de JC DERRIEN » 01/10/2007 08:13
L'auteur est Myllonn :
"De Lord Henry Westminster, le IIIème
Chargé des relations indiennes auprès de sa majesté, Lord Lytton, vice-roi des Indes
Calcutta, Bengale occidental, le 18 juin 1880
A l'attention de Miss Prudence Endicott,
Londres, Angleterre
Chère amie,
Voilà bientôt huit mois que je désespère d'avoir de vos nouvelles. Depuis votre départ pour notre mère patrie, nombre de mes lettres est resté sans réponse. Aussi, en raison de notre grande amitié et de nos conversations passées, ai-je décidé, et je vous prie de me pardonner si ce geste vous paraît quelque peu cavalier, de mander aide et nouvelles à votre sujet auprès de mes relations sur le sol britannique.
Ce qui me parvint de mes recherches, me jeta dans la perplexité et ce brin de scepticisme qui, pour un gentleman tel que moi, ne manqua pas de me faire réagir. Que l'on m'apprenne que vous restez dans un état d'abattement suite à une sordide histoire, tout projet abandonné... Je ne pouvais que difficilement croire ces nouvelles. Mais tout homme occupé que je suis par les affaires de la couronne, je ne pouvais vous abandonner de la sorte, même si mers et continents nous séparent.
Le destin nous joue parfois des tours bien étranges. Si mon analyse de votre situation est bonne, lors de notre première rencontre, nos rôles étaient inversés. Vous rappelez-vous en cette occasion notre péripétie ? Je doute qu'elle soit si facile à oublier. Moi, administrateur fraîchement débarqué de notre bonne Angleterre, inculte au possible des coutumes et de la langue des autochtones, et désigné par notre bon vice-roi (sur des bien conseils malavisés) pour prendre la relève du vieillissant Lord Stanton Bradford. Incapable et désespéré - ces termes me paraissent aujourd'hui bien juste – je devais rencontrer, à peine arrivé, un chef de la caste religieuse afin de calmer les tensions permanentes de la population envers le pouvoir britannique.
L'émeute que nous croisâmes en route, moi et mon escorte, ressemblait à s'y méprendre à une embuscade. Tant bien que mal, malmené par un groupe d'individus déguenillés et hostiles, je parvins à leur fausser compagnie. Mais perdu dans la ville noire, au sein de ce ghetto, sans traducteur et avec mon habit typiquement anglais (certes, en lambeaux), je me sentais traqué, abandonné. Je touchais les abîmes de mon incompétence et sentais l'amer goût d'une mort trop proche.
La mort se présenta sous la forme d'un « thug », un de ces assassins de la secte de Kali, comme vous me l'avez appris bien après. Je me rappelle encore avec acuité son long poignard sinueux, et tout aussi bien, son expression incrédule au moment où vous l'avez assommé d'un gourdin de fortune. La divine providence vous a conduit jusqu'à moi, miss Endicott, même si à ce moment, la vie ne me paraissait plus si intéressante.
C'est avec honte que je me souviens encore de mon comportement lors de cette si étrange affaire. Même si cela m'a donné matière à réflexion par la suite. Vous, habillée à l'indienne, dans votre sari de soie safran et aux belles manières si anglaises, qui me traîniez dans le dédale des rues sales et d'une population dont je ne comprenais à l'époque pas grand chose. L'assassin n'étant pas seul, malheureusement, nous étions poursuivis. Si bien que plutôt que de me ramener à ce que j'appelais la civilisation, vous avez décidé de me cacher auprès de connaissances locales.
Ce sont les deux journées qui suivirent qui m'ouvrirent les yeux et l'esprit. Grâce à votre soutien, votre prévenance et votre endurante personnalité, vous m'avez présenté ce qu'est l'Inde et son histoire. Non celle des manuels anglais, mais celle des petites gens et des coutumes héritées par la sagesse populaire indienne. Vous qui m'avez fait aussi assez confiance pour me raconter une part de votre histoire, votre famille et surtout vos rêves. J'ergote sûrement, mais peut-être m'avez-vous vu comme une figure quelque peu paternel à ce moment. Sachez toutefois que vos paroles resteront à jamais graver dans ma mémoire et mon coeur, et que je ne trahirai jamais votre confiance.
Vous sembliez autant apprendre des gens que vous côtoyez qu'ils appréciaient votre aide et votre dévouement dans la misère dans laquelle ils vivaient. Je vous voyais toujours motivée et prompte à aller de l'avant pour prêter main forte à tous ceux qui avaient besoin de vous. Un coeur fort et inébranlable. Deux jours marquants, inoubliables, tout comme l'ont été nos rencontres une fois cette aventure terminée.
Votre exemple me donna résolution et motivation afin de servir au mieux les intérêts de tous, au mieux de mes capacités. Certes, je ne pouvais agir pour sortir de la misère le monde qui m'entourait, mais le brin de la vie que vous m'avez montré, résonnait comme un défi. Une fois revenu dans le palais du gouverneur, je me mis sérieusement au travail, demandant même à apprendre la langue locale (même si ma prononciation limitée reste encore un horrible baragouinage). Si ma motivation semblait fléchir, vos paroles encourageantes lors de nos (trop rares) séances où nous prenions le thé, suffisaient à retrouver l'ardeur de faire au mieux mon travail.
Votre départ fût pour moi un triste événement, mais pour aller de l'avant, une séparation est parfois nécessaire. J'ai aussi appris par mes agents le sort de votre parente, et c'est avec grand retard, que je vous adresse mes sincères condoléances. A la vue de votre personnalité et de ce que vous m'en avez raconté, j'aurais bien voulu faire connaissance avec feu votre mère, une femme d'exception, j'en suis sûr. Je m'avance sûrement, mais je doute que sa perte soit à l'origine de votre détresse actuelle. Je vous connais forte, battante et prête à aller de l'avant, même si le monde s'écroulait autour de vous.
Je vous conjure donc, Prudence, de vous ressaisir, d'être de nouveau vous-même. J'aimerai vous insuffler cette énergie vitale, cette brise d'espoir que vous m'avez transmis alors que j'allais au plus mal. Mais même si je n'ai pas votre don, j'espère que les mots que vous lirez dans ce courrier vous redonneront quelque peu l'envie de reprendre vos rêves en main.
Je pars demain pour le pays Afghan avec Lord Lytton. Depuis que l'assassinat de notre ambassadeur et l'éviction de l'ancien dirigeant, plus personne ne mène le pays, si ce n'est les armes, et le chaos semble grandissant. C'est en qualité de conseiller que j'accompagne le vice-roi. Même si je ne connais pas tout à fait la culture de ce pays, j'espère que votre enseignement et votre force morale m'aideront à ramener un peu de paix et à porter de bons conseils.
A mon retour, je prie pour trouver de vos nouvelles, et d'excellentes, il va de soi. Je ne sais encore si je reviendrai prochainement sur le sol britannique - sûrement une question d'années – mais je me ferai alors une joie de vous revoir et de vous inviter en ma demeure de Stratford-upon-Avon. Et comme le disait un célèbre individu de ce bourg, l'esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l'amitié le console.
Avec vaillance, patience et amitié,
Lord H. Westminster, IIIème
Dieu sauve la Reine."