Dans
Shangri-La, j'avais aimé les paysages, le reste m'avait ennuyé et dans
Carbone et Silicium, et bien, ça ne change pas, j'ai surtout aimé ... les paysages...
De jolies planches (magnifiques tons bleus), un monde du réseau très beau en effet, magnétique, des architectures toujours aussi saisissantes (en pleine page notamment), mais je n'ai hélas pas été sensible à l'écoulement du temps, ce temps qui pourtant était le point central de l'oeuvre et qui devait donner une ampleur particulière au récit. Bien au contraire, j'ai même accéléré ma lecture dans la seconde partie pour me hâter d'en finir.
Si j'ai préféré cette lecture à celle de
Shangri-La, j'ai retrouvé les éléments qui me gênaient déjà dans l'oeuvre précédente. L'auteur met en vrac les thèmes actuels dans le mixer, mais sans trop approfondir (avec un peu plus de réussite et de subtilité que dans
Shangri-La quand même) : le transhumanisme, la transidentité, la quête de l'immortalité grâce au réseau qui pourrait accueillir notre intelligence, l'essoufflement du capitalisme, le réchauffement climatique, un monde virtuel refuge, la fin de vie (saisissante vision il faut le reconnaître d'un personnage sur son lit de douleur), on ajoute une pincée de philosophie à la-vite (hop, un peu de
Contrat social de Rousseau, un peu de Marx notamment), une confrontation entre humains et androïdes (parce qu'il faut quand même dramatiser mon récit, donc l'humain - la secte - vient tout piller, on pourrait dire pour expliquer cet acharnement que les robots sont victimes d'un délit de sale gueule, mais, pas de bol, les humains ne sont pas mieux lotis
) et de très beaux paysages donc.
Après, j'ai plutôt aimé le regard nuancé que semble porter l'auteur sur la quête de ses personnages.
Mais globalement, je suis resté en dehors de ma lecture : les I.A, censées être des entités comparables à des dieux, semblent aussi désarmées que les hommes et c'est plutôt normal, puisque l'auteur veut parler avant tout des vicissitudes de l'être humain, mais les thèmes annoncés semblent toujours finir par écraser leur auteur et certains passages donnent vraiment l'impression en effet qu'on a compilé les fiches philo du lycée pour tenter de donner une épaisseur à cette errance (particulièrement dans les pages 179-180, on assiste à un enchaînement plutôt artificiel voire maladroit de plusieurs poncifs, une petite pensée pour Carbone qui doit se taper ce dialogue dans son état, la pauvre).
L'enchaînement des répliques manque également à certains moments de naturel (je ne retrouve pas la page, mais par exemple, un des personnages va mettre sur le tapis la définition du progrès - on la voit arriver avec ses gros sabots - et dans la case suivante, l'autre personnage lui demande : " Tu vas me parler de la notion de progrès, c'est ça ? " et là, je me suis dit : " Oui, c'est bien ça, allez, hop, case cochée, ça, c'est fait ". J'ai aussi pensé à
Zaï Zaï Zaï à ce moment-là, allez savoir pourquoi...
Je ne nie pas la démarche sincère, les décors sont très beaux, je comprends qu'on puisse se laisser emporter par ce récit de S.F., mais pour moi, ce n'est pas l'oeuvre géniale qu'on peut parfois nous vendre, et finalement, la poésie est plus immédiate, plus évidente dans d'autres oeuvres qui sont peut-être pourtant moins ambitieuses.
Dernier point, si j'ai bien aimé la remarque de M. Damasio sur le Bleu bablet, sa postface dans l'ensemble très prétentieuse m'a laissé dubitatif. Ivre de ses mots, Damasio est en orbite (logique pour une postface sur un récit de S.F. me direz-vous), mais il tourne autour de sa propre personne ; est-on nécessairement obligé de maltraiter la syntaxe pour donner l'impression qu'on est brillant ? " Je sens une mélancolie poignante et joyeuse qui me tremble doucement ". Vous la sentez, vous, la mélancolie qui vous
tremble doucement ?
Désolé d'avoir fait aussi long, force et honneur à ceux qui m'auront lu jusqu'au bout, mais l'accueil des ouvrages de Bablet me turlupine depuis longtemps, j'avais besoin d'en parler
.