Genug a écrit:Cabarezalonzo a écrit:Cette légitime émotion qu'on aurait dû tous ressentir face à cette ultime création artistique (qui devait venir parachever et couronner le Grand œuvre hergéen) fut, dans mon souvenir, gâchée par un fruste et primitif sentiment de colère vis-à-vis de la Maison Casterman qui osait vendre plus cher que le restant de la série un album en l'état d'inachèvement.
Sans parler de colère, je pensais que
L'Alph-Art 1986 contenait tout le matériel laissé par Hergé, or en feuilletant l'édition France-Loisirs du
Monde d'Hergé deux ans plus tard j'y découvris des (voire seulement un ?) dessin(s) qui n'avai(en)t pas encore été publié(s) à ma connaissance.
Quoi croyez-vous qu'il advînt ? Je dus me mettre en quête d'un client France-Loisirs...
As-tu recruté un détective privé pour trouver un client ayant accès aux exclusivités de France-Loisirs ?
Sinon, je parle de "colère" mais je ne saurais qualifier précisément mon état d'esprit du moment. J'étais néanmoins contrarié non seulement pour les raisons indiquées, mais aussi pour une autre, à mes yeux non moins valable.
Je fais partie de ceux qui se réjouissent qu'à la mort d'Hergé il n'y ait eu aucune reprise de la série des aventures de Tintin. Car celles-ci ne sont pas que des histoires pour amuser et distraire les lecteurs, même si elles le font mieux que nulles autres. Le corpus forme une œuvre singulière et forte (quasiment achevée, l'Alph-Art aurait permis à Hergé de réaliser son Grand Tout) qui a un sens propre, une signification profonde et dont tout prolongement n'aurait pu que dénaturer.
En ce sens, Fanny avait parfaitement compris et analysé la situation, et sa fermeté l'aura sans doute privée du pactole financier qu'aurait représenté chaque nouvel album du reporter à la houpe. Hergé considérait qu'il était le seul à pouvoir faire vivre et animer les personnages dont il était le père spirituel. Et ça se respecte.
Cependant, à la mort d'Hergé, je n'étais pas le seul à m'intéresser également au travail de Bob de Moor dont le poids, au sein des Studios, n'avait fait qu'augmenter au fur et à mesure que la santé déclinante de George Remi éloignait ce dernier de son lieu de travail. Il fut un temps où Hergé avait la haute main sur ses studios ; puis vint un autre, où ça n'était plus possible.
Je m'intéressais tout autant aux créations personnelles et si variées de Bob de Moor (Trilogie des Flandres, Barelli, Balthazar, M. Tric, Cori le moussaillon, etc...) qu'à sa production dans l'ombre comme collaborateur privilégié d'Hergé.
Bob de Moor espérait qu'on lui permette d'achever Tintin et l'Alph-Art, il était prêt à s'atteler à cette tâche ô combien difficile, pleine d'écueils. Greg se tenait prêt pour la partie scénario. C'était également mon vœu le plus cher. Je me serais d'ailleurs contenté à ce que Bob de Moor se bornât, sans même apporter une fin au récit, à dessiner et encrer tout ce qui pouvait l'être, notamment les parties pour lesquelles le scénario était suffisamment avancé.
Bien évidemment, la vision de Bob de Moor et sa conception des planches auraient eu la saveur d'un exercice
"à la manière de...". Mais cette ultime contribution à une aventure de Tintin aurait pu constituer un bel hommage rendu au créateur décédé et à sa série fétiche.
Fanny, dans un premier temps, s'était rangée à cette idée et elle avait remis à Bob de Moor les documents de travail pour se lancer dans l'entreprise, avant d'opérer un virage brutal 180° et de se rabattre sur la solution qu'on connaît. Un album inachevé mis en vente plus cher qu'un album courant, le comble pour un "produit non fini". Bien sûr, l'article proposé tel qu'il avait été conçu, avec ses deux cahiers distincts, ne pouvait pas rivaliser en coûts de fabrication avec un album standard, et c'était mieux que rien. Mais ma frustration et mon amertume furent grandes, à cette époque.
Puis Rodier publiera sa version pirate, un pastiche. Chaque fois que j'ai feuilleté cette "horreur", j'ai aussitôt renoncé à l'acheter. [*] Je n'y retrouve pas Tintin, là où Bob de Moor aurait tout de même su faire illusion. D'autant plus qu'en 1983, les Studios continuaient de fonctionner. Les conditions propices à l'achèvement de l'Alph-Art ou à la mise en forme et au propre de ce qui était suffisamment avancé n'ont été réunies que de 1983 à 1986.
[*] Je ne connais pas la version de Régric.