de jolan » 18/06/2021 17:01
Falsche Bewegung (Faux mouvement) – Wim WENDERS – 1975
Je suis habitué au style Handke, j'ai lu ses livres ado, et bien sûr j'ai vu les films qu'il a écrits pour Wenders (hormis leurs premiers, avant l'ère du net, je n'avais jamais réussi à mettre la main dessus, d'où ma découverte plus que tardive de celui-ci). Ca m'amuse plus qu'autre chose ce style, cette volonté de sortir des normes, cette posture de poète, qui ne peut s'exprimer autrement que par des phrases étranges, des propos étranges, et comme ici, proposer un récit étrange avec des personnages étranges, qui ont des réactions et des actions étranges. Bon.
Pourquoi les gens sont-ils si étranges dans les romans de Handke, alors que les gens sont si normaux dans la vie ? Pourquoi y a t-il autant d'étrangeté et de secrets, de mystères inutiles et de confessions stériles qu'eux seuls semblent trouver passionnantes, mais qui ne génère pas l'ombre d'un sourire sur leurs sinistres têtes d'enterrement ? Sans doute pour y apporter un peu de poésie. Il n'y a que la jeune muette qui esquisse des sourires et siffle « l'hymne à la joie », hormis cela nous sommes dans la déprime la plus totale. Mais même si j'ai toujours beaucoup apprécié les films du duo, je n'ai jamais été convaincu par ces étrangetés poético-intellectuello-pompeuses.
Alors oui, je sais, le cinéma de Wenders parle de l'incommunicabilité entre les êtres, où chacun reste dans son intériorité tourmentée et ne communique que par monologues sans parvenir à établir de véritable relation, et le personnage de la jeune fille muette est l'image de ce nouveau pays en souffrance, gris, maussade, qui se recherche une identité ("son prénom, tu ne le lui as pas demandé, elle n'attendait pourtant que cela") et un avenir, mais qui ne parvient pas encore à s'émanciper, à se départir totalement de son lourd passé encombrant et pitoyable qui saigne du nez (oh la la, quelle souffrance, il doit souffrir le martyr, le seul saignement qui n'occasionne aucune douleur).
Parce que l'histoire n'est que parabole et symboles, et prétexte à une réflexion sur l'Allemagne d'après-guerre (m'étonnerait fort que ce soit dans le bouquin de Goethe, dont l'adaptation très libre me semble bien lointaine, il ne doit pas en rester grand chose, et le héros est bien vieux d'ailleurs, tu m'étonnes qu'il quitte le nid maternel à 30 piges) où Handke projette ses angoisses. Mais ça ne me parle jamais, ou très peu.
Ce besoin de faire des phrases (comme dirait l'autre), de s'exprimer en termes abscons, pseudo intellos, inintelligibles et hermétiques, de s'écouter parler, ces introspections qui n'en sont pas vraiment, cette cérébralité surjouée, non seulement c'est ridicule mais qui plus outre ça nous fait sortir de la réalité du film pour pénétrer dans une théâtralité inféconde et abstraite. Là, le film semble encore pousser le bouchon au-delà de ce que je connaissais (pas encore vu « L'angoisse du gardien de but au moment du penalty »). On a droit à toutes sortes de réflexions sur l'écriture, la solitude, le nazisme, la politique. On a envie de les baffer et de leur dire d'écrire un vrai scénario avec de vrais dialogues. Mais c'est trop tard. Alors on observe d'un œil curieux.
Cependant j'aime beaucoup les films de Wenders (qui compte parmi mes cinéastes préférés) pour autre chose, pour ce qu'ils offrent et montrent vraiment : le voyage - même intérieur - le dépaysement, l'ailleurs, la rencontre, les paysages qui défilent, les promenades dans les ruelles, les lieux insolites, l'ouverture au monde et aux autres. La réalisation passe pour moi au premier plan, d'autant plus que le propos me semble des plus factice et artificiel. L'ambiance est captable, ce sont de vrais moments de vie, malgré le manque de vie et d'émotions, le vide des personnages, mais le film en tant qu'objet filmique a sur moi un vrai impact, comme lorsque les films sont réussis.
Car il y a une vraie patte de cinéaste dans presque tous les plans. J'aime beaucoup le générique du début, avec le joli thème musical de Jürgen Knieper (je trouve juste dommage de filmer ensuite l'hélico qui ne sert à rien, et de ne pas être raccord en filmant la séquence suivante dans la chambre un jour de mauvais temps), j'aime beaucoup les scènes dans le train. J'aime bien aussi les plans-séquence lors de la longue promenade dans les coteaux, sous le soleil. Dommage que ce qu'ils se racontent soit aussi chiant.
On se fiche totalement de ce vieil homme qui se promène avec la jeune et jolie femme muette (la déjà très jolie Nastassja Nakszynski, unique figure charmante du film, qu'on reverra une décennie plus tard chez Wenders). Jeune femme un peu passée "sous silence" dans ce film, alors que mon coeur romantique aurait apprécié un plus large développement empli de tendresse. Je suis trop sensible pour comprendre ces êtres insensibles. On se fiche tout autant de la fausse histoire d'amour entre l'actrice (Hanna Schygulla) et Wilhelm. Tout comme on se fiche du boulet, le poète bedonnant qui les accompagne un temps. On se fiche d'eux, parce qu'ils ne montrent aucune humanité, ils semblent tous vides, ils n'ont que des souvenirs, qui les hantent, que des rêves, qui leur servent de sujet de confession et de discussion, qui leur tiennent lieu de vie réelle.
Bref, le film m'a plu en tant que film, mais le film en tant que tel me déçoit. On est loin du bonheur éprouvé lors de la découverte de « Au fil du temps » (mots que Wilhelm prononce dans son sommeil), mais ça n'en demeure pas moins un style de cinéma qui me plaît beaucoup, donc je serais plutôt indulgent.
Une note d'encouragement.
3.5/6
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