Un peu de lecture pour ceux qui veulent des données plutôt que des opinions ou des ressentis :
Ce sont d'abord les retraites qui pèsent particulièrement lourd. Avec 14,7 % du PIB consacrés aux pensions en 2012 (y compris les pensions de réversion aux veufs et veuves), la France est, après l'Italie (17,9 %), la Grèce (17,8 %) et l'Autriche (14,9 96), un des pays d'Europe qui dépensent le plus pour faire vivre ses retraités. C'est 1,3 point de PIB de plus que la moyenne de la zone euro, mais aussi 1,9 de plus qu'au Royaume-Uni et surtout 3,3 de plus qu'en Allemagne, qui est aujourd'hui un des pays de la zone euro qui dépensent le moins pour ses retraites publiques... alors que les plus de 65 ans représentent déjà 20,7 % de la population outre-Rhin contre 18,8 % en moyenne dans la zone euro et 17,4 % en France.
Le niveau de vie des retraités français est ainsi très proche aujourd'hui de celui des actifs : le revenu médian des plus de 65 ans représentait en 2013 99 % de celui des 24-54 ans, selon les données d'Eurostat. Il ne s'agit pas cependant des revenus d'activité des 25-54 ans mais de ceux qui sont calculés une fois qu'on a pris en compte la charge que représentent les enfants ou les autres inactifs présents au sein d'un foyer. Ce ratio n'est que de 91 % en moyenne dans la zone euro, de 80 96 au Royaume-Uni ou encore de 85 % en Allemagne, et même de 73 % seulement en Belgique. Parallèlement, le taux de pauvreté des plus de 65 ans — c'est-à-dire la proportion des retraités dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian de l'ensemble de la population — n'était en France « que » de 8,7 % en 2013 contre 13,2 % en moyenne dans la zone euro (14,9 % en Allemagne, 15,3 % en Italie, 16,6 96 au Royaume-Uni, 18,4 % en Belgique).
Cet état de fait nourrit l'idée qu'il y aurait en France un « trésor caché » du côté des retraites et des retraités. C'est une illusion. Les dépenses de retraite actuelles reflètent en réalité les conditions favorables dont ont bénéficié les retraités nés avant la Seconde Guerre mondiale : après avoir eu une enfance et une adolescence difficiles du fait de la crise de 1929 et de la guerre, ils sont arrivés sur le marché du travail au début des « trente glorieuses », la période de forte croissance économique de l'immédiat après-guerre. Ils bénéficient du coup de retraites importantes car calculées sur des carrières ininterrompues et selon des règles antérieures aux multiples réformes intervenues depuis le début des années 1990. Il est très difficile, politiquement et socialement, de revenir sur les niveaux de pensions des retraités actuels. Les gouvernements successifs l'ont régulièrement fait cependant, mais à petite dose, notamment en soumettant de façon croissante les retraites à la Contribution sociale généralisée (CSG) depuis sa création en 1990. Les « baby-boomers », nés entre 1945 et 1975, contrairement à la légende qui voudrait qu'ils aient eu la « belle vie » aux dépens des jeunes d'aujourd'hui, sont généralement entrés sur le marché du travail à la fin des « trente glorieuses », au milieu des années 1970, au moment où le chômage de masse s'installait. Et à l'heure de la retraite ils subiront les effets négatifs des interruptions de carrière et des pertes de salaire que beaucoup d'entre eux ont connues du fait de la crise économique ininterrompue depuis quarante ans, en plus de celui des multiples réformes décidées au cours des trente dernières années.
Depuis la fin des années 1980, ces réformes ont en effet notablement amputé les revenus de référence pris en compte pour le calcul des retraites, limité les taux de remplacement garantis, repoussé toujours plus les âges minimaux de départ, etc. Nombre d'autres pays ont aussi procédé à des réformes de ce type, mais nulle part ailleurs, en dehors de l'Italie, celles-ci ne vont se traduire par des reculs aussi importants qu'en France au niveau des droits à pension des futurs retraités selon les calculs de la Commission européenne. La situation actuelle des retraités français ne reflète donc pas du tout leur évolution future, telle qu'elle est d'ores et déjà programmée par les réformes engagées. Compte tenu de la démographie hexagonale et des réformes menées, la Commission européenne estime que la France est un des pays d'Europe où la part du PIB consacrée aux retraites augmentera le moins d'ici 2060: 0,5 point de PIB contre 2 en moyenne dans la zone euro, 1,5 au Royaume-Uni, 2,6 en Allemagne, 3,6 en Espagne et aux Pays-Bas ou encore 5,6 en Belgique.
Contrairement à ce que beaucoup de Français imaginent, les réformes déjà décidées limiteront donc fortement les dépenses de retraites dans le futur, donc les revenus des retraités. Une évolution dont on commence d'ailleurs d'ores et déjà à mesurer les effets. Le ministère des Affaires sociales publie chaque année un rapport sur la situation des retraités!. Depuis 2008 déjà, ce rapport signale que le montant des pensions des nouveaux retraités baisse régulièrement. Jusqu'à aujourd'hui, celui de l'ensemble des retraités continuait cependant à augmenter, ainsi que celui des retraités ayant atteint soixante-six ans, âge auquel sont en retraite tous ceux (à peu près) qui y ont droit. Mais dans le rapport 2015, pour la première fois, cet indicateur (qui concerne les données de l'année 2013) est en baisse. Pour l'instant, la retraite moyenne continue cependant de s'accroître, mais cela s'explique par le décès de personnes très âgées qui n'avaient eu droit qu'à de toutes petites retraites. Ce mouvement qui ne touche encore que les « jeunes retraités » devrait donc bientôt se généraliser.