Vente d’alcool sans permis
La police saisit les réserves de vin de messe
La police s’attaque aux fournisseurs de vin de l’Église catholique. Des agents ont saisi d’un seul coup la quasi-totalité des réserves de vin de messe au Québec, ce qui force dès maintenant les curés à chercher de nouveaux moyens de remplir leurs calices. Jacques Laroche, propriétaire du magasin La Procure Ecclésiastique à Québec, jure qu’il était de bonne foi. Son commerce d’articles religieux, fournisseur de vin de messe pour nombre de paroisses, a été contacté par un client au début du mois d’avril. L’homme a commandé une caisse de 12 bouteilles de vin liturgique californien de marque Mont La Salle, approuvé par un évêque de la vallée de Napa, au coût de 120 $ US.
« On a posé la question : est-ce pour un usage liturgique ? Et il a confirmé que oui », raconte M. Laroche.
En réalité, le client était un agent d’infiltration du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), chargé de vérifier s’il y avait vente illégale de vin au public. Le 9 avril, la police de Québec est débarquée chez Procure Ecclésiastique. « Ils sont arrivés par toutes les entrées », relate M. Laroche.
Frappes simultanées
Le média d’information religieuse Présence Info avait révélé mardi des saisies de bouteilles dans plusieurs commerces d’articles religieux. Mercredi, La Presse a obtenu une copie du mandat de perquisition autorisant l’opération à Québec. Ce sont 545 bouteilles de vin de messe rouge et blanc qui auraient été saisies dans le commerce de la Vieille Capitale. Les policiers ont aussi mis la main sur de la documentation financière et une arme à feu de calibre 410 entreposée de façon non sécuritaire, selon eux.
L’enquêteur qui a obtenu le mandat affirme avoir appris que le commerce vendait du vin sans avoir de permis de la Société des alcools du Québec (SAQ) ou de la Régie des alcools, des courses et des jeux. « J’ai des motifs raisonnables de croire qu’il y a vente d’alcool sans permis », écrit-il.Le policier dit avoir été alerté initialement par le Service des enquêtes sur la contrebande de la Sûreté du Québec (SQ), puis avoir confirmé l’information grâce au travail de l’agent d’infiltration.
La SQ confirme de son côté avoir mené une perquisition le même jour à Saint-Constant, avec l’aide de la Régie intermunicipale de police Roussillon. La porte-parole Ann Mathieu n’a pas voulu identifier le commerce visé, mais La Presse a pu confirmer qu’il s’agit de Chandelles Tradition MB. À cet endroit, ce sont 7062 bouteilles de 750 ml et 221 bouteilles de 4 litres qui ont été saisies.
Au même moment, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) faisait irruption au commerce Bertrand, Foucher, Bélanger, un autre vendeur d’articles religieux, rue Hochelaga. Le corps policier confirme avoir saisi « plus de 300 bouteilles de vin » en vertu de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques.
Plus de 8000 bouteilles saisiesL’information initiale qui a mené à l’ouverture des enquêtes pour vente illégale d’alcool provient de la SQ, mais chacun des corps policiers a mené sa propre enquête dans le cadre du programme ACCÈS Alcool, une initiative du gouvernement du Québec pour lutter contre le commerce illégal d’alcool. Les contrevenants sont passibles d’amendes.
« Chaque service est indépendant dans ses propres dossiers, mais nous nous sommes coordonnés pour mener nos perquisitions la même journée », explique Ann Mathieu.
Le total des saisies dépasse donc les 8000 bouteilles de vin de messe. Les trois principaux fournisseurs de l’Église catholique au Québec ont vu leurs réserves saisies.
Ces commerces sont dans certains cas en activité depuis des décennies. « On n’a jamais, jamais, jamais eu de problèmes avant ça », affirme Alain Denis, directeur général du commerce de la rue Hochelaga.Depuis ce fameux repas où Jésus Christ aurait lancé « Prenez, et buvez-en tous » à ses apôtres, le vin est au cœur de la célébration de la messe. Mais les curés ne célèbrent pas l’eucharistie avec n’importe quelle bouteille. Le Vatican exige un vin « naturel et pur, sans mélange de substances étrangères » (l’ajout de sulfites semble sujet à débat chez les experts du culte). Les paroisses, moins riches qu’autrefois, cherchent aussi un produit bon marché.
La Procure Ecclésiastique dit avoir tenté sans succès d’obtenir un permis de la SAQ pour importer du vin de messe. Le commerce s’est donc tourné vers le Nouveau-Brunswick, où il a obtenu un permis et aménagé un entrepôt. Il distribue ses vins dans ses bureaux de Québec, mais aussi « partout au Canada ». D’autres commerçants alimentaient les églises du Québec grâce à un permis ontarien.
« Nous, on ne conteste pas que la SAQ a l’autorité au Québec pour ce qui est de la consommation personnelle, mais selon nous, le vin sacramentel est protégé », affirme Jacques Laroche. Il trouve ironique que d’un côté, les différents ordres de gouvernement lui achètent du vin de messe pour des célébrations en milieu hospitalier, en prison ou dans l’armée, alors que d’un autre, la police semble considérer son commerce comme illégal.
Jim Cox, président du producteur de vin de messe californien Mont La Salle, confirme exporter son produit au Québec depuis une quarantaine d’années. « C’est un bon marché pour nous là-haut. Notre distributeur en commande une bonne quantité », dit-il.
Éviter une pénurieEn attendant de savoir si des amendes seront imposées pour vente illégale d’alcool, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec s’est inquiétée de manquer de vin pour les cérémonies religieuses. Heureusement, la SAQ a volé à son secours. La société d’État confirme qu’elle va s’organiser rapidement pour fournir les vins dont les prêtres ont besoin et éviter une pénurie.
« Nous avons eu un excellent accueil de la SAQ », affirme Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques.
Il trouve cependant dommage que la nouvelle entente pénalise les commerces qui alimentaient l’Église depuis des décennies. « Mais une fois que j’ai exprimé mon regret, je ne peux que suivre la loi », dit-il.
Il dit avoir eu vent que les autorités voulaient serrer la vis à la suite de débordements survenus en Ontario, où des fournisseurs de vin de messe auraient vendu illégalement des bouteilles au grand public.
Cet engouement d’une certaine clientèle est-il une preuve que le produit a bon goût ?
« Pour être très franc, non. Quand j’ai été ordonné prêtre, ma famille me taquinait en disant que je serais payé pour boire du vin. Un jour, j’ai apporté une bouteille de vin de messe pour le repas. Ils y ont tous goûté, et je n’en ai plus jamais entendu parler », affirme Mgr Murray.