Dr Fred a écrit:Je n'ai jamais pu accrocher avec Les 7 boules de cristal et L'affaire Tournesol : pas d'humour, pas de rêve.
C’est sûr, il vaut mieux lire ça que d’être atteint de cécité. Mais tout de même, j’ai l’impression qu’on ne parle pas des mêmes bouquins.
Pas d’humour, dis-tu ?
Pour Les 7 Boules de Cristal, permets-moi de t'en donner quelques exemples :
Page 2 : vignettes 7 à 10 Nestor annonce flegmatiquement à Tintin que le capitaine ne va pas tarder à rentrer, désignant de la main le pur sang qui prend seul, le chemin des écuries, en trottinant d’un air altier. Puis, en case 10 Haddock, vêtu en cavalier (tenue très inhabituelle, et donc drôle, pour qui est habitué à voir le capitaine avec son éternel pull bleu marine et son costume sombre) franchit le portail en se tenant la hanche, le chapeau cabossé visiblement a la suite d’une chute. On est plus proche de Goscinny et de Billy Wilder que d’autre chose, avec cette arrivée cocasse du capitaine.
Page 4 : Le numéro de Nestor qui tente de rétablir son équilibre est une prouesse sur le plan du graphisme. Découpage, justesse des mouvements, cette séquence burlesque suscite l’admiration de tous ceux qui savent ce que représente le dessin de ce genre de scène en partant d’une page blanche. Et de la mémoire qu’on peut avoir d’un épisode équivalent dans le cinéma muet (à l’époque, les auteurs ne disposaient pas d’internet ou de Dvd avec possibilité d’arrêt sur image).
Je ne vais pas tout énumérer, ce serait vain et fastidieux, mais page suivante, Haddock n’est rien moins que ridicule quand il se donne de grands airs avec ses monocles.
Pages 14, 15 et 15, le capitaine n’est toujours pas à son avantage lorsqu’il traverse les coulisses du théâtre pour faire une irruption remarquée sur scène, coiffé d’une tête de taureau, pendant le numéro de prestidigitation qu’il n’avait pas réussi à reproduire devant Tintin.
Pages 22 et 23 : les Dupondt prennent le relais.
Les effets comiques sont mis en sommeil (depuis le Lotus Bleu, Tintin n’est plus une succession de séquences burlesques et comiques) pour reprendre page 49, lorsque, à la clinique, dans le même dortoir, les sept membres de l’expédition ethnographique Sanders-Hardmuth entrent simulltanément en transe. Cette grande case avec sa profondeur remarquable tient du cartoon ou encore de certaines compositions de Dubout. Les gestes incontrôlés des malades, pris chacun isolément, ne produiraient pas le même effet et provoqueraient une lassitude. En nous les montrant tous, en présence du personnel soignant qui vaque à ses occupations, le drame de ces malades a quelque chose de comique. On ne peut s’empêcher de sourire maigré la compassion qu’on peut(devrait ?) éprouver pour des gens alités et sanglés à leur matelas.
Page 51 : dernière case.
Pages 52 à 55 :
Page 59 La farce de mauvais goût fomentée par Quick et Flupke (comment ces gamins de Bruxelles ont-ils fait pour rejoindre Saint-Nazaire?) semble provenir de Charlot. Mais on trouve ce type de gag un peu partout, chez Gérard Oury, Charlier, dans Popeye, etc... Le lecteur n’aime rien tant que de voir le capitaine en colère, c’est le signe chez lui d’une grande vitalité. Et ce gag permet de faire progresser le récit car Haddock n’a pas donné un coup de pied dans n’importe quel chapeau.
Page 62
Le dernier gag est constitué par l’arrivée de Nestor sur le quai de la base d’hydravions et les dialogues qui suivent.. Malgré sa précipitation, le malheureux se désole d’arriver trop tard pour fournir à son maître des monocles de rechange. Ce sont les mines de Nestor et de son interlocuteur, avec les dialogues correspondants, qui sont irrésistibles dans trois cases.
Mais ce qui fait l’intérêt et la richesse de ces 7 boules se situe bien au-delà des seuls gags et effets comiques distillés dans le récit.
Concernant L'Affaire Tournesol :
On pourrait faire la recension de l’humour et des gags innombrables de l’Affaire Tournesol, mais je n’en ai pas le courage.
Pour mémoire, je citerais dans l’ordre : le running gag de la cliente qui demande la boucherie Sanzot et tombe au château de Moulinsart, Haddock qui se retrouve dans un lustre, les dialogues avec Séraphin Lampion ou les Dupondt (cf leur arrivée en 2 CV) et leur singulière façon de pratiquer le lapsus calami (botus et mouche cousue), le valdingue d’Haddock éjecté de la porte tambour à Genève, l’accoutrement des Dupondt en territoire étranger (running gag en résonnance avec les autres albums de la série depuis les Cigares), les gags avec le pulvérisateur d’insecticide, ceux avec l’Italien à la Lancia, le gag du parapluie, celui du sparadrap circulant dans le bus (moment d’anthologie) puis dans l’avion, la traversée du poste de douane en char et les pages finales à Moulinsart, avec Tournesol et la famille Lampion.
Bien sûr, tout cela énuméré ainsi paraît sans saveur. L'effet comique, chez Hergé, repose sur des dialogues travaillés et peaufinés et des dessins où les attitudes et les mines des personnages sont particulièrement éloquents, choses que je suis bien incapable de rendre. On comprend au premier coup d'oeil ce que ressentent les personnages. Et du coup, la succession de quelques vignettes produit le même effet qu'au cinéma, lorsqu'un bon metteur en scène dirige des acteurs doués.
Mais le but, chez Hergé, n'est pas uniquement de distraire et de faire rire. Ces deux albums, finalement pas si pauvres en situations comiques, véhiculent tellement d'autres choses, qu'il serait dommage de les réduire à leurs dialogues et à leurs séquences drôles.
Sans parler de l'art d'entretenir le suspense et de tenir le lecteur en haleine.
Il y a tellement plus, dans ces deux albums.
Pour le rêve, en dehors de la séquence onirique mentionnée par lobo, je dirais qu'il convient de relier Les 7 boules de cristal aux Cigares du Pharaon (cf vignettes 5 et 6), à l'Oreille cassée, à Vol 714 et encore aux Picaros. Le fil conducteur, c'est celui des civilisations disparues et de leur évocation, de leurs traces ou vestiges ou de leur absence. Tous ces mystères sont propres à entretenir chez l''homme contemporain des rêves, voire des cauchemars. Ils constituent autant de thèmes fascinants, chers à des auteurs appréciés d'Hergé et de ses co-scénaristes (Van Melkebeke, Beuvelmans, Jacobs), comme Conan Doyle, Ridder Haggar, etc... et qu'on retrouve aussi chez Henri Vernes, Charlier et tant d'autres.