de Jimbolaine » 08/08/2022 18:31
Je lis les colonnes du forum sans beaucoup participer (les journées n'ont que vingt-quatre heures…) mais l'envie me démange depuis quelques jours de venir déposer ma petite pierre à l'édifice.
J'avais entendu parler de ce projet bien des années plus tôt, sans doute au détour d'une interview soit de Tota soit de Brunschwig, et quand j'ai lu que l'affaire allait se concrétiser, j'ai tendu l'oreille et levé le sourcil (ou l'inverse…), animé d'une grande curiosité. J'ai beaucoup apprécié Photonik dans ma jeunesse, et la rencontre du personnage et d'un auteur dont j'apprécie grandement le travail m'emballait par avance. J'ai suivi les trois tomes que j'ai lus avec appétit. Et dans l'ensemble, j'ai beaucoup apprécié. Notamment la capacité à faire se rencontrer un discours social fort et engagé avec l'imaginaire super-héroïque. Le choix de l'Amérique des années 1970, pourquoi pas : ça correspond peu ou prou à la période de création de Photonik, et c'est aussi une période riche en métamorphoses. Mes seuls menus bémols concernent peut-être les marquages des niveaux de langage (les élisions à répétition me semblent un peu forcées) et le fait que j'attendais avec impatience la réunion des trois personnages (incarnant les trois âges de l'homme, selon le modèle choisi dans Photonik et repris de Blek ou Zembla, un passage obligé de la BD popu, la BD de gare…), réunion qui ne sera que brève, le temps d'une case. Nulle doute que cette attente de fan chez moi aurait été satisfaite dans de potentiels tomes 4 et suivants. Autant dire que ces bémols sont riquiquis.
Quant aux super-héros, ma foi… Je navigue dedans depuis des décennies. J'en lis depuis plus de quarante ans, j'ai travaillé chez Semic, je traduis pour Delcourt, Huginn, Panini, Akileos, Urban, j'ai écrit plusieurs ouvrages sur le sujet (consacrés à Strange, à Frank Miller, à Stan Lee, au genre lui-même…), et même mes scénarios sont teintés de l'influence des justiciers en collants et autres figures marquantes de la BD américaine (les curieux pourront retrouver des références au Dark Knight dans Grands Anciens, entre autres, et Fredric, William et l'Amazone cause des coulisses des comics dans les années 1940 et 1950). Donc oui, je suis imprégné de ce genre que je connais bien.
Et ce genre, il est protéiforme. Il peut s'adapter à plein de choses, adopter des tonalités et des couleurs différentes, se mêler à des genres voisins, etc. Et quand il franchit l'océan et qu'il est capturé par des auteurs franco-belges, ça devient intéressant de voir ce qu'ils en font. J'ai sans modestie aucune cité mon dernier album en date, mais je pourrais citer d'autres lectures qui, chacune à leur manière, m'ont apporté du plaisir à tourner les pages : Idoles de Gabella, Des Dieux et des hommes de Dionnet, autant de tentatives hexagonales de revisiter une mythologie états-unienne. Plus récemment, outre Luminary, il y a effectivement Fox-Boy, qui interroge les rapports entre fiction, imaginaire et réalité, La Brigade Chimérique (et ses récits satellites) qui posent la question de l'absence de super-héros européens, ou encore Density (réédité en Chloé Densité), qui joue la carte de l'aventure et de la comédie. Tout ça, c'est du super-héros, mais ça parvient, chacun à sa manière, à s'émanciper du modèle (sans jamais trop s'éloigner non plus, afin que le clin d'œil soit encore pertinent).
Aux États-Unis, le genre propose du thriller, du drame psychologique, de l'aventure spatiale, de l'horreur, du suspense, de l'humour, des trucs pour kids et pour adultes, etc. La palette est large et colorée. Et quand le super-héros est traité par des auteurs de chez nous, c'est la même chose, les sensibilités sont diverses. En bon fan du genre, j'y vais avec curiosité, dans l'attente de ne pas avoir une copie de ce que j'ai lu gamin (ou de ce que j'ai lu hier). Bon, si j'ai un décalque des classiques américains, ma foi, pourquoi pas aussi.
Bref, je crois qu'il ne faut pas juger Luminary dans la perspective d'une comparaison. Ce n'est pas facile parce qu'il y a la dimension de l'hommage au personnage de Tota (et pour qui a connu Photonik à l'époque, comme moi, c'est impossible d'échapper à cette comparaison). Je crois qu'il faut lire la trilogie comme une tentative d'explorer un genre, avec une sensibilité propre. Qu'il faut se dire "tiens, Brunschwig fait du super-héros", comme on peut se dire "tiens, Trondheim fait du super-héros" ou "tiens, Lehman fait du super-héros" ou "tiens, Lefeuvre fait du super-héros". Après, les goûts font qu'un lecteur aimera telle approche et appréciera telle autre un peu moins, mais le super-héros, ici, c'est un genre comme un autre, comme, mettons, le western (autre mythologie américaine). Il est toujours intéressant de se dire "tiens, machin fait un western", sachant que c'est son premier et qu'on attend de voir ce que cette rencontre entre un auteur et un genre peut donner.
Allez, je retourne à mes petites affaires, mais je continuerai à vous lire.
Jim