Oncle Hermes a écrit:Jimbo, on est rarement en désaccord sur ce forum, mais là.....
Ça arrive.
Mais tu soulèves un autre point, sur lequel je voulais revenir, mais je suis allé manger un morceau (ça donne faim, tout ça).
Qui est celui de l'encadrement éditorial.
Je n'ai jamais travaillé pour Panini et mes contacts avec eux ne vont guère plus loin qu'un éventuel café pris avec Jérémy Manesse sur un salon ou mes expériences de lecteur (et sachant que je n'achète plus de Panini depuis deux ans, tu vois que je ne suis pas tellement au fait des choses). Mais mon expérience de lecteur m'amène à penser qu'effectivement, le contrôle éditorial est déficient. Pourtant, d'après ce que je sais (oui oui, j'ai quelques infos, quand même, curieux comme une fouine que je suis…), il y a de la relecture en interne. Donc l'info passe mal, ou alors ils sont pas assez nombreux, ou alors le protocole de relecture a été installé après un flot de remarques (auquel cas internet a du bon, hein…).
En revanche, j'interviens comme relecteur pour deux autres éditeurs de
comics, et je peux t'assurer qu'il y a des personnes chez qui le boulot de recherche et de compréhension des références n'est pas fait. Pour mille raisons, qui peuvent aller de l'inexpérience au j'm'enfoutisme en passant par des délais serrés ou une réelle difficulté du texte d'origine. Quand un jeune traducteur dont c'est le premier boulot ne sait pas que "
Angola jail", c'est la prison d'Angola (la ville) et non une prison en Angola (le pays), j'ai tendance à être conciliant. Quand quelqu'un de plus chevronné, avec vingt ans dans les bottes, loupe une référence à l'ère du Verseau ou ne connaît pas le système scolaire américain, j'ai tendance à être plus teigneux. Il y a des gens dont le boulot est, selon moi là encore, vraiment mauvais et, en toute honnêteté, franchement pire que celui de Geneviève. Je n'en parlerai pas ici (parce que soit on va me reprocher de faire du
name-dropping, soit je vais livrer quelqu'un d'autre à l'acharnement, dans les deux cas, c'est stérile…), mais je m'en suis ouvert aux rédactions, qui savent en général fort bien le peu de cas que je fais de ces boulots (mais ça permet de discuter). Après tout, les rédactions sont les interlocuteurs les plus directement concernés.
Après, des fautes d'orthographe, on en fait TOUS. Des bulles qu'on oublie, des mots qui manquent parce qu'on tape les phrases trop vite, des faux-amis qui ont échappé à notre vigilance, des anglicismes, des citations de films qu'on ne voit pas, des références littéraires, politiques ou sportives qu'on ne comprend pas, ça arrive tout le temps, chez tout le monde et même chez les meilleurs. La différence ? C'est l'encadrement éditorial. C'est une relecture par la rédaction, suivie d'une relecture par un relecteur extérieur, suivi d'une relecture pour checker tous les points soulevés. Il y a beaucoup de bouquins qui seraient parus avec des âneries colossales si certains éditeurs prudents n'avaient pas mis en place des protocoles serrés. Et même avec ça, des bêtises passent entre les mailles.
Things happen.
Le boulot de l'éditeur, selon moi, est un boulot de protection : protéger l'œuvre, protéger le lecteur, protéger aussi les prestataires. Protéger, au sens de respecter. Parmi les prestataires, il y a les traducteurs. J'aurais tendance à dire que nous les relecteurs, si on fait bien notre boulot, on évite au traducteur d'avoir des ennuis puisque l'on corrige ses bêtises (s'il y en a… et si on les voit, bien entendu…), et j'ai même la prétention de dire que certains albums ont évité quelques critiques grâce à quelques interventions de ma part (bon, je ne pense pas avoir aidé à vendre plus, mais c'est un autre débat). Or, je l'ai dit, le boulot de traducteur passe par une adaptation, plus ou moins grande. Le premier tort de Geneviève est sans doute d'avoir un peu trop fait sentir sa patte sur son boulot. Mais là encore, et sans vouloir la dédouaner, je me dis qu'un verrouillage en amont et en aval par l'éditeur aurait été pas mal.
Tu soulèves la question de savoir quel est l'état du fichier livré par le traducteur. C'est effectivement la bonne question. Des traductions noires de fautes, j'en ai vu passer (et j'en verrai encore, il suffit d'un coup de surmenage pour que les fautes d'orthographe prolifèrent, et au rythme de 250
comics par an décrit plus haut, on se doute que le surmenage, on connaît). Mais si on peut relire en amont, on en écluse déjà quelques-unes. Je ne sais pas si je suis clair, mais ce que j'essaie de dire, c'est que poser la question de l'état du fichier d'origine, c'est suggérer qu'il n'a pas été correctement "édité" quelque part sur la chaîne de travail.
Et "éditer" une traduction, c'est pas seulement voir si les participes passés ont bien été accordés selon les règles, ce genre de choses. C'est aussi, dans les cas qui nous intéressent, dire à la traductrice qu'elle a loupé une référence à un événement d'actualité, c'est lui expliquer qui est Goliath, c'est lui dire que "
girl", dans le cas d'Una, signifie la nana, pas la fille. Ce qui revient à confier la relecture, à un moment ou à un autre, à quelqu'un qui connaît l'univers exploité, et qui est payé pour exercer un regard de
geek, pas un regard de grammairien.
Je vais donner un exemple précis que j'ai vécu récemment. Tu sais sans doute que DC sort une série intitulée
Secret Origins dont le contenu est composé de
flash-back renvoyant aux premiers pas des héros. Souvent, les scénaristes s'amusent à reprendre des scènes déjà racontées et à les compléter. En français, l'éditeur distribue les traductions en fonction de l'emploi du temps des traducteurs, et parfois, les épisodes de
Secret Origins ne sont pas traduits par ceux qui ont fait les épisodes de base. Comme ça passe par moi, j'en profite pour vérifier comment c'était traduit dans l'épisode référence, et pour harmoniser (ensuite, j'envoie un petit mail au traducteur de "l'origine secrète" pour l'avertir que j'ai changé deux lignes). Moi, je peux le faire, parce que je connais l'univers, les personnages et le catalogue. Un relecteur qui est un kador en grammaire mais ne connaît pas l'univers ne verra pas ça, et n'interviendra pas, auquel cas on a une même scène traduite de deux manières différentes, et si jamais quelqu'un le voit, il pourrait (à raison selon moi) en tirer grief.
C'est pareil pour les vouvoiements et tutoiements, pour les noms français des objets, tout ça. Récemment, je discutais avec un traducteur qui avait traduit un bidule d'une telle manière, alors que dans d'autres occasions ça avait été traduit autrement. On est tombés d'accord pour adopter la première version, on l'a officialisée, et là on va surveiller le fichier de lettrage afin de vérifier que tout soit raccord.
Je ne dis pas que c'est la panacée qui résout tous les problèmes. Il m'arrive de rater un truc, et de le découvrir en feuilletant le bouquin (et je me frappe le front de manière si sonore que ça réveille le bourg entier). Il m'arrive d'oublier ou de découvrir un détail, mais trop tard. Ou de rater une référence. Voire, pire, d'appliquer une correction à mauvais escient (j'ai le souvenir d'une bavure ou deux du temps de Semic, et c'est de mon fait). Et je sais aussi que des corrections à mauvais escient, tous ceux, sur la chaîne de production, qui sont chargés des corrections et vérifications en ont fait un jour ou l'autre (et là, tu corriges, tu fais une ânerie, mais c'est le traducteur qui se fait engueuler : tranquille, quoi…). Mais si ce n'est pas la panacée, ça aide à filtrer un max de choses.
Il n'y a pas d'organigramme type, ni d'organigramme meilleur que d'autres. Mais les bons organigrammes intègrent l'idée que le traducteur (et le lettreur…) font partie d'une équipe, et que chacun, à un moment, est le premier lecteur de l'autre.
(Purée, quand donc apprendrai-je à faire court ?)
Jim