Vous me pardonnerez d'arriver bien après la bataille et de ne pas avoir lu toutes les pages qui précèdent.
C'est tout récemment (à l'occasion
d'une rafle de quelques emprunts dans la bibliothèque de beau-papa
) que j'ai complété mes lectures dans les aventures post-jacobsiennes de Blake et Mortimer. En effet après avoir été très agréablement surpris, au moment de sa sortie, par
L'Affaire Francis Blake de Van Hamme et Benoît, j'avais été douché par
L'Étrange Rendez-Vous signé du même duo, et ce que j'avais entendu dire des autres albums ne m'avait pas incité à retourner y voir. Tir rectifié aujourd'hui, puisqu'il n'y a plus que
Le Sanctuaire du Gondwana que je n'ai pas lu. Mais ça ne tardera sans doute pas trop, car après lecture, les albums de Sente et Juillard me semblent surclasser nettement ceux scénarisés par Van Hamme.
L'Affaire Francis Blake était un album très réussi avec son scénario
fortement pompé rendant un bel hommage aux
39 marches, mais dans le registre de l'intrigue d'espionnage pur il me semble que
La Machination Voronov fait (au moins) tout aussi bien.
L'Étrange Rendez-Vous, vous l'aurez compris, ne m'a laissé que le souvenir d'une immense déception. Et pour en venir à cette
Malédiction des trente deniers, donc....
Premièrement : le dessin de René Sterne et Chantal De Spielgeleer. Attention : ma critique ne porte pas sur le dessin
en lui-même. En tant que tel, je trouve que ce dessin est très bien. Simplement, pour moi, il n'a rien à voir, ou très peu, avec l'univers graphique de Blake et Mortimer. René Sterne (dont je ne connais pas l'œuvre par ailleurs) n'a visiblement pas souhaité adapter son style pour participer à cette reprise. C'est un choix, mais moi, ça me gêne un peu quand même.
Deuxièmement : le scénario de Jean Van Hamme. Là encore, pour moi, il y a un problème d'adéquation à la série. Quand les méchants voleurs de denier de Judas font une sortie de route, suite à un orage
providentiel - au sens propre - envoyé selon toute apparence par la Main de Dieu HimSelf... je suis sorti de la route avec eux. Certes un personnage rappelle à Mortimer qu'il a déjà eu affaire à des évènements purement irrationnels, avec note en bas de case à l'appui renvoyant au
Mystère de la Grande Pyramide... Mais corrigez-moi si je me trompe : il me semble bien que cet album (aussi génial et emblématique soit-il) fait, de ce point de vue, exception au sein de la série, qui lorgne du côté de la science-fiction, et non du fantastique, encore moins du merveilleux chrétien, du miraculeux. Ce qui n'est pas la même chose. Et Van Hamme d'utiliser le même procédé, un peu plus loin, pour justifier la présence, dans son intrigue, d'anciens nazis, dont Olrik nous apprend que son ancien maître l'Empereur Basam-Bandu "appréciait beaucoup [l']idéologie" (ah?...), avec là encore renvoi en note au
Secret de l'Espadon... dans lequel on ne trouvera bien évidemment pas la moindre remarque à propos des nazis puisque nous étions alors dans un univers "alternatif", où, précisément, les Tibétains jouaient (peu ou prou) le "rôle" des nazis. On pourrait me dire que je chipote avec ces deux exemples, sauf qu'avec eux on tient quand même le
pitch de l'album : malédiction de Judas + ex-nazis. Et aussi (et je doute que ce soit une coïncidence) les deux seuls renvois faits dans le scénario aux albums de Jacobs
(je ne parle même pas de renvoi aux continuations de Sente et Julliard, les deux groupes d'auteurs ayant visiblement décidé de s'ignorer mutuellement, ce qui nous vaut une "continuation" complètement incohérente, ce que je trouve dommage, mais c'est un autre problème). La démarche me semble à la limite de l'honnêteté.
Je ne m'attends pas à retrouver du Jacobs quand je lis ces continuations. Mais à partir du moment où on accepte de se livrer à l'exercice*, une certaine fidélité à l'univers d'origine ne me semble pas superflue.
Et si encore, à l'instar du dessin de Sterne & De Spielgeleer, le scénario de Van Hamme était suffisamment de qualité par lui-même pour compenser son inadéquation avec l'univers de Blake & Mortimer...
Mais franchement, à moins que tout cela ne prélude à une magistrale remise des choses en perspective dans le prochain opus : j'ai trouvé assez peu palpitantes les aventures de Mortimer au cours de cet album ; Van Hamme ne sait visiblement pas trop que faire d'Olrik (qui se retrouve là, complètement passif, parce que... euh, ben parce qu'il faut qu'il soit dans un album de Blake et Mortimer) ; je n'étais pas né que le coup des nazis en quête d'objets mystiques et pouvoirs y afférant était déjà un cliché avec lequel Spielberg jouait dans le premier
Indiana Jones... Et surtout, au final, je trouve que cet album manque cruellement d'âme.
Peu passionnante en elle-même, totalement biaisée en tant qu'exercice de style, cette
Malédiction des 30 deniers me donne la triste impression de porter, hélas, bien son titre tant elle résonne plus de l'appel du tiroir-caisse que du souci de la fidélité à Jacobs ou même au lectorat.
Seule l'histoire de sa gestation côté graphique donne à cet album une "épaisseur" sur un plan "sentimental", mais elle est totalement contingente. Bien sûr, je lirai sans doute le t.2, pour avoir la fin de l'histoire, mais c'est sans enthousiasme ni impatience particulière que j'attends sa sortie.
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* étant entendu que pour moi, la série de Jacobs se suffisait amplement à elle-même (comme Tintin, comme Corto Maltese) et qu'il n'y avait aucune nécessité - considérations financières mises à part - de lui fournir des continuations ; mais à partir du moment où on le fait, autant faire ça bien.