Donc… J’ai lu le nouveau Astérix.
J’avais beaucoup aimé le précédent, L’Iris blanc. J’avais eu le sentiment que Fabcaro comprenait mieux l’esprit d’Astérix et la personnalité des personnages. Le doyen (Âgecanonix) y est un grincheux xénophobe, pas un joyeux papy, Astérix a du caractère et agit vraiment. L’histoire ne semblait pas unidimensionnelle et, même si la fin manquait un peu d’inspiration, je la trouve bien meilleure que les précédentes tentatives.
La blague sur le pirate Baba qui finit enfin par prononcer le “R” m’a fait rire. Puisqu’ils devaient faire un tel changement, au moins ils en ont fait une plaisanterie, plutôt que d’introduire la modification comme si de rien n’était… même si j’espérais une chute où Astérix ou Obélix lui donnerait un coup, et qu’il redeviendrait incapable de prononcer le R.
L’Iris blanc avait bien réussi sa satire — se moquer des modes actuelles du “woke” et de la correction politique. Astérix, après tout, est une bande dessinée satirique, mordante, avec du piquant. Il doit se moquer des tendances, pas leur obéir.
Point positif : les dessins sont magnifiques. Les personnages de Conrad sont différents de ceux d’Uderzo, mais chaque dessinateur a son style, tout comme on ne s’attend pas à ce que chaque acteur jouant Astérix ait le même visage que le précédent (je continue de penser que Peter Dinklage devrait l’incarner

). Les décors de Conrad sont superbes, riches, les designs de personnages réussis. Oxala est ravissante (même si on peut débattre du fait qu’elle soit une sorte de Falbala brune), et j’ai adoré Astérix et Obélix déguisés en Portugais — ça leur allait très bien. On sent vraiment l’atmosphère du pays. Le seul design que je n’ai pas aimé, c’est celui du Gaulois retraité : on aurait dit un Obélix grisonnant sans tresses.
C’est sans doute nouveau l’album “Astérix en…” où j’ai le plus ressenti le pays, bien plus qu’en Écosse, en Italie ou en Russie. Les Portugais étaient caractérisés et avaient une vraie personnalité, comme les Bretons, les Helvètes, les Hispaniques ou les Grecs, et non pas génériques et simplement sympathiques comme dans les autres albums post-Uderzo. Et quel plaisir d’entendre ENFIN Obélix prononcer la célèbre phrase “Ils sont fous, ces X !”.
Avant d’aborder les défauts, je précise que je suis Polonais, et que j’ai lu l’album en polonais. Notre traduction est bonne, avec des jeux de mots amusants et les chansons des Portugais. Je ne sais pas comment c’est en français, mais chez nous, la réplique d’Obélix “Évitons simplement ce gros nonchalant” est très drôle. J’ai conscience cependant que beaucoup de blagues doivent être plus locales et peut-être peu lisibles en dehors de la France.
Je connais peu le Portugal (ma première association, c’est le miracle de Fatima) ; pour vous, Français, ce sont vos voisins, donc sans doute que beaucoup de gags et de références culturelles vous parlent davantage. Les blagues sur les couples de retraités en vacances ne m’ont pas fait rire du tout — elles doivent être plus universelles ou actuelles pour les Français. Et c’est très bien. Je n’attends pas non plus des Français qu’ils comprennent notre Kajko et Kokosz (notre “Astérix polonais”, d’ailleurs adapté en série sur Netflix).
Cela dit… Même si l’album est agréable, je l’ai trouvé en fin de compte ennuyeux. J’ai le sentiment que les nouveaux scénaristes d’Astérix devraient suivre un vrai cours d’écriture — ce n’est pas une question de trouver des calembours, des gags ou des clins d’œil : ça, ils savent le faire. Ce qu’ils ne maîtrisent pas, à mon avis, c’est la construction d’une intrigue. Oui, il y a un début, un développement et une fin, mais ce qui se passe au milieu est totalement inintéressant. L’histoire devrait se construire en compliquant la vie des héros, avec des rebondissements, des surprises…
Je retrouve ici le même problème que dans Astérix en Italie : il ne se passe rien. Les aventures les plus génériques :
– Astérix et Obélix voyagent, voyagent…
– Des Romains surgissent, ils les battent.
– Ils repartent, voyagent encore.
– Ils demandent leur chemin, longue discussion avec des locaux.
– Ils voyagent encore…
Tout cela, on l’a déjà vu. Il manque une vraie idée. C’est ce que Goscinny comprenait : il leur mettait des bâtons dans les roues. Ici Astérix est capturé sans potion magique, là, chez les Helvètes, Obélix est saoul et il faut le tirer, là-bas ils perdent le tonneau chez les Bretons… Il savait créer du suspense : “que va-t-il se passer maintenant ?”, compliquer la tâche des héros, trouver des situations où la potion magique ne suffit plus — ils doivent gagner de l’argent pour remplir le chaudron, s’introduire dans le palais de César…
Même quand ce n’était pas du suspense, cela créait des situations comiques nouvelles. Astérix était frustré, Obélix faisait des bêtises, et c’était drôle. Même Le Bouclier arverne avait une énigme et des moments du genre “il faut se cacher dans le charbon”.
Ici, j’ai l’impression qu’ils ne se préoccupent pas du tout de cet aspect. Ce n’est pas aussi mauvais que chez le précédent scénariste, où Astérix et Obélix étaient plus des observateurs que des protagonistes, mais on n’en est pas loin. Les adaptations animées comprennent mieux cela : la situation se complique sans cesse pour les héros. Astérix perd toujours la potion dans le dernier tiers, tout devient difficile, et cela crée du vrai suspense. Ce qui, en plus, rend la comédie plus efficace.
C’est un agréable “album de vacances”, mais j’ai l’impression qu’il aurait pu être bien plus intéressant si on avait un peu compliqué la mission des héros, au lieu d’aller tout droit (ou plutôt sans aucune ligne directrice, car tout est servi sur un plateau et sans intérêt). Même le début m’a semblé paresseux : oui, “quelqu’un vient demander de l’aide aux Gaulois” est un schéma classique, mais ici c’est sans idée — ils sont simplement sur la plage, et quelqu’un vient leur parler.
Petit détail : qu’ils trouvent d’autres citations latines que Veni, vidi, vici et Alea jacta est. J’ai l’impression qu’ils les recyclent encore et encore au lieu d’en chercher de nouvelles, plus originales ou surprenantes. Même chose pour les blagues sur Brutus qui va tuer César : ça ressemble plus à une habitude qu’à un vrai gag, et ça crée une impression de monotonie.
Étrange aussi qu’ils aient autant vanté la présence de Ricky Gervais dans la BD alors qu’il ne fait rien, ne dit rien de distinctif.
Question : je n’ai pas la version française. À la planche 20, dans l’original, Astérix fait-il une référence aux 12 travaux d’Astérix en appelant l’endroit “la maison qui rend fou” ?