Olaf Le Bou a écrit:hier soir :
un album qui doit complètement passer au-dessus de la tête des jeunes générations n'ayant pas connu la guerre froide et l'époque du bloc soviétique (car il n'y a aucune mise en contexte, les auteurs présupposent que le lecteur est parfaitement au fait des relations entre les pays du pacte de Varsovie depuis l'après-guerre). mais sinon c'est un très beau condensé d'Histoire, avec une narration sans lourdeur, des dialogues savoureux, des portraits bien dressés, et le dessin typiquement bilalien du début des 80's.
Jeff70 a écrit:"Partie de chasse" est l'un des tous meilleurs albums de Bilal, et reste l'un des chefs-d'oeuvre de la BD franco-belge.
Cooltrane a écrit:ulys a écrit:Je m'y suis ennuyé ferme pour ma part, c'est le seul souvenir que je garde de cette BD !
Idem pour les Phalanges
Phalanges est fantastique, une excellente aventure...
>> une relecture pour tous les jours
Par contre, Partie de Chiasse, c'est plus subtil ... je peux totalement comprendre qu'on passe à travers, aussi bien alors (c'est pas vraiment excitant comme lecture, c'est limite "technique") qu'aujourd'hui: le contexte déjà assez dépassé à sa sortie, alors 35 ans + tard.... si mémoire est bonne, l'histoire se passe dans les 60's. >> là, je dirais qu'il faut vraiment en avoir l'envie spécifique de le relire
Mais dans l'ensemble, les deux restent du grand art
Je viens de le relire (ça doit être ma troisième lecture en trente-six ans, depuis sa parution en 1983 (sans tenir compte de la parution saucissonnée en trois ou quatre tranches dans le mensuel Pilote). Si je le relis avant 2023, ça me fera une lecture par décennie.
Je rejoins totalement l'enthousiasme et les avis postés ici par Olaf, Jeff70 et Cooltrane (qui reconnaît que c'est malgré tout du "grand art", après avoir renommé l'opus "Partie de Chiasse").
Petite précision puisque certains ont un doute : ce récit formidablement écrit par Pierre Christin
(dont je ne suis pas spécialement un grand fan, mais je lui accorde un sacré talent d'écriture) et somptueusement mis en images par Enki Bilal
(une de ses trois ou quatre meilleures BD, assurément) à une époque où il pratiquait encore le contour au trait
(sans s'interdire pour autant la mise en couleurs directe) ne se déroule ni dans les années 60, ni dans les années 70. Il est tout simplement contemporain de sa création, c'est-à-dire que les faits décrits sont censés avoir lieu en 1983.
Pour ceux qui l'ont lu et qui en douteraient,
reportez-vous à la quatre-vingt-deuxième et dernière planche, plus précisément à la seconde et ultime vignette de l'album.
Pour les autres, comme le Tapir, qui vont bientôt se plonger dans ce récit, surtout n'ouvrez pas l'album à la dernière page, même avec la vue basse et sans avoir chaussé vos éventuelles lunettes, il y a un gros risque de spoil. Ce serait dommage.
Pour cette relecture, j'ai épargné mon eo parce qu'en 2006, j'avais offert au gamin l'album double intitulé "Fins de siècle" comprenant
"Les Phalanges de l'Ordre Noir" et
"Partie de chasse".
Et cet album avait l'avantage de comporter une sorte d'épilogue intitulé
"Epitaphe" sous la forme d'un récit illustré raconté par l'un des protagonistes (je ne dis pas lequel pour ne pas spoiler) et se terminant par de pseudos coupures de journaux (Le Monde, Libération et Le Figaro), ce petit cahier supplémentaire venant habilement conclure et apporter en 2006 un éclairage supplémentaire à cette histoire datant de 1983.
J'étais donc ravi de pouvoir profiter de ces pages additionnelles qui constituent un prolongement réussi et assez plausible à l'histoire d'origine.
Mais quelle déception de découvrir dans la BEL que l'édition anniversaire de 2013 (un TL) comporte encore des pages supplémentaires avec un récit intitulé
"La huitième soeur". Combien faut-il posséder d'éditions différentes d'un même album pour avoir le véritable mot de la fin ?
Là, c'est bien la peine (pour les auteurs, j'entends) de se revendiquer d'une certaine gauche
(éclairée, puisque n'hésitant pas à pointer les pires travers de certains régimes auxquels ils aspiraient...) si c'est pour priver le populo du contenu additionnel exclusivement réservé à un tirage de luxe.
Si quelqu'un qui sait avait l'amabilité de nous en dire plus sur ce bonus ?
Cooltrane a écrit:par contre, Partie de Chasse, c'est plus subtil ... je peux totalement comprendre qu'on passe à travers, aussi bien alors (c'est pas vraiment excitant comme lecture, c'est limite "technique") qu'aujourd'hui: le contexte déjà assez dépassé à sa sortie, alors 35 ans + tard.... si mémoire est bonne, l'histoire se passe dans les 60's.
Le contexte n'était pas dépassé à la sortie puisque l'histoire se déroulait en 1983. Mais en revanche, je suis d'accord avec Olaf
Olaf Le Bou a écrit:plutôt dans les années 70, les évènements de 68 (Prague) sont évoqués au passé. mais parler d'un contexte dépassé qui amoindrirait l'intérêt du bouquin n'a pas vraiment de sens, sinon la BD historique n'existerait pas. la difficulté c'est plutôt comme je le soulignais l'absence de contextualisation, qui présuppose que le lecteur connait les subtilités du bloc communiste entre 45 et 70.
En effet.
Tel lecteur de 1983, peu familiarisé avec certains pans de l'histoire concernant les pays du bloc de l'Est postérieurement à la Révolution d'octobre
(purges staliniennes des années 30, Grande guerre patriotique, domination de l'URSS sur les "pays frères" entrés parfois au forceps dans les forces du Pacte de Varsovie, hégémonie pouvant aller jusqu'à l'intimidation ou l'usage de la force (le soulèvement ouvrier de Berlin en 1953 -non mentionné dans Partie de Chasse-, Budapest 1956, Printemps de Prague 1968, etc...)) pouvait déjà se heurter aux mêmes difficultés de lecture et de compréhension qu'un jeune ou moins jeune lecteur d'aujourd'hui.
Perso, l'histoire du communisme et les accords de Yalta qui avaient débouché sur la Guerre Froide me fascinaient (tout en me faisant horreur, bien davantage qu'aujourd'hui) depuis mon adolescence... Mais parmi mes potes bacheliers
(ces événements ne figuraient pas au programme de l'enseignement dispensé de la 4ème à la terminale) comme parmi ceux qui avaient quitté assez tôt l'enseignement général vers la 3ème pour se lancer dans des cursus professionnels et techniques, rares étaient ceux qui avaient véritablement, en cette époque mitterrandienne
(François Mitterrand fut élu en 1981 sur un programme d'union de la gauche, intégrant dans son premier gouvernement des ministres communistes) une vision claire ou même seulement quelques notions élémentaires de ce qui s'était passé dans une large partie de l'Europe, pas loin de chez nous et pas à l'autre bout du monde au fin fond de l'Océanie.
A vrai dire, je pense que ça ne passionnait pas forcément grand monde...
Il fallait alors, pour celle ou celui qui s'y intéressait, faire l'effort d'aller à la rencontre de cette partie de l'histoire qui ne venait pas à nous pour des tas de raisons. Il fallait se procurer des ouvrages, s'efforcer de ne pas louper certains films ou émissions au moment de leur programmation (quand il n'y avait pas le net, les enregistrements avaient un caractère éphémère, ils vous "glissaient entre les doigts" faute d'un support disponible en permanence), etc...
Les Phalanges de l'Ordre Noir, qui se déroule en 1979 et nous présente deux groupes de vieillards qui, après s'être battus durant la Guerre d'Espagne s'affrontent à nouveau, est une BD d'action en comparaison de
Partie de Chasse, qui semble engluée dans une certaine inertie.
Mais ce parti pris est volontaire, me semble-t-il. Pour mieux épouser, dans chaque cas, le contexte.
Les événements de 1979 des Phalanges font écho à la violence déchaînée de la Guerre d'Espagne. Malgré les rhumatismes, les vieux n'ont rien perdu de leur hargne ni de leur volonté de régler leurs comptes dans le sang.
Dans
Partie de Chasse, en 1983, en pleine ère brejnevienne, l'URSS s'enlise, le monde communiste stagne. Le système, qui se dit révolutionnaire, semble vouloir tout figer, craindre toute évolution. Régulièrement des staliniens ont repris le contrôle des affaires dans différents pays du bloc de l'Est, faisant échec aux réformes (voulues par des communistes).
Attention, spoil.
De vieux apparatchiks qui ont connu tous les errements du système mais veulent continuer à y croire, aspirant plus ou moins à des réformes concernant à la fois l'URSS et les relations de cette fédération avec ses satellites, vont profiter d'une partie de chasse dans une datcha pour éliminer physiquement celui qui pourrait constituer une entrave à leurs espoirs. Tous sont communistes et veulent croire à un avenir radieux. Mais on découvre peu à peu, grâce à Christin qui avance ses pions avec une grande habileté, le complot qui se trame.
La tragédie à laquelle le lecteur est convié va se dérouler dans une atmosphère de huis clos oppressant qui convient parfaitement à ces régimes de l'Est, repliés sur eux-mêmes, retranchés derrière un rideau de fer qui se voulait hermétique (on s'exposait aux rafales de Kalashnikov AK-47 en voulant le franchir dans le mauvais sens).