« Quelqu’un à nous »
C’est ce qu’avait dit ce salopard de Soloviov, un des pires propagandistes poutiniens, en mars 2022, à propos de Tulsi Gabbard. Il disait mieux : « nacha podroujka, chto govorit’, » que je traduirais par « notre copine, et pas qu’un peu peu ». C’était, donc, en mars 2022, dans un contexte où, au début de la guerre, il disait que tous les USA ne suivaient pas Biden, et que ce n’était que Biden qui s’était donné comme objectif de « changer le pouvoir en Russie ». Trump, poursuivait-il, – pas du tout, au contraire.
Aujourd’hui, trois ans plus tard, Tulsi Gabbard est à la tête du contre-espionnage des USA, après avoir défendu Poutine bec et ongles, à chacune, ou quasiment, de ses déclarations publiques pendant trois ans, et aussi Assad, et j’en passe. Bref, il n’y a plus de contre-espionnage aux USA, – et cette disparition s’est jouée en moins de deux semaines. Il n’y en a plus, je veux dire, vis-à-vis de la Russie (et de la Chine, puisque, parallèlement, des fichiers de la CIA contenant des noms d’agents ont été rendus publics en étant envoyés par email, si j’ai bien compris, d’une administration à l’autre. Les USA, aujourd’hui, ont d’autres ennemis que Poutine.
En fait, – je ne parlerai ici que de la politique extérieure –, il faut se rendre à l’évidence. Il n’y a pas de Trump. Trump n’existe pas. Il n’y a qu’une espèce de baudruche et, celui qui la fait parler, cette baudruche, celui qui la fait agir, c’est Poutine. Oui, véritablement, pour Poutine, Triump est « quelqu’un de chez nous » (en russe : nach tchélovek), et ce n’est pas pour rien que Douguine, l’idéologue fasciste en chef de la Russie, ne tarit pas d’éloges à son égard – si tout l’appareil d’État russe, en fait, ne tarit pas d’éloges égard, au point comique où l’un des thuriféraires les plus connus de Poutine (et des plus avinés), le général Gourouliov, qui hantait les émissions de Soloviov et était célèbre par ses déclarations fracassantes contre « l’Occident global » et l’Ukraine, que ce type, donc, a disparu des antennes, après une énième incartade : il n’avait pas compris, aviné comme il l'était, que, depuis l’élection de Trump, les temps avaient changé et il avait continué à à dénoncer la politique des USA... Bref, il a été, officiellement, « puni », et on ne le voit plus à l’antenne.
Mais, sérieusement, toute l’attitude de Trump, toutes ses exigences, ce sont les exigences de Poutine lui-même : la paix, avec des concessions de territoires, et, surtout, surtout, les dommages de guerre : quand Trump exige le remboursement des frais que les USA ont avancés, frais qu’il chiffre à 500 milliards de dollars (je ne discuterai pas du chiffre), en s’emparant, purement et simplement, des richesses naturelles encore à exploiter sur le territoire de l’UKraine, qu’est-ce d’autre que ça, – des compensations payées par le vaincu au vainqueur, sauf qu’elles seront payées, ces compensations, non pas directement au vainqueur, mais au pays qui était à la tête de l’alliance sensée le défendre contre l’agression russe. Compensations et désengagement, – c’est-à-dire que l’OTAN va se retrouver, à plus ou moins brève échéance – à très brève échéance, – être une alliance uniquement européenne. Avec, de plus, l’injonction faite à l’Europe par le Secrétaire à la Défense, Peter Hegseth, de porter son budget militaire à 5% (quand celui des USA, qui l’exigent, est de 3, 4), et d’acheter leur matériel, évidemment, aux USA. – Ce Pete Hegseth étant lui-même un cas, puisque outre le fait qu’il avait été poursuivi pour (de nombreux) délits sexuels, et qu’il est profondément alcoolique (il suffit de voir la façon dont il boit de l’eau (à moins que ce soit de la vodka ?) avant de répondre à chaque question), et sans parler du fait qu’il explique que, lui, il ne croit pas aux microbes « parce qu’on ne les voit pas », et que, donc, ça fait je ne sais pas combien d’années qu’il ne se lave pas les mains, – à la question d’une journalisme de savoir si une paix pouvait être imposée à l’Ukraine, c’est-à-dire juste signée entre Poutine et Trump, il ne répondait rien, laissant comprendre que c’était bien cela qui était en cours. Un type pareil à la Défense est une façon de détruire la Défense des USA, et il est sans doute là pour ça.
– Et, hier encore, cet outrage lancé par Vance, à la conférence de Munich, censément consacrée à la sécurité, en défendant les élections truquées de Roumanie et l’éviction, par la Cour suprême de Roumanie, du fasciste poutinien qui était arrivé en tête, – et je ne parle pas de la défense des militants anti-avortement, des groupuscules d’extrême-droite, et de toute cette soi-disant leçon de morale prononcée par un homme qui considérait que c’est la liberté d’expression qui était menacée dans l’Union européenne, et qui ne disait rien, pas un mot, de ce qui se passe en Russie et dans les territoires occupés de l’Ukraine (et je ne dis rien de la politique pro-Nétanyahou). Bref, ce n’était pas Trump qui parlait, et pas Vance (Vance est, de fait, potentiellement, beaucoup plus dangereux encore, parce qu’il est jeune), mais, tout simplement, c’était Poutine lui-même, qui parlait par la bouche de ses propagandistes, et c’est bien cela qui était saisissant pour quiconque regarde les émissions officielles russes : tous les arguments de Vance sont, directement ou par miroir, des citations des émissions de Soloviov. Il n’y a rien d’autre, aujourd’hui, au pouvoir aux USA, et donc, au pouvoir dans le monde, que des pantins qui reprennent les antiennes poutinistes : la dénonciation des « ennemis intérieurs » (en l’occurrence les démocraties laïques), la défense des valeurs chrétiennes (comprises comme nous savons), la condamnation de la démocratie en général sitôt qu’elle essaie, elle, de se protéger de la violence, verbale ou physique, de ses ennemis, et, surtout, le mépris pour les pays de l’Union européenne.
*
Il s’agit bien de cela. Poutine (je veux dire Trump, pardon), parle avec Poutine, mais il ne parle pas aux États européens, et les relations entre la Russie et les USA seront bilatérales, au mépris, c’est le cas de le dire, des accords internationaux, au mépris des trois ans théoriquement passés à défendre l'Ukraine.
J’écris : « théoriquement ». J’ai passé mon temps à le dire, depuis avril 2022, que, cette soi-disant défense, c’était tout sauf une défense, parce qu’elle essayait, dans la mesure du possible, de ménager la chèvre et le chou, de comme l’avait dit Macron, « ne pas humilier la Russie ».
« Ne pas humilier la Russie ». C’est peut-être cela qui restera de sa catastrophique présidence : à force de ne pas vouloir « humilier la Russie », et de se faire humilier soi-même de toutes les façons, que reste-t-il aujourd’hui au camp des démocraties occidentales que de subir, chez soi, les outrages d’un discours comme celui de Vance. Et Pistorius, le ministre de la Defense allemand (un ministre en sursis, comme le sont quasiment tous les ministres de tous les États européens, à cause de l’instabilité entretenue dans chacun de leurs parlements), Pistorius, donc, aura beau dire publiquement, à la même tribune, que c’était « inacceptable », quelle importance ? Vance a parlé, il est reparti tout de suite, il n’avait rien à faire de personne dans la salle, parce qu’il ne parlait pas à la salle, ni à l’Europe. C’était un épisode, quasiment comique, de ventriloquie. Celui parlait était, disons, Douguine, et Vance ne faisait que remuer les lèvres.
*
De toute façon, l’Europe se retrouvera seule – elle l’est déjà. De toute façon, la paix qui sera conclue, sans l’Europe, et sans l’Ukraine, impliquera de nouvelles guerres dans les années qui viennent, puisque, je le répète, Poutine ne peut plus exister sans la guerre : le budget militaire russe, lui, est à quelque chose comme 40% de toutes les dépenses, c’est-à-dire que le régime, s’il ne fait pas la guerre, s’effondrera – et la crise économique, la crise sociale, l’effondrement provoqué par la violence endémique et la corruption, tout cela met, aujourd’hui même, un pouvoir qui semble tout puissant et qui est très fragile. Un pouvoir qui ne tient, réellement, que sur la désignation d’un « agresseur », et sur la guerre. Ce « copain » qu’est Donald Trump est là pour donner à Poutine les trois-quatre ans dont il a besoin pour imposer définitivement la terreur de masse à l’intérieur et reformer son armée – une armée à l’extrême limite de l’épuisement, malgré ses avancées, centaines de mètres par centaines de mètres (mais l’armée ukrainienne est dans le même état).
Ce qui se joue, en fait, c’est l’existence même des démocraties occidentales, attaquées, aujourd’hui, sur deux fronts. Soit les États européens auront la force d’un sursaut, soit il faudra apprendre à vivre, nous aussi, sous dictature. Et, sérieusement, c’est la raison pour laquelle je hais, de toutes mes forces, ces belles âmes qui tracent un signe d’équivalence entre les deux camps, celui des démocraties occidentales et celui de Poutine. Je sais ce que c’est que de ne pas aimer un gouvernement, un président, une politique, ici, en Occident. Je sais ce que c’est que vivre sous la terreur, en Russie, ou ailleurs (mais, pour la Russie, je sais vraiment, par expérience). Je sais que ce n’est pas pareil. Cette terreur qui s’avance, je ne la souhaite à personne. – Il faudra bien y résister. Parce qu’aucun des thuriféraires de cette terreur ne dira jamais, parlant de moi ou de la plupart des gens qui lisent ces mots, « il est à nous ».