de jolan » 13/08/2020 19:37
Je t'aime je t'aime – Alain RESNAIS – 1968
Une expérience. Une expérience existentielle. Du « cinéma-cerveau », comme dit Deleuze, un cinéma né de la rencontre avec le Nouveau roman. Comme en fai(sai)t également Godard. Et un film que je voulais voir depuis « long-temps ».
Un jeune homme rescapé d'une tentative de suicide est utilisé comme cobaye pour une expérience de retour dans le passé. Mais de retour il n'y aura qu'un léger retour mental, des souvenirs en bribes, de quoi avoir quelques aperçus de son passé, et peut-être comprendre ce qui l'a poussé à vouloir se suicider.
Je ne comprends pas : ils lui expliquent qu'il revivra une minute du passé, il y a un an pile, et en fait il revit toute une succession de souvenirs de différents moments épars et sans chronologie qui durent parfois plus d'une minute, les minutes clef de sa relation avec cette fameuse Catherine, comme par hasard, comme si il les choisissait. Et devant leurs ordinateurs pendant qu'il est plongé dans leur « sphère », les scientifiques disent qu'il revit sans cesse la même minute. Je ne comprends pas non plus : il semble ne pas être heureux avec cette femme qu'il dit aimer et vouloir quitter.
Bref, tout cela est confus. On veut créer une confusion, nous y sommes en plein. En plein dans les méandres du cerveau et de la mémoire, avec ses errances, ses souvenirs entremêlés, ses rêves, ses pensées. Il est beaucoup question de temps (mais aussi le temps qu'il fait), de la place de l'homme dans le monde, de considérations existentielles, teintées d'un certain humour absurde, désemparé voire désespéré (belge ?). « Je suis content que tu aies résolu le problème du qui sommes nous et pourquoi, ça faisait longtemps que ça me tracassait »
Mais malheureusement, alors que l'idée est bonne, le film s'avère être aussi une expérience en matière de scénario, qui n'est pas abouti. Là où il pourrait y avoir des pistes intéressantes, des interactions du personnage dans son passé, pour sauver la femme qu'il aimait par exemple d'un accident idiot - je prends l'exemple le plus bateau - changer, améliorer telles choses, faire d'autres choix, se réjouir de revoir la femme aimée, bref, des dizaines d'options utilisées dans des centaines de fictions, il n'y a rien. Nous n'avons jamais face à nous le personnage qui est reparti physiquement dans le passé (comme la souris), mais uniquement le personnage qui revoit son passé mentalement, en spectateur, comme nous, jamais en acteur. Ou alors cela ne nous est pas montré ou sous-entendu clairement. Il n'y a jamais de relation du personnage dans le passé avec celui du futur (qui serait le même). Alors que quelques phrases de monologue suffiraient à nous le montrer. Dommage donc que ce retour dans le passé n'en soit pas un, c'est un thème que j'aime beaucoup, comme dans des oeuvres que j'affectionne particulièrement (ou que j'essaie d'écrire).
C'est pourquoi tout ce subterfuge d'expérience scientifique qui sert de prétexte et de caution scénaristique me semble surtout au final un artifice totalement inutile, en plus d'être grotesque. La narration éclatée – en tiroirs et en couloirs - de retours en arrière était tout autant possible sans cela, et bien mieux, en plus réaliste. Mais c'est peut-être justement ce flou, ce surréalisme qui est recherché (présence de tableaux de Magritte, affiche d'expo surréaliste, tramways qui évoquent Delvaux, affiche expo au Musée des Beaux-Arts « Depuis Ensor, quelques artistes belges »). Le propos n'est pas clair, ou il l'est trop. On découvrira in fine la difficulté de Claude à vivre avec Catherine, et le mystère de sa mort, alors qu'il avouait à une amie l'avoir tuée. Et ce sera tout. C'est mince.
Sinon, belle réalisation, belle image de Boffety, comme toujours (comme chez Sautet, dont il a créé le style visuel, en longues focales), belle musique chorale intrigante de Penderecki (bien avant Kubrick et autres cinéastes américains). Resnais déploie son écriture cinématographique particulière et ce n'est jamais inintéressant (du moins dans ces années-là). Olga Georges-Picot est une très belle femme, je ne sais pas si je l'ai déjà vue ailleurs, je vais creuser. Et Claude Rich est parfait pour ce rôle désabusé, ironique, narquois. Ce genre de dialogues cyniques ne pouvaient être mieux dits (certains improvisés ou inspirés par lui ?) par un autre.
Je n'ai pas été passionné par ce film, mais c'était une jolie petite expérience de cinéma d'auteur. On pense évidemment à « Mon oncle d'Amérique », film dans la même lignée mais plus concret, film que j'avais beaucoup aimé. Mais je ne saurais dissimuler également une certaine déception, car avec un tel titre, je voulais voir et m'attendais à un vrai film romantique, un film sur un amour, et il n'en est rien. L'ellipse sert surtout à éviter de raconter les choses vraiment. Déception, décuplée avec les années où j'attendais de le voir, ce sera donc en dessous de la moyenne.
2,5/6
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