèrement replié à la dernière phalange, ce qui est joli, mais qui, il me semble, réduit la surface de contact.
Tout comme pour la main que je venais d’essayer, il est possible de passer d’un geste à l’autre en appuyant sur un bouton situé sur le dos des mains. Mais tout comme la TASKA, la Bebionic n’a pas de gant et c’est après avoir soumis la main au test ultime de la fourchette et du crayon que j’ai compris que ma décision était prise.
I-Limb Quantum
J’ai terminé les essais avec les mêmes mains que les miennes, version 2024. Bien sûr, elles sont pareilles à l’ancien modèle et revêts toujours un gant, ce qui, je le sais maintenant, n’est pas nécessairement un défaut. La rapidité des gestes est augmentée et le mécanisme du poignet pour basculer la main dans un angle aigu ou obtus a été amélioré. Jusqu’à présent, je devais chaque fois déplacer moi-même mon pouce alors que la Quantum le place automatiquement selon les prises choisies. Et comme je suis habituée, je peux aussi le bouger moi-même sans briser le mécanisme.
Là où réside la véritable innovation est le contrôle gestuel intégré. Pour changer de position de main, je peux continuer de faire mes doubles et triples contractions, mais je peux aussi maintenir ma contraction tout en déplaçant mon bras dans l’espace. Concrètement, je peux prolonger une contraction juste avant de tendre ma main vers l’avant. Le geste perçu par les capteurs de mouvements actionne une position parfaite pour serrer la main. Une fois la contraction relâchée, la main libère automatiquement sa prise sans devoir ne solliciter aucun autre muscle.
Sans grande surprise, j’ai choisi la I-limb Quantum.
Tous ces commentaires sont toutefois bien personnels. Chaque amputé à des besoins différents et il faut tenir compte du fait que je suis appareillée aux deux bras. Cette condition exige encore plus d’efficacité de la part d’une prothèse. J’ai des pinces myoélectriques pour peindre mes toiles et accomplir les tâches à la maison, j’attends alors de mes mains d’être parfaite quand je sors de chez moi.
Puisque mon changement de pièces de robot pour mes mains se termine de la même façon que lorsque j’ai essayé d’autres paires de jambes, je crois que les aptitudes et habitudes que j’ai acquises avec une même compagnie m’amènent à choisir à nouveau les mêmes prothèses... ou presque.
Reste qu’avant de prendre une décision, le mieux était d’essayer d’autres bras et d’autres jambes pour me faire une tête… car ma tête, c’est bien la seule extrémité qui n’est pas robotisée!