Cette fresque a été imaginée avant Trump, avant le 11 septembre, avant l'invasion du capitole, avant Obama.
Regardez votre bibliothèque et enlevez tout ce qui est sorti depuis 35 ans. Cela vous permet de resituer cette oeuvre au moment où elle a été écrite.
Quant au style de Laurent Hirn, il a évolué au fil de ses 35 ans. Et c'est heureux. Cela permet de voir l'évolution des techniques utilisées. et le parcours d'un dessinateur, la recherche de toute une vie, une oeuvre.
Quantité de phénomènes sociétaux sont évoqués tout au long des quinze tomes. Phénomènes sociétaux qui émaillent l'Histoires des USA de ces 50 dernières années. Ce n'est pas un catalogue, chacun permet de faire progresser le récit: le retour des vétérans du Vietnam, la dette d'un état, la violence, la mafia, le handicap, l'homosexualité, le racisme, la justice, la recherche du profit, les marches aux Etats-Unis, les milices, la peine de mort, les ateliers clandestins, les financements des campagnes aux USA, l'impeachment, la drogue, les armes à feu, le sexe, la green card...
Des passages obligés quand on parle des USA : La presse, les interviews télévisées, les détectives, une tenue de diplômé, une tenue orange de prisonnier, un costume de mafieux, une tenue de G.I.
Des lieux iconiques : New-York est un personnage à part entière, le cimetière, un ring de boxe, une bibliothèque, une grange typiquement américaine, une salle de palais de justice, du palier d'immeuble, les hôpitaux, les banlieues, la géographie urbaine, le capitole, le Washington monument, le sénat, un stade(avec tout ce que cela évoque historiquement), l'Irak, un pénitencier, le Brooklyn bridge..
Les flash back sont pertinents et permettent de comprendre les motivations de chacun, l'itinéraire de chacun. Et ils ne ralentissent en rien le récit. Leur traitement graphique change d'ailleurs au cours des 3 cycles, sans que ce soit un problème.
Les liaisons entre les différentes scènes est un des aspects les plus travaillés et sont très subtiles. Là où aujourd'hui les auteurs fonctionnent souvent par blocs de 3 à 5 pages, Luc met beaucoup de soin à entremêler les destins de ses personnages au sein d'une même planche(j'ai failli dire nos personnages, tant nous nous les sommes appropriés). L'empathie n'est d'ailleurs pas le moindre des sentiments convoqués par les auteurs.
Les liaisons entre 2 scènes se font intelligemment(deux regards qui se succèdent, 2 bols...)
Les évolutions technologiques apparaissent au fur et à mesure du récit, et là-aussi sont des marqueurs temporels (cabines téléphoniques, téléphones portables, les appareils photos jetables, mails, réseaux sociaux, les chaînes infos.)
Des thèmes qui sont chers à Luc comme l'évocation et le parallèle fait avec les camps de concentration.(Cf la mémoire dans les poches, les frères rubinstein)
S'il fallait mettre un bémol, les moyens utilisés par Providence pour mettre Jessica au pouvoir et la décision de tuer tous les membres du groupe des 508 me pose problème, mais qu'est-ce au regard de ces 15 albums.
Nous sommes nombreux à penser que pour jouir pleinement du pouvoir des innocents, il faut se replonger dans les 15 tomes de la série. Mais force est de constater que de nombreuses scènes sont encrées dans notre mémoire.
L'évocation du 11 septembre en est évidemment une.