Clovis Sangrail a écrit:L'Art de la guerre est décidément un album qui ne laisse pas indifférent et qui suscite des jugements assez tranchés en sa faveur ou sa défaveur.
Pour ma part, je l'ai lu avec délectation.
Le constat est assez unanime : Floc'h a fait du Floc'h. So what? Après tout, il ne s'agit pas d'un album de la série, mais d'une interprétation, comme l'a été celle de Schuiten avec Le Dernier Pharaon. Avec Fromental et Bocquet, il a eu une approche qui a recherché la simplicité, dans le dessin comme dans l'intrigue.
Aucun excès, pas d'emballement para-scientifique ou pseudo-SF pour essayer de "faire du Jacobs" (sachant qu'aucun successeur n'est parvenu à doser le cocktail comme il fallait) : quelques bases scénaristiques robustes, un Olrik absolument comme il faut, une dose de films d'espionnage des années 50-60, des références et des clins d'œil (Warhol, Gas de Hopper...), une approche décalée de la couleur, qui apporte du sens (le spectre colorimétrique de chaque double page est toujours limité, recentré sur 2 ou 3 tonalités principales, mais absolument pas gratuit, complètement cohérent — cela m'a fait penser à Mais qui a tué Harry ? de Hitchcock).
Avec cela, Floc'h nous propose une version modernisée de Blake & Mortimer : stylisée, réduite à un squelette, à sa trame essentielle. L'Art de la Guerre évite l'écueil de la recherche d'une fidélité excessive pouvant virer aussi bien au fiasco qu'à la parodie. Débarrassé de tout ornement, il révèle les caractères comme des silhouettes exprimant avec une grande économie de moyens l'essence des personnages. Et en cela Floc'h touche juste.
On retrouve dans cet album toute une approche théâtrale (parfois aussi cinématographique, mais de ce cinéma hitchcockien, stylisé, qui recherche spécifiquement l'artifice), avec sa succession de scènes, ses décors qui peuvent faire un peu stuc et carton-pâte, ses aplats de couleurs denses, ses traits nets et gras — et Jacobs était aussi d'abord un homme de théâtre, qui a structuré son projet d'auteur.
En ce sens, il a, quoi qu'on en pense, fait du Blake & Mortimer. Mais sans faire du Jacobs ! Que l'on apprécie ou pas L'Art de la guerre est une autre question évidemment laissée au jugement de chacun, mais Floc'h a fait un grand album, qui respecte hypocritement la règle pour mieux la transgresser : à la fois tout en réserve, économie, efficacité (l'intrigue, le trait, l'aspect figé des personnages souvent relevé...), et plein d'exubérance (les couleurs qui agressent, la personnalité des protagonistes, stylisée... donc en réalité exacerbée). En cela il est assez jouissif.
P.S. : Soyons honnêtes, quel aurait été le sens d'un album de Floc'h réalisé dans l'imitation servile de Jacobs (lequel d'ailleurs ? il changeait de style à chaque album voir en cours de route) ou de ses continuateurs, que ce soit au niveau du dessin ou de l'histoire ? Sincèrement, aucun intérêt. C'est un styliste, avec ses partis-pris, ses marottes, ses jugements tranchés et il a assumé cette posture, il n'a pas menti.
Perso après une première lecture où le style m'a fait mal aux yeux j'ai décidé d'effectuer quelques jours plus tard une relecture et finalement je m'habitue même si ça sera jamais mon album préféré. Je me suis même pris la version bibliophile comme avec la réduc libraire je la paye quasi au prix du tome classique.
Un demi mea culpa du coup, j'ai jugé un peu trop sévèrement la première fois ce tome.