de jolan » 29/08/2020 04:39
La Lettre inachevée – Mikhail KALATOZOV – 1960
C'est dommage. Un film qui commençait plutôt bien. Un groupe d'individus lâché dans l'immensité de la nature (joli premier plan d'hélico, même s'ils parlent après d'un avion qui les a déposés), où leur humanité et leur vraie nature vont être mises à rude épreuve. Entre les universitaires Konstantin (qui écrit son périple à sa lointaine Véra, non pas une lettre inachevée comme dans le titre français, mais « non envoyée »), Andrey le jeune scientifique chétif à lunettes, sa collègue et petite amie Tatiana, et leur guide Serguey, grand gaillard frustre et musculeux (qui s'éprend de la demoiselle), il va pouvoir se passer et se dire des choses.
Les hommes livrés à eux-mêmes dans une nature de plus en plus hostile (les éléments sont de la fête, abondance de pluie, de vent, de feu) vont se révéler devant l'adversité, la solitude et le besoin de satisfaire des besoins humains : les âmes courageuses, la force des sentiments, les jalousies, les rivalités, les tourments de l'âme humaine vont pouvoir se confronter et s'affronter dans leur spectre le plus complet.
Le rapport à la société, dont ils se sont coupés pour lui venir en aide (j'ai même cru à un moment qu'il serait question du péril atomique), à la patrie, au patriotisme, à l'argent, la survie voulue puis subie, l'homme chasseur, l'homme et son animalité, les rivalités entre scientifiques, les hiérarchies, entre les universitaires de la ville et le guide "des steppes", entre les hommes et la femme, bref, il y avait largement de quoi consolider le propos et les thématiques.
Mais non, il n'en sera rien.
« Optimistes et pleins d'espoir ». Oui, comme moi dans les premières minutes. Mais comme eux je vais vite déchanter.
Après un premier tiers consacré à l'exposition, avec des esquisses de thèmes et de dialogues intéressants, nous aurons les deux derniers tiers uniquement consacrés à leur tentative désespérée pour essayer de se sortir de cette terre hostile où ils meurent les uns après les autres. Du coup, j'ai la désagréable impression que le film évite son propre sujet.
C'est dommage parce qu'il avait beaucoup d'armes pour me plaire : une jolie réalisation ample et organique, avec de beaux effets de pluie, de reflets dans l'eau, en plans serrés au plus près des êtres humains, leurs visages, ou isolés dans l'immensité - pour encore davantage montrer leur infinie petitesse au milieu de la nature – un joli travail sur le cadre (cadres en diagonale) et l'éclairage, le N&B. J'ai beaucoup pensé à des réalisations comme je les aime, à la Tarkovski, ou Inarritu sur "The Revenant". Même si on en est très loin, joli boulot du chef op.
Mais il y a hélas aussi beaucoup trop de plans qui manquent de construction, de rigueur, les scènes se suivent de manière trop inégale, plus ou moins subtiles (scènes d'errance dans les arbustes, scènes de travaux, d'allégresse), les effets sont plus ou moins de bon aloi (flammes insérées au premier plan, filtres assombrissants)
Bref, un film qui partait bien, et dont j'ai trop vite vu les limites. Autant dans « Quand passent les cigognes » nous avions une grande qualité esthétique qui permettait à une histoire somme toute assez mince d'exister, autant ici l'absence d'histoire se fait vraiment trop ressentir dans toute la seconde moitié. C'est dommage que le scénario, comme la lettre, soit juste entamé. Il y avait moyen de dire beaucoup plus, en montrant bien plus.
2/6
Jolan, le gars qui n'a le droit de ne rien dire, sinon ses posts sont supprimés illico par Nexus.