Voilà ce que j'en disais à la sortie du premier épisode (je ne vous inflige pas mes propos pour les épisodes suivants, ça évitera de spoiler) :
Jim Lainé a écrit:Ah ça tape fort, dès le premier épisode.
En même temps, Moore explore les thématiques qu'il annonce dans le pitch et les quelques propos qu'il a tenu, et fait un survol global dès ce premier épisode. On est donc en droit de penser que les réelles surprises arriveront à partir du deuxième épisode (si on se souvient de la structure de Watchmen, c'était un peu le cas : un premier épisode de mise en place, les enjeux étant posés plus tard).
Moore s'éloigne un peu de la structure en gaufrier de neuf cases qu'on lui connaît. Il y a donc moins d'effets, et la narration cède même devant les tics un peu tape-à-l'œil de l'éditeur (rien d'effrayant, je rassure tout le monde). Mais on retrouve sa science du cadrage et de la spatialisation, et sa volonté de prendre le temps d'installer une atmosphère et des personnages.
La grande force du truc, c'est le travail sur le langage. On sait que souvent, les auteurs qui mettent en scène des mondes post-apo s'ingénient à proposer un langage nouveau. Assez souvent, ça se limite à quelques pointes de vocabulaire connoté, qui tournent rapidement aux clins d'œil, et que les auteurs n'arrivent pas vraiment à tenir sur la longueur (l'exemple le plus récent qui me viennent en tête, c'est Snyder sur The Wake).
Là, Moore va plus loin, travaillant également sur la grammaire. Certains mots deviennent des interjections ou des qualificatifs fourre-tout, déracinés de leur sens premier (et donc pas faciles à saisir pour un lecteur d'aujourd'hui, d'autant que Moore se tient à ce qu'il a défini). Mais il apparie cela à une mise en situation d'une langue qui s'est désagrégée et qui n'est maintenue que par l'effort des survivants. Il propose donc une langue au vocabulaire réduit, avec des phrases courtes écrites au présent (l'expression "and but", qui connote une répétition, est intéressante, parmi d'autres). La dissolution de la grammaire se voit également aux négations dont la construction est bancale, témoignant d'une survivante du langage parlé sur l'écrit (alors que l'écrit est devenu un enjeu en soi), patchée à la va-vite par la pratique.
Sachant que, bien sûr, il en profite pour jouer sur les mots et les méprises, et que les noms des personnages sont des mots de la langue courante témoignant de cette volonté de reprise de contrôle sur l'avenir (les gens s'appellent "Caution", "Future", "Hope", "Forward"), ça donne des dialogues qui seront un pur bonheur pour l'éventuel traducteur de la série.
Mais cela donne aussi un effet de vertige, parce que le projet est parfaitement maîtrisé. On a un véritable sentiment d'immersion, les personnages étant attachants, pas héroïques, et très humains.
Question dessin, je suis étonnamment surpris. Je crois avoir déjà vu des planches de Gabriel Andrade (je ne sais pas trop où, mais son nom ne m'est pas inconnu), mais il parvient à donner des visages intéressants aux personnages, et ses décors, s'ils manquent un peu de majesté, sont pas mal. Reste des couleurs sans attrait, plaquant de l'herbe verte pomme sous un ciel bleu roi, digne des productions de l'éditeur. Dommage, avec de belles couleurs, ça aurait donné un truc vraiment agréable.
Bref, ce premier épisode ne semble pas annoncer une "œuvre majeure" du Wookie de Northampton (mais bon, moi, les "œuvres majeures", voilà une notion dont je me tamponne le coquillard menu, et puis on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise), mais ça annonce une série prenante, ingénieuse, qui joue avec des concepts (le patrimoine, la survie, la postérité) qui ont dimension universelle.
Bref, ça démarre très fort. Jetez-y un œil.
Jim