de Polomatt » 02/06/2023 15:06
C'est de fait troublant oui, parce que y'a vraiment une belle matière semble t'il.
Les mots de l'auteur sont important aussi... Et intéressants. Je les copie colle ici pour ceux qui ont la flemme de regarder tout le projet
« Contrairement aux algorithmes utilisés dans la finance, dans le trading, dans les cabinets de conseils, dans la reconnaissance faciale, dans la surveillance civile ou dans l'armée, sur des robots tueurs... le réseau neuronal artificiel que j'ai utilisé pour fabriquer les images de ce livre de bande dessinée ne génère, la plupart du temps, que des choses inoffensives que l'on peut même parfois qualifier de « belles ». N'oublions pas que la beauté se trouve uniquement dans l'œil de celui qui regarde et nulle part ailleurs. Bien sûr, il est possible de générer avec cet outil de la laideur, du vulgaire, du médiocre, de la falsification, de la contrefaçon, du deepfake... Mais dans tous les cas, c'est toujours l'utilisateur humain qui est responsable d'une telle production d'images. La machine ne décide pas de faire du beau ou du laid, du moral ou de l'immoral, du légal ou de l'illégal ; elle ne sait même pas ce que c'est. En revanche, l'humain qui utilise « l'intelligence » artificielle, lui, connait ces notions, et devient de ce fait responsable de ses actes, en connaissance de cause. Dans ce sens, il est évident que les images générées par la machine à la demande d’un individu sont des créations qui appartiennent au créateur humain, et non à l'intelligence de la machine absurde, utilisée comme un simple outil. Le marteau n'est pas responsable du clou planté de travers. Jamais. Et ce n'est pas, non plus, au marteau qu'appartient le mérite de la belle ouvrage.
Soyons clair. Si c'était à refaire, je préférerais – ça n'engage que moi – que l'humanité n'ait jamais inventé l'ordinateur, ni sa version miniaturisée et portative, le smartphone. D'aucuns argumenteront que c'est quand même formidable d'être tous reliés, tous connectés... Non. Ce n'est pas formidable... L'ultraconnexion permanente des individus est une dégénérescence anthropologique sans précédent. Cette machinerie algorithmique gigantesque amplifie la désinformation, la haine, la paranoïa et la schizophrénie. C'est irréversible et ça salit tout ce que le numérique pouvait avoir de vertueux au départ. Alors, que faire avec cette civilisation numérisée où nous ne sommes plus que des profils tout juste bons à se faire spammer les neurones, à jouer au petit justicier sur le social réseau, ou à draguer sur Tinder avec ChatGPT ? Que faire dans cette accélération exponentielle qui détruit peu à peu la précieuse singularité du vivant ? Je n'ai pas la réponse. Mais quelques philosophes et artistes nous donnent des pistes de réflexion. Libre à chacun de s'en inspirer pour mieux vivre dans cette société du tout numérique, en colonisant urgemment la machine avant qu'elle ne nous colonise. Mon ami philosophe, Miguel Benasayag, me dit que l'acte créatif permet d'approcher cette forme de résistance au plus près... Et que les artistes ont toujours eu le pouvoir de dominer la machine numérique avant qu’elle ne les domine. En tant qu'auteur, je suis bien placé pour être tenté de le croire... C'est pourquoi, il faut expérimenter ces mutations pour pouvoir en parler « légitimement ».
À la fin de l'été 2022, le dessinateur que je suis se connecte donc sur le programme Midjourney dont tout le monde parle sans l’avoir essayé. Cette puissante IA de génération visuelle traduit du texte en image avec une « pertinence » déconcertante... L’outil est puissant. Un déclic se produit... Quelque part entre terreur et émerveillement. Le mysterium tremendum, en quelque sorte… La base de tout processus artistique. En travaillant sur ces générations d'images « artificielles », j'ai alors cherché de manière empirique une méthode pour apprivoiser les algorithmes afin de trouver la justesse visuelle, les bonnes descriptions, les angles de vue, la qualité d'expression verbale qui vont conditionner la précision des scènes imaginées, le langage de la forme picturale et de la composition d’univers... C’était vertigineux... En quelques semaines, j'avais prompté, généré, trié, sélectionné, archivé plusieurs milliers d'images. Toutes singulières, inédites et surprenantes... Je me suis alors rendu compte que le propos de mes questionnements, à cet instant, était exactement le même que dans le scénario de initial_A. que j'avais écrit deux ans plus tôt. Explorer la frontière... Il me restait à construire les pages. Une à une, pendant cinq mois. Et à chercher dans cette architecture invisible d'entre les cases, comment faire dialoguer ces images entre elles avec mon scénario. Faire mon métier d'auteur de bande dessinée, tout simplement, mais d'une façon nouvelle et inattendue. Mais, où est la frontière ?... Dans cette hybridation combinatoire, qu'est-ce qui est humain et qu'est-ce qui ne l'est pas ? « La réponse est simple, me souffle Miguel Benasayag, ce qui est humain c'est l'énergie, le désir et la liberté qui t'ont poussé à raconter cette histoire de cette façon, jusqu’au bout... » Et puisqu'un livre ne devient vivant que lorsqu'il est lu, il y a aussi vos regards à vous, lecteurs, qui allez donner vie et sens à tout cela. Voilà ce qui est humain. Tout le reste n'est que poussière d'algorithmes. Bonne lecture. »
- Thierry Murat -
Matthieu, BDiste apprenant...
"Écrire, c'est dessiner des phrases pour sculpter un dialogue."