Bon, je l'ai finalement relu et je suis maintenant à même de mieux faire une courte critique :
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L'ensemble est d'excellente facture, tant du point de vue des dessins, magnifiques, dans une monotonie de tons gris et ocres uniquement brisée par l'apparition du rouge sang, que du point de vue du scénario et de l'univers bien travaillé et denses. Il m'a fallu plusieurs lectures pour comprendre qui était dans quel camp, qui trahissait qui, et pourquoi.
Le dessin est soigné, léché, bien maitrisé, dans un style tout à fait reconnaissable.Le peu de couleurs utilisées nous renvoie immédiatement à cette époque révolue où le monde se couchait sur photos en dégradés de sépia ou en noir et blanc. Cette palette de couleurs correspond bien à cette atmosphère de fin du monde, de dernier baroud de l'humanité.
Ces derniers jours des hommes se passent dans une ambiance sombre, de ciel obscurci, avec un soleil qui ne fera finalement son apparition que durant les dernières heures du récit comme pour mieux saluer le changement qui se profile à l'horizon, même si en l'espèce, mère nature n'en sortira pas forcément grandie.
Le rouge sang, utilisé par petites touches, que ce soit pour mieux dépeindre les derniers instants des personnages fauchés comme les blés par leur destin, ou pour renforcer la pesanteur du décorum et de la symbolique nazie teinte à sa façon cet univers et indique bien la couleur de l'album, violent et désespéré.
Saluons enfin le soin consacré au détail que ce soit des habits, des lieux ou des armes mises en jeu, tout est historique, ou, a-historique mais de qualité.
Le scénario quand à lui est efficace. Il emprunte néanmoins un certain classicisme dans les moyens et les ambitions des personnages mais se rattrape par sa clairvoyance et sa méticulosité. Nous ne sommes pas ici en face d'un énième opus où, sous prétexte d'uchronie, on part dans un grand n'importe quoi grand-guignolesque. Ici l'univers est fouillé, construit, détaillé, tant du point de vue de la trame du récit que des personnages.
Les personnages, parlons en.
Ici, l'élite du 3ème Reich côtoie les "anonymes" perdus au milieu des bouleversements de ce monde en déclin.
Prenez les pires bourreaux que l'humanité a porté, une litanie de noms en "H", grossissez à peine le trait pour certains et vous obtenez une bande de salopards ne reculant devant rien pour asservir le monde, pour écraser son frère, son voisin, son ennemi sous sa botte. Chacun de ces tristes sires se montre fidèle dans son comportement par rapport à l'histoire, Heydrich est une toujours ordure, Canary doute toujours de sa loyauté, etc...
Certains personnages qui, historiquement, se sont opposés à Hitler (disparu dans l'histoire) rejoignent là aussi les rangs de la rébellion face à l'horreur annoncée.
Quoiqu'en voulant en éviter une, n'en déclenchent-ils au final pas une autre ?
On retrouve donc tout le gotha nazi, se trahissant, s'assassinant, louvoyant entre deux eaux tout au long de l'histoire, ou de l'Histoire si vous préférez.
L'auteur prend un malin plaisir, tel Quentin Tarantino dans "Inglorious Basterds", à les trucider par pelletées au gré de ses envies et au service de l'avancée de l'action. Nul ne semble invulnérable. Qui en sortira indemne ?
Au final, les plus pourris ne se révélant pas être ceux que l'on croyait.
Mais tout n'est pas noir, quelques lueurs d'espoir transparaissent ici ou là. Flammes incertaines et vaillantes face au cours des choses, un rien suffirait à les éteindre, cet espoir étant surtout porté par des "anonymes", des hommes de l'ombre ou des anciennes victimes.
Des personnages aux petits oignons et à la personnalité travaillée, qu'il soit issus de l'Histoire ou créés de toutes pièces, mais qui ne seraient rien sans un univers crédibles où s'ébattre.
Et de ce côté là, nous sommes servis.
Block 109 c'est l'Allemagne nazie mais dopée aux stéroïdes, une sorte de Bigger Than Life à l'américaine, un What-If pleinement assuré. Nous sommes de plein pied dans le domaine de l'uchronie.
Ici, la course à l'armement a joué à fond. Les projets les plus fous qui, dans la réalité, n'avaient pu se réaliser pleinement du fait de la défaite du Reich, ont ici aboutis pour la plupart.Qu'ils soient réalistes ou plus échevelés.
Exo-armures, chasseurs à réaction, missiles nucléaires et autres engins de mort sont présents en nombre sur les champs de bataille. Par contre ici, point de pouvoirs psychiques ou autres manipulations surnaturelles, la science peut tout expliquer. Les pires ravages sortent bien de l'esprit de scientifiques dérangés au service d'une machine enragée.
Et c'est dans un univers cohérent, qui aurait pu exister, que l'on se retrouve emporté par le tourbillon des évènements de ces derniers jours avant une nouvelle ère.
En refermant l'ouvrage, on se surprend à rêver...non, rêver n'est peut être pas un terme convenable pour un univers où les horreurs nazies historiques ou imaginaires sont bien présentes...espérer conviendrait mieux. Oui, on se met à espérer de futures incursions dans cet univers que ce soit pour nous raconter les prémices de cette guerre, les évènements antérieurs ou parallèles, mais pas la suite... Car en elle même la fin de cet ouvrage est très symbolique et marquante, teintée de mélancolie et d'un espoir dont on doute. Pas besoin d'en rajouter après celle-ci.
Une lecture que je conseille donc ardemment à tous les amateurs d'uchronies ou d'histoire de la seconde guerre mondiale, ainsi qu'à tous les autres. On passe un bon moment, on réfléchit, on apprécie les graphismes ainsi que le papier de qualité, on s'évade, certes pour un monde pas franchement recommandable mais Ô combien détaillé avec soin.
J'aurais bien quelques critiques à formuler mais elles se perdent dans le brouhaha de ma satisfaction générale et quasi entière.
Merci pour ce bel ouvrage.
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Passons maintenant, après une critique quasi dithyrambique, à l'évocation de deux questions que je me pose :
-Concernant l'arme nucléaire : L'Allemagne la possède, mais quid de l'URSS ? Ceux-ci disposent-ils d'une capacité de riposte ? En enfermant les individus choisis dans le bunker, Zytek veut-il les protéger surtout des retombées ou aussi des possibles ripostes soviétiques ? Les scientifiques du projet Manhattan ont ils rejoint, sous la contrainte ou librement, un camp ou l'autre ?
-On apprend aussi que le bunker du Block ne serait pas étanche ce qui explique pourquoi Zytek ne veut pas utiliser le virus sous forme gazeuse en Allemagne mais plutôt confier aux infectés le soin de nettoyer la ville durant leur courte durée de vie. Ce qui amène une autre question : si le Block n'est pas étanche, comment réagira t'il face aux retombées radioactives en provenance de l'Est ?