Bigwolf a écrit:Je l'ai pas lu depuis trop longtemps ! Merci Cabarezalonzo, vais le relire avec grand plaisir
Bonne lecture, ami Bigwolf.
Pour mieux en profiter, nonobstant les défauts ou griefs qu'on a pu relever ici et là sur ce tome, permets-moi une petite suggestion : accorde plus d'importance à la moitié du verre rempli qu'à la moitié vide. En d'autres termes, satisfais-toi des merveilles que tu pourras découvrir dans cet album et non de ce que l'on voudrait y trouver.
Avant de revenir évoquer cet album atypique, comme je l'ai promis, je m'attarde un instant sur le choix judicieux de la vignette ci-dessus pour illustrer l'article du
Point.
En face de cette image saisissante et particulièrement réussie, les commissaires de l'exposition nous donnent une des clés :
Les planches de L’Affaire du collier entraînent le lecteur dans les carrières, les catacombes et les égouts de Paris. Dans ces univers clos, le couragedes deux héros est rudement mis à l’épreuve. Sous la surface, Jacobs imagine également un monde minéral d’une réalité anxiogène, façonné par l’homme. Il met en scène des courses-poursuites dans des dédales souterrains et exploite fréquemment le motif du puits dans lequel un personnage est enfermé, une expérience qu’il a lui-même vécue enfant.Cette case impressionnante en contre-plongée, pouvant s'apparenter à l'esthétique du film noir comme à celle du film fantastique, tous deux héritiers du cinéma expressionniste allemand (Murnau, Lang, etc...), c'est sans doute la représentation d'une l'image très ancienne, enfouie depuis une éternité dans les recoins obscurs de la mémoire de Jacobs, tombé vers l'âge de trois ans dans un puits de sept mètres de profondeur. Le souvenir d'un moment traumatisant et qui se traduira par cette fascination pour les couloirs et passages obscurs, les égouts, grottes, gouffres, catacombes et autres galeries ou installations plus ou moins en sous-sol qui émaillent son œuvre.
On trouve une variante du risque de noyade dans un lieu confiné et souterrain aux pages 44 et 45 de cette même
Affaire du collier, lorsque Olrik soumet à la question le bijoutier Duranton, immobilisé sur un siège pliant au fond d'un puits aux parois suintantes et dont Sharkey peut contrôler le niveau d'eau. Le peu réjouissant programme concocté par Olrik prévoyant successivement bain de pieds, bain de siège et immersion totale.
Par ailleurs, cette fascination pour les univers souterrains, par définition tout de même plus ou moins cachés, coïncide parfaitement avec l'intérêt de Jacobs pour les choses occultes, celles qui nécessitent un parcours jalonné d'épreuves initiatiques.
Avec les souterrains et la spéléo, l'auteur est servi puisqu'il réunit déjà deux éléments sur les quatre que l'on doit rituellement affronter dans un cheminement initiatique et que sont :
la terre,
l'eau,
l'air et le feu (présents, comme il se doit, dans tous les albums de Tintin et de Blake et Mortimer).
Je pense que le choix de la contre-plongée répond à la fois à un souci esthétique (Jacobs est un maître dans les mouvements de caméra, il aurait fait un metteur en scène très correct au cinéma) mais aussi à la volonté d'impressionner le lecteur pour le placer dans la situation où, lui, Edgar, à trois ans, a compris qu'il était sauvé lorsque des visages à contre-jour se sont penchés au dessus du puits.
Cette vignette (la huitième de la page 28 de
l'Affaire du collier) fait écho à une vignette un peu similaire mais moins impressionnante, du
Piège diabolique (page 33, case 3) au moment où Mortimer va perdre connaissance dans une salle surmontée d'un dôme bleuté. Mortimer trébuche au milieu d'un fantastique amoncellement de films et de bandes magnétiques lorsque la dalle du plafond glisse, dégageant l'ouverture et laissant apparaître des visages grimaçants penchés sur lui.
L'anecdote de ce mauvais moment, Jacobs nous l'a livrée dans son
Opéra de papier, lecture indispensable pour qui s'intéresse un tant soi peu à Jacobs. C'est dans les toutes premières pages du livre et je tiens à partager avec ceux qui ne l'ont pas, ce témoignage émouvant :
"Il est un fait inconnu des lecteurs de bandes dessinées : c'est qu'il s'en est fallu d'un cheveu qu'il n'y eût jamais ni de E.P. Jacobs ni de Blake et Mortimer !
En effet, tout enfant (vers les deux ou trois ans), je jouais dans la cour de mon oncle, ébéniste à Louvain, lorsque le couvercle vermoulu d'un vieux puits désaffecté céda soudain sous mes pieds et me précipita, avec un grand plouf ! à plus de sept mètres de profondeur !... Mon sauvetage s'avéra laborieux, personne n'osant se risquer dans cette étroite cheminée. J'y barbotais pendant plusieurs dizaines de minutes (trente m'a-t-on dit !). Quoi qu'il en soit, c'est miracle si j'en sortis vivant. Ma langue s'était, paraît-il, retournée, formant bouchon, ce qui m'aurait sauvé de la noyade.
De ce drame lointain, je garde quelques lambeaux d'images, d'abord, à hauteur de ma bouche, une eau noire et stagnante sur laquelle flottaient des bulles et quelques bouts d'allumettes... Puis la cour pleine de gens qui me regardaient avec curiosité...
Crystal Bowie a écrit:A ce niveau là, ce ne sont plus des puristes, mais des psycho-rigides (pour ne pas dire autre chose!
)
danielsansespace a écrit:Si-si. Ce genre de rupture graphique a été épinglé comme une trahison de l’esprit d’origine (même Jacobs y a eu droit).
danielsansespace a écrit:On a les mêmes remarques avec l’utilisation des gros plans dans les derniers tintin aussi. Le lecteur de bd, sur les séries, est fondamentalement un conservateur qui y revient d’abord pour retrouver les mêmes schémas. (Et le même peut se plaindre aussi du manque de surprise, mais plus rarement)
danielsansespace a écrit:danielsansespace a écrit:Le lecteur de bd, sur les séries,
Je dis « LE lecteur de bd », de façon un peu péremptoire, comme ça, et on peut me demander d’où je tiens cette affirmation. Il se trouve que je le connais, je l’ai vu la semaine passée et il vous passe le bonjour.
à daniel
et Crystal :