Une très chouette petite interview de Vanhamme dans
la libreSuite au décès du dessinateur de "XIII", le scénariste Jean Van Hamme est revenu sur leur collaboration.
C’est un géant de la bande dessinée qui s’en est allé. la semaine dernière. William Vance est décédé à 82 ans. Avec Jean Van Hamme, il formait un tandem mythique de la BD, celui qui a donné naissance à un des personnages les plus emblématiques du 9e art : "XIII". Entre 1984 et 2007, Vance dessinera 18 des 19 premiers albums de la série avant de devoir ranger ses crayons en raison de la maladie de Parkinson. "XIII" aura été un succès colossal avec plus de 14 millions d’albums vendus dans plus de vingt pays ! La saga se poursuit avec aux commandes le scénariste Yves Sente et le dessinateur Youri Jigounov.
Le trait fin et précis de William Vance a fait de lui un maître du dessin réaliste. "Je suis proche des éléments de la nature, terre, eau, feu, air, disait-il. C’est ce qui donne le plus de caractère aux planches. Admettons une séquence, une voiture qui passe dans la rue. Tu ajoutes un peu de pluie, il y a comme un mouvement supplémentaire en dessous des roues, etc., qui n’existe pas par beau temps. Avec des feuilles qui tombent, alors ça pète de tous les côtés. Il faut que le dessin captive tout de suite le lecteur." Quant à ses personnages, il allait les chercher dans cette Amérique qu’il aimait tant façonner à sa guise : "Dans ‘XIII’, je fais mon Amérique comme je l’imagine à partir de mes documents et des éléments qui font authentiquement américain, à commencer par mes personnages, pour lesquels je m’inspire des gars de là-bas. Le général Carrington, c’est Lee Marvin; le major Jones, c’est Whitney Houston; le général Wittaker ressemble à Colin Powell, et maintenant, le président américain dans "L’or de Maximilien", c’est un peu Paul Newman. Je prends des personnages typiquement américains, et quand le lecteur les voit, il sait que c’est déjà l’Amérique."
Jean Van Hamme qui dit de lui que c’était "un extraordinaire décoriste", a accepté d’évoquer celui qui fut son partenaire dans l’aventure "XIII".
Quel homme était-il ?William est un monsieur qu’on estimait beaucoup parce qu’il était honnête, droit et talentueux. C’était un type bien. A l’époque où on a commencé, lui était connu et moi pas ! Mais il me faisait confiance parce que c’est moi qui négociais les contrats avec les éditeurs. Il y a eu une forme de complicité entre nous mais sur le plan professionnel, ce n’était pas une amitié profonde. On n’est jamais parti camper ensemble… La plupart des dessinateurs avec qui j’ai travaillé vivaient à l’étranger (William Vance est parti s’établir en Espagne quand a débuté l’aventure "XIII" , NdlR) , on ne se voyait donc pas beaucoup mais on peut se sentir. Et je ne vous parle pas de Rosinski (avec qui Jean Van Hamme a fait "Thorgal" de 1977 à 2006, NdlR) à l’époque où on mettait trois heures pour téléphoner en Pologne… Avec William, sans contact, on s’est très bien entendu. Je l’ai très rarement vu à part les quelques fois où il est venu en Belgique pour faire la promo de " XIII" . Il n’y a pas eu de nous la classique image avec les mains sur les épaules regardant nos planches. On a toujours eu une relation éloignée, amicale et confiante. Je ne me souviens pas d’une seule fois où il m’ait dit qu’il n’aimait pas tel ou tel passage. Avec mon épouse, nous sommes allés les voir une fois en Espagne, où ils habitaient. Par contre, nous avons toujours correspondu par la poste puis par mails. Je lui envoyais les scénarios et on se téléphonait régulièrement. Il y a encore moins de deux ans, je l’avais en personne au bout du fil mais après ce n’était plus possible.
Vous ne vous êtes pas vus souvent et pourtant, vos bandes dessinées donnent le sentiment d’une totale symbiose entre vos scénarios et les mises en images de Vance…Mes scénarios sont en fait des lettres que j’adresse à mon dessinateur; je lui dis qu’il faut faire ceci, que ceci va l’embêter mais qu’il faut passer par là, etc. Je m’adapte très bien à la manière de dessiner de mon collaborateur et je vais dans son sens. Je lui sers sur un plateau des choses qu’il aime bien faire. Aux dessinateurs qui n’aiment pas faire des chevaux, je leur évite de devoir en faire. Je suis un peu directif et à la fois très souple parce que je ne leur demande pas des choses impossibles. Il faut donner aux gens des choses dans lesquelles ils sont à l’aise et qui les rendent heureux.
Qu’est-ce qui, dans le dessin de William Vance, le rendait si talentueux ?Jean Giraud (notamment créateur de "Blueberry", NdlR) l’avait très bien expliqué dans un texte que je ne retrouve malheureusement plus. N’étant pas dessinateur, c’est difficile à dire. Il avait en tout cas le sens de l’atmosphère. Outre le fait qu’il était un excellent dessinateur pour les personnages, etc., il savait créer des ambiances. Le sachant, je lui faisais du sur-mesure à ce niveau-là. Par contre, il était très mauvais pour les baisers. Quand XIII embrasse Jones, je trouve que ça ne colle pas (rire) . Comme tous les dessinateurs, il était aussi très mauvais dans les pépés. Heureusement, il n’y en avait pas beaucoup dans l’histoire. Et comme tous les dessinateurs, il détestait les pages où deux personnages blablatent dans de gros phylactères en se regardant les yeux dans les yeux. J’essayais donc de lui éviter ça.
Il semblait en tout cas heureux de cette aventure "XIII", non ?Oui et non parce que "XIII" n’était pas la série qu’il faisait qu’il préférait. Sa favorite, c’était "Bruce J. Hawker" . Parce qu’il y avait des bateaux, la tempête, etc. Il n’a jamais osé le dire pour ne pas casser la promo de "XIII" . Il jouait le jeu et il a permis à sa famille de vivre confortablement.