Bill Baroud Jr a écrit:Grand merci à WinSem pour ces précisions sur Sempé.
Du coup, je me pose deux questions, sur lesquelles il pourra peut-être nous éclairer:
1- Quand Sempé refait un dessin, change-t-il son format de départ de façon radicale (pas à deux centimètres près) ou le reproduit-il à l'identique (format des nez excepté
)?
2 - J'aimerais beaucoup croire que la raison de cette multiplicité de versions est liée à l'infatigable besoin quasi névrotique de Sempé de dessiner toute la journée, mais n'est-il pas plus logique de penser que, dans leur grande majorité, ces différentes versions n'existent que pour satisfaire une demande de la galerie Martine Gossiaux, qui le représente exclusivement depuis toujours?
Certes, cette vision des choses est nettement moins noble pour le coup, mais en ces temps désespérément cyniques, je la trouve plus crédible. Votre avis m'intéresse.
Enfin, reconnaissons à Artcurial que son catalogue précisait bien les choses, indiquant la notion de version pour les oeuvres concernées, sans ambiguïté aucune.
Reconnaissons également que les estimations de prix pratiquées par cette belle maison dans le même catalogue, ne faisaient aucune distinction entre "original publié" et "version d'un original publié", considérant donc que dans l'oeuvre de Sempé, cette distinction importe peu. C'est presque mesquin de notre part de la mentionner. Quand je vous disais qu'on vivait une époque cynique...
Bonjour, voici des éléments sur Sempé pour répondre à Busch et Bill.
Tout d’abord, pour ceux qui veulent mieux connaître Sempé, je conseille ses livres récents « Enfances » et « Musiques » où il mélange dessins et histoires personnelles. A voir également le DVD « rêver pour dessiner » ou le documentaire « Sempé dessinateur d’humour » visible sur youtube
https://www.youtube.com/watch?v=ZVxw7mNd6hcMon avis sur les multiples est le suivant :
•Tous les multiples que je connais ont conservé le format du dessin d’origine.
• Pour ses premiers albums (années 60-70), Sempé a refait ses dessins parce que son style avait changé (en mieux), il y avait entre 5 et 10 ans entre la presse et les albums. Les dessins n’étaient pas perdus puisque un certain nombre sont aujourd’hui chez des collectionneurs ou Martine Gossieaux. Les dessins ont été refaits aussi en changeant le style (On est passé des nez pointus au petit Nicolas) et des détails liés à l’époque comme des vêtements, des véhicules,…Après on ne peut exclure que les dessins aient été refaits car Sempé ne les a pas retrouvés à l’époque ou ils étaient bloqués dans le journal de presse. Il y a pu aussi avoir des problèmes de droit entre les journaux et l’éditeur historique Denoël. Mais pourquoi alors cela a pu être publié en Allemagne et en Angleterre dans leur première version ?
• Concernant le style de Sempé de ses débuts : Sempé dans sa jeunesse côtoyait des dessinateurs connus (Trez, Bosc, Chaval,…). Le style de Sempé était proche de ce qu’on trouvait dans la presse humoristique. Il existe ainsi des séries parues dans un journal (France Dimanche ?) avec 4 ou 5 dessinateurs où chacun devait faire un dessin humoristique autour d’une photo d’un appareil ménager (cafetière, lampe à souder, ampoule,…) prise dans un catalogue du type Manufrance. Je crois que Sempé avait utilisé la lampe à souder comme un dragon et avait dessiné une scène moyen-âge autour. Dans les VAE des quinze dernières années (dont Artcurial), on a vu passer certains de ces originaux en série complète ou dépareillée. Sempé était un des jeunes de la « bande » et son style n’était pas encore affirmé. Personne ne s’est jamais amusé à reconstituer ces séries de dessins. Je ne sais pas combien il y en a. J’ai du voir passer cinq objets différents dans les VAE.
• Les livres et documentaires que je cite en préambule montrent des traits de caractère de Sempé, dont il parle aussi en dédicace. Tout d’abord, aussi incroyable que cela puisse paraître, il a eu du mal à joindre les deux bouts jusqu’à sa période New-Yorker (début des années 80) et il a du toujours dessiner pour s’en sortir. Cabu, qui n’a que six ans de moins que Sempé, parle aussi de ce problème dans les années 50-60 où il allait tous les jours dans toutes les rédactions (seul débouché à l’époque pour des dessins) proposer ses dessins. Ensuite, Sempé explique qu’il n’a pas eu la chance de faire des études longues, il a même appris seul à lire en lisant tout ce qui passait sous ses yeux, même des prospectus. Et jusqu’au bout, Sempé s’interrogeait comment il a avait pu faire autant des dessins qui séduisaient des personnes cultivées ou qui provoquaient des réflexions sur la condition humaine. Il m’en avait parlé en dédicace. Du coup, il n’a toujours eu qu’une peur : que l’inspiration s’en aille. Les jours où elle ne venait pas, il redessinait un ancien dessin, parfois pour le mettre au goût du jour, parfois pour le plaisir simple de dessiner. Sempé vit pour et par le dessin (si on n’excepte sa passion pour la musique et le jazz).
• Il n’y aucune manœuvre commerciale derrière cela. Martine Gossieaux, aujourd’hui son agent, est, pour ce que je vois de nos discussions, une personne qui aime foncièrement le dessin et les artistes. Elle fait avec Sempé très peu de produits dérivés, et tout le temps de qualité. Les seuls droits qui lui échappent sont ceux du petit Nicolas qui sont suivis avec Anne Goscinny et son mari. Ce qui explique l’explosion du merchandising autour. D’ailleurs, pour l’anecdote, elle n’a l’exclusivité que depuis peu. Entre les années 1980 et les années 2000, la galerie Bartsch & Charriau de Munich (Mme Charriau est française) exposait régulièrement du Sempé. Ils sont à l’origine de la diffusion des originaux de Sempé en Allemagne où il y a beaucoup de collectionneurs. La conséquence de leur exposition sur l’album « Les musiciens » en 1981 est que plusieurs des originaux sont aujourd’hui en Allemagne.
• Pour ceux comme moi qui viennent de la BD, c’est difficile au premier abord d’appréhender ces multiples. On voit plus cela en dessin d’art ou en peinture. J’avais évoqué le sujet avec Martine Gossieaux il y a quelques années en lui disant que cela pouvait surprendre des collectionneurs. Elle avait sincèrement découvert le problème. Ce n’est peut-être pas un hasard si les notices d’Artcurial ont été soignées pour leur vente.
• Je pense qu’il faut aujourd’hui être assez serein avec cela. Tout d’abord, il n’y a pas autant de multiples que cela. Si multiple il y a, il faut privilégier la qualité et la publication. Les collectionneurs de Sempé dépassent largement le monde de la BD (qui se réfèrent aux planches servant aux albums), ils ne sont pas sensibilisés à ce problème du moment qu’ils sont informés. A titre personnel, j’ai deux originaux publiés dans la presse (Pour un c’est sûr, pour l’autre moins sûr) qui sont beaucoup plus jolis que les versions en album.
Pour information et cela fera une bonne conclusion, à la fin du dernier album de Sempé, Martine Gossieaux (je crois) fait appel aux collectionneurs pour aider à la constitution d’un catalogue raisonné. Cela sera un énorme travail mais je peux vous dire qu’il y a potentiellement beaucoup de trésors inconnus à découvrir. Et on pourrait comparer certains multiples…