Message précédent :Je vais juste répondre en tant que minuscule éditrice depuis un an, et un peu auteur depuis 10 ans - oui en général on commence jeune, et ça fait partie du problème.
Une grande partie du souci tient effectivement d'abord à une production massive - 40 sorties / semaine, faut avoir envie - et complètement, ou quasi complètement uniformisée. À part quelques petits, un peu comme nous mais plus gros, qui essaient des trucs avec plus ou moins de bonheur, on a le choix entre : des chevaliers un peu celtes, des meufs un peu à poil, et de l'humour ras les godasses, et je compte pas la mode des blogs publiés qui sont plus ou moins bien, mais souvent moins quand même.
Dans tout ça, j'ai pas acheté de vraie bd cartonnée classique depuis un sacré bail, je compte pas les albums des amis parceque bon là c'est un peu du marketing affectif.
Le dernier truc que je connaissais pas et que j'ai acheté sans lire était "La Parenthèse" chez Delcourt, parceque j'étais tombée sur une critique sur Bodoi qui m'avait parlé.
Et le truc d'avant remonte à plusieurs semaines.
Du coup en tant que auteur / lectrice voilà : trop de trucs, avec une majorité de choses qui ne me parlent pas, donc j'achète rien. Le coût du livre n'entre plus en compte quand on achète une bd tous les 3 mois, du coup ce n'est pas vraiment un facteur.
En tant qu'éditrice, je suis confrontée au même problème mais de l'autre côté : quoi sortir et surtout QUAND ? quand on sait qu'on ne peut plus sortir de livre de manière efficace à certaines périodes (Noel, Angoulême) parceque, dixit la distrib : ça sert à rien ton bouquin va se retrouver sous la pile de lanfeust, XIII, Titeuf et Astérix nouvelle formule. Et effectivement, c'est le cas.
On a sorti 3 volumes d'un roman graphique petit format noir et blanc, il a rien pour lui le pauvre, c'est un peu le petit enfant spécial des libraires, ceux qui l'ont lu le chouchoutent, les autres le regardent comme un petit être handicapé, et ce livre, bon moi je suis pas objective mais pour le moment j'ai vu personne qui l'ait lu et qui ait été décu, parceque au delà du graphisme qui n'est pas conventionnel par rapport à la bd actuelle, l'histoire est bien racontée et intéressante - trouve-je...
Du coup elle a eu un super succès critique... et des ventes molles. Pourquoi ? ben la faute aux gros machins entre autres, et aussi un peu au public formaté. Alors c'est bien hein ils ont raison, tant qu'on gagne on joue, mais jusqu'à quand poussera-t-on le bouchon ? comme toujours la réponse va être : jusqu'au drame. Jusqu'à ce qu'ils mettent 300 000 bouquins d'un titre lambda à la poubelle, et que ça fasse un peu cher du coup on se calme un peu.
De notre côté on va continuer à soutenir ce titre parcequ'on pense sincèrement que ce livre a quelque chose à apporter, et on aurait pu (qui a dit du ?) l'arrêter au troisième tome, mais on a bien envie de continuer jusqu'à la fin. Juste pour dire que merde, on commence un truc, on va jusqu'au bout, par respect pour les 1000 et quelques mecs qui suivent l'histoire. C'est ça je trouve l'engagement de l'éditeur de BD : soutenir, suivre, aider, porter son choix jusqu'au bout, c'est un engagement, une responsabilité.
A contrario, la partie de la maison qui s'occuppe d'Artbooks est plutôt cool, on peut vendre nos livres, même ceux à 30 euros parceque ça touche une niche. Et les niches c'est le truc en ce moment. De toutes manières on a pas le choix : soit tu fais les blondes en string, soit tu vises un public un peu plus "éduqué" - je veux pas dire des gens plus intelligents mais plutot des gens plus sensibilisés à certains types de livres, qui n'ont pas l'appréhension de la nouveauté (oui ça existe, la peur d'ouvrir un livre
) ...
Je pense pas que le livre soit victime de la crise économique, mais plutôt que la BD est victime d'une crise autogénérée, une sorte de maladie autoimmune comme dirait Gregory House, et cette maladie il n'y a que ses acteurs principaux qui peuvent la juguler : les plus gros éditeurs.
La solution est simple et plutôt économique : moins de titres à l'année, ça fait moins de titres qui se plantent à l'année aussi, et surtout, des directeurs de collec qui se soucient un peu de l'après signature de contrat. Parceque aujourd'hui, combien d'auteurs ne voient leur éditeur que deux fois : présentation du dossier, signature du contrat, et pour le reste tu te débrouilles ?
Ça fait partie intégrante de l'intérêt de plus en plus restreint des gens, il y a de plus en plus de "nouveaux auteurs", "jeunes talents" qui sont laissés à l'abandon total avec leur premier album, sans aucun suivi éditorial, aucun conseil, et ça donne parfois des super abérrations.
Bon je crois que j'ai fait la tartine de l'année là
Tout ça est un peu en vrac, brut, pas très nuancé et pas forcément très gentil, je généralise pour éviter de citer mais évidemment il y a un tas de contre-exemples dans toutes les maisons d'éditions, ça sera bien quand ces contre-exemples seront la majorité et plus un luxe
Je retourne dans ma grotte, je reviendrai voir par ici l'avancée des débats
Merci merci
Kness pour elle-même et un peu pour la maison CFSL Ink