J’ai découvert le cinéma d’Ozu cette année. Et je me demande pourquoi avoir tant attendu, tant je trouve ses films touchés par la grâce ? Je citerai Wim Wenders en préambule : «
Je vous parle des plus beaux films du monde. Je vous parle de ce que je considère comme le paradis perdu du cinéma. A ceux qui le connaissent déjà, aux autres, fortunés, qui vont encore le découvrir, je vous parle du cinéaste Yasujiro Ozu »
Alors oui vous avez compris que je ne vais pas être très objectif dans mon avis sur ce
Printemps Tardif...!
C’est pour moi le 3ème film que je vois d’Ozu, après
Voyage à Tokyo et
Fin d’automne.
Quand on a compris que ses films d’après guerre ne sont qu’une variation sur le même thème (les traditions qui s’étiolent, la lente occidentalisation qui s’annonce -et encore plus après guerre - les rapports familiaux), avec, c’est parfois déroutant, toujours la même troupe d’acteurs (et la magnifique Setsuo Hara), on peut alors se laisser porter par la beauté de son cinéma.
On est ici dans un registre très mélancolique, presque dramatique, mais Ozu fait toujours en sorte de ne pas faire de surenchère (c’est le moins qu’on puisse dire), toujours dans une extrême finesse et des non dits qui en disent long. Le sourire radieux de Noriko fera place, après un passage au théâtre No (plein d’intensité mais que j’ai trouvé un peu long) à une tristesse et une colère retenue, puis une résignation d’une grande tristesse. La fête et la joie que devrait être son mariage sont limite funèbres. Les vêtements occidentaux qu’elle porte seront probablement remplacés (définitivement ?) par ceux traditionnels.
Les plans du cinéaste sont toujours très travaillés et épurés, aucune esbroufe chez Ozu, la caméra presque toujours à même le tatami pour être plus proche des protagonistes, une photographie impeccable, une utilisation du hors champs dans lequel passent les figurants pour donner vie à ses images, les moyens de transport, signes de modernité, etc...
La fin est superbe, bouleversante, avec le père qui laisse enfin tomber le masque en épluchant cette pomme.
Il y a beaucoup à dire mais je retiendrai notamment ce moment de grâce à vélo, avec Setsuo Hara, radieuse et imprimant l’image de son sourire pour l’éternité.
5,5/6
Fin d’automne je l’ai vu assez récemment (au mois d’août), un passage à la couleur qui se fait très bien, toujours cette extrême finesse dans les plans de la part d’Ozu, une variation sur le thème de la perte inéluctable des traditions, leur poids et leur aberration qui est subtilement pointée du doigt (notamment par la pétillante Yuriko), cette fois-ci il ne s’agit pas d’une relation père-fille comme dans
Printemps Tardif, mais d’une relation mère-fille. Beaucoup d’humour dans ce film, toujours ces séquences dans les bars et restaurants qui ponctuent régulièrement la narration.
L’impression d’avoir vu un chef-d’œuvre qui ne s’est toujours pas évanouie.
6/6Pour ceux qui voudraient un complément littéraire à ce cinéma et à ces thématiques très proches, je viens de lire Quatre Sœurs de Junichiro Tanizaki, dont je copie ici un résumé :
Nous sommes à la fin des années 30, au Japon, dans la région de Kobe, Tanizaki nous présente quatre soeurs, Tsourou ko, Satchi ko, Youki ko et Tae ko Makioka issues d'une famille bourgeoise très connue (mais en perte de prestige), aux destins bien différents: les deux aînées sont mariées et leur avenir est tout tracé alors que celui des cadettes est loin de l'être. Entre tradition et modernité, le lecteur suit les heurs et malheurs de ces femmes au rythme des cerisiers en fleurs et de la saison des pluies. Lentement, finement, une photographie du Japon s'esquisse sous les mots subtils et d'une grande poésie de Tanizaki.