Jopo de Pojo a écrit:Suite de la polémique : Paris Match annonce dans son numéro d'aujourd'hui que Nick Rodwell écrit un livre pour répondre à ses détracteurs.
Titre provisoire :
Trust but verifyInterview de Jacques Langlois à ce sujet dans Le Figaro :
https://www.lefigaro.fr/culture/tintin-nick-rodwell-va-publier-un-livre-pour-repondre-aux-polemiques-sur-sa-gestion-des-droits-d-herge-20210116L'article étant réservé aux abonnés, en voici le texte intégral :
INTERVIEW - Le gestionnaire des droits du dessinateur a décidé d'écrire un ouvrage pour justifier sa stratégie éditoriale depuis trente ans. Spécialiste de Tintin, Jacques Langlois analyse l'importance de cette annonce.
Par Olivier Delcroix
Le tintinophile Jacques Langlois, auteur du livre Petit éloge de Tintin, revient sur la volonté du Britannique Nick Rodwell de publier un livre dans lequel il compte «raconter comment on fait vivre un héros pendant des décennies sans la moindre nouveauté.»L'annonce a fait l'effet d'une petite bombe dans le Landerneau des Tintinophiles. Dans Paris Match, sous la plume de Jérôme Dupuis, Nick Rodwell, administrateur de la société Moulinsart et gestionnaire des droits d'Hergé depuis trente ans, a annoncé qu'il avait décidé d'écrire un livre, à paraître en 2022 et provisoirement intitulé Trust but verify, dans lequel il compte «raconter comment on fait vivre un héros pendant des décennies sans la moindre nouveauté.» Administrateur de l'association «Les Amis d'Hergé», Jacques Langlois est un tintinophile de la première heure. Dès 1960, il est entré en contact avec Hergé. Une correspondance fidèle s'est engagée entre eux jusqu'à la mort du dessinateur en mars 1983. Auteur du récent ouvrage Petit éloge de Tintin, Langlois est à même d'analyser les tenants et les aboutissants d'une telle annonce. Il a accepté de répondre aux questions du Figaro.
LE FIGARO . -
Avez-vous été surpris d'apprendre que Nick Rodwell allait publier un livre l'année prochaine ?Jacques LANGLOIS. - Étonné, oui. Mais surtout intéressé évidemment car Nick Rodwell est le plus à même de raconter de l'intérieur ces trente dernières années où il a assuré la direction de « l'Empire Tintin », comme l'écrit Paris-Match. S'agira-t-il pour autant de mémoires ? Je n'ai lu nulle part qu'il souhaite passer la main et, s'il parle de prendre une année sabbatique pour écrire ce livre, j'imagine que les réunions via « Zoom » seront nombreuses entre le chalet en Suisse où il vit et les bureaux bruxellois de Moulinsart.
Que trouvera-t-on dans cet ouvrage ? Et que ne trouvera-t-on pas ?Je n'en sais évidemment rien. Je comprends simplement que Nick Rodwell veut défendre son action tout au long de ses années, et c'est bien son droit. Je dirais même plus, pour parler comme les Dupond(t) : c'est bien son tour car jusqu'à présent c'est plutôt l'accusation qui s'est chargée de juger son travail. Je pense en particulier au livre d'Hugues Dayez dès 2000, Tintin et les héritiers, suivi de bien d'autres réquisitoires depuis. Mais Nick a montré qu'il savait encaisser les coups et aussi les rendre ! J'espère qu'il se livrera à cet exercice avec son humour, qui est réel. Et je ne doute pas qu'il le fasse avec honnêteté, puisque le titre qu'il a choisi serait, nous dit-on, « Trust but verify » qui signifie à peu de chose près en français : «Vérifiez avant de croire ce que l'on vous dit»...
Quelles sont les grandes étapes de son bilan concernant la protection et la mise en valeur de l'œuvre, le patrimoine et l'héritage d'Hergé ?Quand Nick est arrivé à Bruxelles à la fin des années 80, rappelons-nous que la situation n'était pas très brillante: le mensuel Tintin reporter avait vite disparu des kiosques, en laissant une belle ardoise ; les droits dérivés de Tintin étaient passés sous la coupe de Canal +. Dès qu'il a pris les commandes, Nick, qui avait pour lui d'être un gestionnaire, a remis de l'ordre dans la maison. Il a racheté les droits - et Philippe Gildas chez Canal se souvenait d'une négociation difficile… - et a rationalisé les licences, ce qui ne lui a pas fait que des amis dans le monde du « merchandising » !
Concernant l'aspect patrimonial ou les adaptations au cinéma, quelles ont été ses actions?Justement, il a mené à bien des projets d'envergure, comme l'ouverture du Musée Hergé et le film de Spielberg et Jackson. Que le musée, qui était le vœu le plus cher de son épouse Fanny (ex-femme d'Hergé), soit finalement à Louvain-la-Neuve- et non à Bruxelles, ce qui nuit évidemment à sa fréquentation et menace peut-être à terme sa pérennité, je crois qu'il faut plus le reprocher aux édiles bruxellois qu'à la société Moulinsart. Rappelons au passage que Fanny a financé ce musée sur ses seuls deniers.
Et le film?Quoi qu'on pense du résultat, ce ne fut sans doute pas une partie de plaisir de négocier avec les Studios d'Hollywood. Rodwell y est parvenu et a ainsi réalisé ce qui avait été en 1983 le dernier rêve d'Hergé. Il doit regretter comme nous que les Américains n'aient pas davantage accroché au personnage mais, là encore, ce n'est pas la faute de Nick.
Concernant la décision d'Hergé que Tintin s'arrête avec lui, croyez-vous que Nick Rodwell a eu raison de la respecter jusqu'à aujourd'hui?La seconde épouse d'Hergé, Fanny, n'en a jamais démordu et Nick Rodwell s'y est tenu, alors que les sollicitations de passer outre n'ont pas dû manquer. Ce n'est pas un mince exploit de faire que dans ces conditions on parle encore autant de Tintin et d'Hergé près d'un demi-siècle après la parution du dernier album...
Que pensez-vous du personnage Rodwell. Ne trouvez-vous pas qu'il mérite mieux que la réputation dont il est affublé en Belgique ?Pas plus que celle de Tintin, la réputation de Nick Rodwell ne s'arrête à la frontière belge ! C'est vrai que son image auprès des médias et de bon nombre de tintinophiles est depuis longtemps médiocre pour ne pas dire mauvaise. La faute sans doute à son style de communication, plutôt abrupt. Peut-être par timidité, mais ce n'est pas certain. En tout cas l'homme est imprévisible. Allez comprendre, par exemple, pourquoi il avait décidé d'interdire aux médias de photographier et de filmer au moment de l'inauguration en 2009 du Musée Hergé. C'est cette image qui lui nuit, comme dans l'affaire récente de la vente du projet de couverture du Lotus bleu , alors que son souhait , même naïvement exprimé, de voir la pièce prendre place au Musée Hergé n'était pas dénué de fondement.Il y a chez lui un côté « Mister No » ! Et puis, je ne sais pas pourquoi, Nick s'imagine toujours que ceux qui se flattent d'avoir un jour serré la main d'Hergé se croient propriétaires de Tintin ! Du coup il s'en méfie, il les fuit ou il les fustige, persuadé qu'ils ne lui servent à rien. Alors qu'on pourrait imaginer que les archives de ce qui s'est appelé un temps la Fondation Hergé soient ouvertes aux chercheurs, leur accès est réservé aux rares auteurs maison. Or, le rayonnement culturel de Tintin va bien au-delà de ce que produisent et diffusent, avec un malthusianisme certain, les éditions Moulinsart.
Quel souvenir gardez-vous de vos rencontres avec Nick Rodwell ?Cela varie évidemment au gré de nos relations, tantôt cordiales, tantôt glaciales, comme en ce moment parce que je l'ai informé d'un projet éditorial qui ne lui plaît pas. Mais je n'oublie pas des lettres chaleureuses, des rencontres sympathiques dans certains restaurants italiens, qu'il affectionne, des réunions de travail agréables quand on préparait les hors-séries d'Historia, il y a dix ans.
Au fond, que pensez-vous de son projet de livre?Il y a quelques mois, Nick m'a écrit - en anglais, of course - que « personne ne connaîtrait mon nom si Hergé n'avait pas existé ». J'y ai vu une formule qui s'appliquait plutôt à lui qu'à moi. J'espère que grâce à son livre, nous apprendrons enfin à mieux le connaître.