Le grief qui est fait aux Melons de la colère ne concerne pas tant une complaisance à l'égard du viol que la scène incestueuse entre Petit Paul et sa soeur (et il n'y a aucune punition à la fin à ce sujet). C'est sur cette unique scène que Brian Addav base sa mise en accusation.ubr84 a écrit:Il n'a pour moi rien à voir avec Petit Paul, dans celui là les violeurs de la jeune fille sont punis à la fin -> cela fait tomber une partie des accusations de complaisance de Vives vis à vis du viol dans celui là.
Mais comme je l'ai dit, ce que je veux faire valoir n'est pas tant la présence de certains éléments comme probants par eux-mêmes, que la façon dont ils sont délibérément utilisés pour susciter une certaine réaction. C'est ce qui est crucial. J'ai dit aussi qu'il était important de voir l'ensemble des caractéristiques, et non en isoler ou décontextualiser certaines. Je pense qu'on peut montrer 1° que la façon dont la surdimension de l'organe de Petit Paul est utilisée dans le récit, ainsi que le contexte dans lequel se trouve cet élément servent une fin humoristique ; 2° que d'autres éléments que j'ai mentionné tendent à réfuter l'idée d'un procédé d'"hypersexualisation" de la part de l'œuvre. (Quoique le terme soit équivoque, car en un sens, c'est bien une "hypersexualisation", mais celle-ci sert une fin humoristique et non d'excitation sexuelle, or c'est ce qui importe.)papyjulio a écrit:Comme par exemple la taille du pénis de l'enfant qui peut être considéré comme burlesque d'un coté ou de l'hypersexualisation d'un enfant de l'autre...
On en revient là à ce que disait Toque page 30 et je te ferai donc la même réponse que j’ai faite à ce moment-là. Une œuvre est (et doit être) autonome : pour comprendre, interpréter, analyser une œuvre quelle qu'elle soit de façon objective, il faut uniquement tenir compte des éléments qu'elle contient objectivement et exclure ce qui en est extérieur (et notamment les propos de l'auteur sur son œuvre, ses intentions déclarés, etc.). C'est-à-dire que même si Bastien Vivès disait que ses BD sont pornographiques et destinées à exciter sexuellement son lectorat (ce qu'il n'a jamais dit à ma connaissance), cela ne changerait pas son œuvre. Dans une telle hypothèse, je considérerais toujours que ses albums ne contiennent pas cela, quoi qu'il dise. Et je pourrais être simplement en désaccord avec lui.papyjulio a écrit:Ce qui reste c'est l'intentionalité ou non de l'auteur de faire du porno. C'est là que les propos de Vivès prennent toute leur importance et montre assez clairement que l'excitation, le désir, les tabous et les fantasmes que ses BD peuvent déclencher sont clairement des moteurs de son œuvre.
Ensuite, il faut se méfier du biais de confirmation. Lorsqu'on aime pas une personne, qu'on a déjà un préjugé en tête, et surtout lorsqu'on est enclin à faire un procès d'intention sans preuve, on peut aisément réunir des citations éparses qui veulent dire et parlent dans leur contexte de diverses choses précises (que l'on néglige), mais dont la moindre équivoque est exploitée pour servir la thèse qui a déjà été posée dès le départ et attribuer rétrospectivement à des propos une signification qu'ils n'avaient pas nécessairement. Surtout lorsqu'il s'agit de propos spontanés, par opposition à des propos écrits et réfléchis. (Les théories du complot notamment fonctionnent souvent avec ce genre de biais. Vivès a d'ailleurs caricaturé leur utilisation dans son album L'affaire Bastien Vivès lorsqu'il se retrouve dans un stage sur la pédophilie, qu'il dit "J'pensais qu'il y aurait d'autres personnes..." et qu'on lui demande : "Vous trouvez qu'il n'y a pas assez de pédophiles en France ?") Nous avons déjà vu comment, dans la citation "l'inceste ça m'excite à mort" prononcée par Vivès, le verbe "exciter", dont l'usage dans le contexte entier indiquait qu'il s'agissait d'excitation intellectuelle de traiter des sujets tabou a été détournée de son sens par les accusateurs de Vivès.
Il est donc crucial, concernant les quatre citations que tu as donné, de les sourcer, de les contextualiser autant que faire se peut et de s'assurer de ne pas les détourner de leur sens.
- La première citation que tu donnes provient de cette interview pour Radio Nova en décembre 2017, à l’occasion de la sortie de Attention chien méchant, avant que la polémique sur Vivès ne commence à éclater.
- La deuxième et la troisième citation proviennent de cette interview de mars 2022 pour le site Paratonnerre, où les deux citations se suivent, mais dans l’ordre inverse où tu les a donnés.
- La quatrième citation provient d’une interview pour Télérama en décembre 2022 où il revient sur les accusations dont il est l’objet.
La première citation fait référence à l'album Une Sœur, qui ne fait pas partie des albums incriminés par la justice. Cet album n'a rien de pornographique (il a d'ailleurs été adapté au cinéma et ce n'est pas un film X). Il raconte le premier amour et les premiers émois d'un adolescent de 13 ans avec une fille de 16 ans, il y a sur les plus de 200 pages que compte l'album quelques cases à caractère sexuel, qui doivent se compter sur les doigts de la main et qui ne sont clairement pas montrées de façon pornographiques. (Un peu comme dans Black Hole de Charles Burns.) Il y a effectivement une atmosphère érotico-amoureuse qui se dégage de cette histoire, mais pas du tout sous forme d'un regard pervers ou lubrique ou pédophile. Si on l'a lu, faire croire que cette BD porterait un regard pervers sur des adolescents de 13/16 ans me semble absurde et indéfendable. À la lecture de l'album, je pense que la réaction que cherche à susciter Une Sœur serait de l'ordre de : "On aurait aimé vivre quelque chose comme ça à l'époque." Il y a donc quelque chose qui relève du "fantasme" au sens large. (Et je ne parle évidemment pas du sexe en particulier, qui ne représente qu’une partie infime de l’histoire, mais de l’ensemble.) Je pense que c'est le sens des propos de Vivès. Par conséquent, ayant lu la BD dont il parle, je peux voir à peu près ce qu'il veut dire parce que j'ai en tête l'objet auquel il fait référence (c'est aussi pour ça que l'intervieweur n'a pas été choqué, mais il aurait dû lui demander de clarifier)... tout en pensant qu'il a été maladroit dans ses propos, notamment dans l'enchaînement des phrases. Mais il ne pouvait pas forcément anticiper alors, dans cette prise de parole spontanée de quelques secondes, ce qui allait arriver quelques années plus tard.
La deuxième et troisième citation concernent Les Melons de la colère et Petit Paul. Lorsqu'il dit "j'ai du me défendre en disant que c'était une farce alors qu'au contraire, c'est une bande dessinée que je voulais très sérieuse" il n'est pas en train de nier la dimension humoristique, et la preuve de cela, outre la BD qui parle d'elle-même et qu'on peut lire, c'est ce qu'il dit juste avant, c'est-à-dire dans la troisième citation (qui se trouvait juste avant la deuxième dans l'interview) où il dit que ces BD sont humoristiques et faites pour rire, en ajoutant simplement qu'elles comportent aussi un côté sérieux : "...j’ai toujours aimé l’humour avec des gros sabots. Rire de la sexualité permet de la dédramatiser. En même temps, je l’aborde aussi sous un aspect sérieux." Mais ce "côté sérieux" ne signifie pas qu'elles sont faites pour exciter sexuellement leur lectorat, ce serait faire un raccourci et un procès d'intention. Il dit que le côté sérieux qu'il attribue à Petit Paul, est une métaphore sur les capacités hors normes (tel un dessinateur qui a du talent), cela n'a donc rien à voir. Et lorsqu'il dit "c’est plus de l’érotisme que de la pornographie" je pense qu'il veut justement indiquer le fait que ses BD ne sont pas pornographiques, et qu'il emploie le mot "érotisme" par opposition à "pornographique" pour souligner le fait que ses BD ne contiennent pas du sexe pour du sexe (c'est-à-dire pour de la masturbation), mais à des fins autres justement, qu'il y a une histoire et que c'est ça qui est vraiment important.
La quatrième citation parle de "fantasme" (dans un sens qui peut être large) et de désir, et personne ne nie que ces sujets existent dans ses BD — toute la question étant le registre qu'il utilise pour en parler — mais jamais il ne dit que ses BD sont pornographiques, faites pour s'exciter et se masturber. En outre, si on considère que les propos de l'auteur peuvent déterminer la signification objective de l'œuvre (ce avec quoi je ne suis pas d'accord pour de multiples raisons), alors il faudrait prendre en compte tous les propos, et pas seulement ceux qui arrangent une certaine thèse. Dans la même interview dont provient cette citation, Bastien Vivès dit aussi ceci par exemple : "Si l’on prend toutes les interviews que j’ai données, il y a bien des moments où je fais de la provocation, mais aucune où je dis sérieusement : 'L’inceste est une bonne chose.' En revanche, j’ai pu avoir des discussions sur la représentation de l’inceste, ou la différence entre représentation et apologie." et à la même période (mi décembre 2022), il dit aussi : "Je condamne la pédocriminalité, ainsi que son apologie et sa banalisation. (...) En aucun cas mes livres ne doivent être lus sous le prisme de la complaisance envers ces crimes. (...) Mes quatre livres dits "pornographiques" (...) s'inscrivent dans un genre burlesque humoristique." Note bien qu'il a écrit : "dits "pornographiques"" avec le "dits" et en mettant "pornographique" entre guillemet avant d'indiquer ce qu'il considère être le genre de ses BD : l'humour.
Dans le film Le Nombre 23 avec Jim Carrey (qui n'est pas forcément un grand film mais qui a cet aspect intéressant), ce dernier a l'idée que le nombre 23 serait la clef de tous les mystères de l'univers. Et partant de cette hypothèse complètement arbitraire, il voit le nombre 23 absolument partout et il lui attribue toujours une signification mystique, parce qu'il a cette idée en tête dès le départ, donc il voit ce qu'il a envie de voir, trouve ce qu'il cherche et l'aurait trouvé quelle que soit la réalité. Si on prend la culpabilité de Vivès pour point de départ, on va interpréter tout ce qu'il dit et fait dans ce sens, rassembler tout ce qui pourrait être interprété dans ce sens de près ou de loin, en négligeant tout ce qui contredit cela. C'est souvent ainsi que fonctionne un biais cognitif.