Qu'est-ce qu'on fait quand on est en vacances, qu'on est bédéphile, qu'on a chopé la crève et qu'il y a une bibliothèque pleine de BD à disposition ?
C'est 99% de mangas... VDM...
(Pour ceux qui me connaissent pas, je n'accroche pas à l'univers manga)
Bref, faute de merles, faut bien que je lise un truc...
Et voilà la lecture graphique la plus hard que j'ai lu, une grosse claque : Gen d'Hiroshima.
Récit autobiographique écrit par Keiji Nakazawa qui avait 6 ans en 1945. Né dans dans une famille pacifiste, le jeune Gen fait les 400 coups avec son petit frère. Hélas, les opinions de son père mettent en danger la famille : harcèlement, brimades, arrestations, privation... Le premier tome rend à merveille l'atmosphère belliqueuse fanatique et la violence qui transpire dans toutes les strates de la société japonaise en guerre. Les gnons partent à tout va, que ce soit entre membres de la famille ou avec les étrangers. On dialogue à coup de poing. Paradoxalement, on se prend à souhaiter au fil des pages que la bombe arrive le plus possible pour faire cesser les tourments de cette famille de 5, bientôt 6 enfants. La bombe, comme solution salvatrice... quelle ironie. Son emploi est doublement justifié par les scènes de suicides collectifs à Okinawa et par l'entraînement militaire très bien décrit lorsque l'aîné s'engage. Elle tombe en fin de tome 1.
Le tome 2 est le récit de l'apocalypse et des créatures horribles créés par la bombe qui rejoignent l'imaginaire fantastique classique : yurei aux yeux arrachés, aux longs voiles de peau qui tombent, créatures à la carapace d'éclats de verre, visages fondus, corps brûlés et tordus. Ensuite, c'est un catalogue de l'enfer : corps épalés, cheval en feu, fleuve des noyés, pyramides de crânes, maladies étranges. Et le pire, c'est l'absence cruelle de compassion et de solidarité qui y est décrit. Familles et amis abusent des rescapés, lorsqu'ils les chassent pas à coup de lattes après leur avoir extorqué le peu qu'ils ont. A surtout ne pas lire avant d'aller se pieuter, même après s'être sifflé 1/2 bouteille de Gaillac doux.
Et ensuite, ce sont les longues années de famine, de reconstruction, de changement de société, parsemés de son quota de morts, puisque les radiations font leurs dégâts à +/- long terme. Les survivants en prennent pour triple peine : marqués dans leur chair, privés de leurs biens et de leurs proches, ils sont traités en nuisibles ("t'as perdu la guerre"), en cobayes et sont condamnés au silence par l'administration Mac Arthur.
De plutôt objectif lorsqu'il s'agit de décrire l'avant/après, le discours devient très vite militant, ce qui peut devenir facilement lourdingue. La démonstration étant suffisante par elle même, il est inutile d'en rajouter une couche
Au niveau dessin, l'aspect rétro surprend (le premier tome date de 73), les visages ressemblent aux vieilles BD des années 30. J'avoue que j'ai failli lâcher quand j'ai vu les premières pages... Le dessin prend sa maturité lorsque les scènes de chaos arrivent. Mise en scène efficace, les images marquent la rétine, tout en restant sobres. L'horreur se pare d'un beau noir et blanc et d'une ligne claire toute occidentale.
Bref, enjoy! Un chef d’œuvre.