La chose - les "textes chez Jacobs" - a été commentée 100 fois, mais j'y vais donc pour une 101e... :
Je cite tout d'abord Jean-Luc Fromental :
"J'ai découvert la saveur exacte de Blake et Mortimer quand j'ai compris l'art de Jacobs qui était d'éviter la redondance dans son travail de didascalie, de descriptif ou de récitatif, et son travail de dessinateur. Il arrivait à couvrir de façon très claire le terrain de sa narration en usant des deux c'est à dire la matière romanesque et la matière graphique."
Prenons un exemple avec cette planche de SOS Météores, remarquable album :
Première case : le car s'arrête in extremis. Un auteur lambda se serait contenté de dessiner la case au mieux, mais comment faire comprendre que le lourd véhicule s'arrête "par miracle", son conducteur (Yankee donc) apostrophant bientôt (à la case suivante) le taxi qui lui a coupé la route ?
L'usage de la temporalité ("pas bien longtemps", "aussitôt", "entretemps"), des "...", l'emploi d'un vocabulaire circonstancié et l'adjonction de renseignements supplémentaires (comment deviner par exemple, case 3, que le chauffeur du taxi vient de lancer un "regard furibard" ?) donnent aux planches une atmosphère sans pareil, ourlée de l'impressionnante masse de références littéraires de Jacobs. A ce titre, la lecture des deux derniers strips serait bien plus fade sans les récitatifs, qui rendent explicites certains dangers ou quelques espoirs des personnages, peu rassurés car noyés sous des trombes d'eau. Ils rendent palpables l'intangible et l'indiscernable (sentiments et inconscients des personnages, écoulement temporel, voix omnisciente, tout en soulignant parfois les effets et mouvements (apparitions-disparitions-stupéfaction-gestuelle emphatique-etc.) de manière tangible, à la sauce opératique, afin d'accroitre la portée mémorielle de certaines séquences.
L'art de Jacobs, si difficile à reproduire parce que textuel ET visuel, est d'abord celui d'un feuilletoniste (ou réalisateur !) d'exception.