de Nikolavitch » 20/12/2014 12:49
Je viens de recevoir mon exemplaire du Saint Louis (coécrit avec Mathieu Mariolle). Il sortira le 7 janvier.
Et je profite que je suis là pour réagir sur quelques trucs que je viens de voir passer dans le tride.
Et là, j'aurais tendance à défendre JDM. Qu'il soit bien clair avant toute chose qu'il n'y a pas de copinage là-dessous, vu qu'on ne se connaît pas personnellement.
Traiter un sujet historique dans une collection comme celle-ci, c'est adopter, quoi qu'on fasse, un point de vue sur le sujet en question. C'est adopter un ton. C'est aussi travailler sur les raisons pour lesquelles on l'a choisi, ce sujet. Et tous les gens ayant travaillé sur cette collection avec qui j'ai eu l'occasion d'en discuter ont buté sur le même écueil : il faut que l'angle soit fort, pour parvenir à échapper à ce qui plombe la plupart des biographies illustrées : la succession de scènes marquantes de la vie d'un bonhomme, à un rythme soutenu pour rentrer dans les 46 planches de l'album.
Et ça, c'est un cauchemar, que ce soit bien clair. qu'on qu'on fasse, on est obligé de tailler dans le gras. et de s'accrocher à son angle d'attaque du sujet, qui devient alors un rasoir permettant de faire ce tri dans la masse des éléments a disposition de l'auteur pour bâtir son récit. La moitié du temps, c'est déchirant.
Du coup, il faut un angle fort et des astuces narratives pour éviter le chapelet chiant.
Sur Jaurès, JDM a choisi les discours comme angle d'attaque. Ce n'était clairement pas l'approche la plus facile, mais en effet, Jaurès sans les discours, c'est un peu faire la bio de Mozart sans parler de musique. C'est sans doute jouable (et peut-être même intéressant), mais ce serait curieux.
Notons aussi que, si cette collection est une manière de vulgariser le savoir historique, elle refuse par principe (et c'est tout le sens de l'implication de Fayard et d'historiens professionnels dans le mix) de tout sacrifier à la vulgarisation. Il y a eu des tas d'albums et de collection de ce genre, on a tous eu entre les mimines des tomes de L'Histoire de France en BD, de l'Histoire de l'Alsace ou de Saint Malo, etc. Assez souvent, même si c'est très joliment fait, ça ne véhicule que des faits en vrac, du condensé, sans vraie contextualisation ni fil conducteur.
Ces deux contraintes, l'angle fort et la volonté de ne pas sacrifier la profondeur du récit à la vulgarisation, ça peut donner des albums plus difficiles d'accès. Des albums qui se "méritent" un peu plus. Et des albums qui sont forcément moins sur le terrain du divertissement. Surtout sur des personnages comme Jaurès qui n'a pas mené de charges de cavalerie ni couru après des voleurs sur les toits de Paris. (Qu'une chose soit claire : le premier auteur qui nous sort l'an prochain un Jean Jaurès, Gentleman Cambrioleur, primo je lui réclame des droits, deuzio je me le fais au couteau à huitres).
Après, sur Plus belle la vie, qui n'est typiquement pas ma came du tout, j'aimerais qu'on essaie de mettre en perspective le boulot des scénaristes qui font le truc. Ils doivent livrer UN EPISODE PAR JOUR de ce machin, en développant les personnages, en faisant avancer les intrigues, en ménageant les coups de théâtre et les cliffhangers, et c'est un travail de Romain, et suis certain qu'on a tous à apprendre de leurs méthodes de travail. Alors ouais, y a sans doute des retournements que même Ponson du Terrail trouverait too much. Des ficelles "sortez les mouchoirs" que même James Cameron n'oserait pas employer. Mais le boulot de ces scénaristes, c'est de faire swinguer le truc, et ce n'est pas le même boulot que nous effectuons sur la collection. Notons que même les cartons en BD (et des chiffres de 25 à 30.000 exemplaires, c'est déjà vachement bien) c'est une paille à côté du nombre de spectateurs quotidiens de PBlV (ou on aurait pu parler des 600.000 ex annuels vendus par Marc Levy, par exemple). C'est pas le même public, c'est pas le même effort de lecture, c'est pas la même philosophie du bouquin.
Personnellement, je préfère un Jaurès avec un point de vue fort, quitte à ce qu'il soit d'un abord plus difficile, à un "Jaurès pour les nuls" qui m'aurait appris les faits du personnage, mais ne m'aurait pas ouvert une fenêtre sur l'intérieur du personnage et éventuellement offre par contrecoup un éclairage sur notre propre époque.
En dernier lieu, je suis quand même sidéré et attristé de voir des lecteurs se sentir insultés parce que les auteurs essaient de faire un bouquin intelligent.
Alex Nikolavitch
Plus grand scénariste de France (1m98)