de makidoo » 12/05/2020 19:19
Article du Monde aujourd’hui :
"Donnons une place plus large à une représentation moins inquiétante de l’épidémie"
Publié aujourd’hui à 06h00
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Face aux craintes que suscite le déconfinement, quatre médecins du CHU Henri-Mondor rappelle, dans une tribune au « Monde », qu’au-delà du décompte morbide quotidien, il existe également d’autres réalités, relatives à la pandémie, plus rassurantes.
Tribune. Aux premiers jours du déconfinement, des questions, réticences et inquiétudes qu’il soulève, sans doute est-il nécessaire de se pencher sur les différentes représentations que nous avons aujourd’hui de la pandémie liée au Covid-19.
Après huit semaines de confinement et plus de 26 000 morts, les réticences exprimées à l’annonce de la réouverture des écoles par nombre de parents d’élèves et d’enseignants traduisent la crainte que soulèvent cette épidémie et les risques de recrudescence.
Ces inquiétudes largement partagées au-delà de la question de l’école répondent en partie aux représentations de l’épidémie par nos concitoyens, fortement étayées par le décompte morbide quotidien énoncé par le directeur de la santé, les images de services de réanimations surchargés ou encore des établissements médico-sociaux où meurent dans l’isolement le plus total des milliers des personnes âgées.
Des données épidémiologiques incontestables
Ces représentations s’appuient sur des données épidémiologiques incontestables et sont issues en grande partie de leur traitement médiatique ainsi que des expertises qui les ont accompagnés. De telles représentations ont en partie favorisé le respect des décisions politiques durant cette étape de la crise et notamment celui des mesures de confinement généralisées.
D’autres représentations attenantes à d’autres réalités sont néanmoins possibles. Il existe non pas en Suède, au Japon ou en Allemagne, mais au sein de notre pays, une communauté de femmes et d’hommes, actifs, résidant dans un environnement urbain, ayant continué à exercer leur activité professionnelle notamment dans des lieux surexposés au virus, sans par ailleurs s’isoler de leur famille proche, conjoints ou enfants (souvent accueillis dans les établissements scolaires) et pour lesquels nous disposons de données épidémiologiques fiables. La diffusion de ces données pourrait s’avérer utile à l’heure du déconfinement pour atténuer les inquiétudes de nombre de femmes et d’hommes susceptibles de reprendre une vie professionnelle et de scolariser.
Ces données existent et ne proviennent pas d’un environnement particulier comme celui du porte-avions Charles-de-Gaulle et de sa population peu représentative, mais du personnel de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), soit plus de 100 000 personnes dont près de 70 % de personnels soignant, hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions physiques, ayant pour nombre d’entre eux interagi quasi quotidiennement avec des patients atteints du Covid-19. Avec un peu plus de 4 300 personnes contaminées, chiffre probablement sous-estimé par le fait que seuls les cas symptomatiques ont été dépistés, l’AP-HP déplore à ce jour 7 passages en réanimation et 3 décès rapportés au Covid-19, soit un taux de mortalité inférieur à 0,1 %.
L’autre grande victoire des soignants
Si ces données ne représentent en aucun cas la létalité du virus estimée par l’OMS en dessous de 3 % au sein de la population générale (même si des incertitudes demeurent encore sur ce chiffre), elles permettent d’entrevoir une autre réalité de cette pandémie : celle observée au sein d’une population active, informée, respectueuse des mesures barrières, équipée de masques et dépistée précocement pour laquelle le taux de contamination serait proche de celui observé dans la population générale confinée de la région Ile-de-France, en dépit d’une exposition paroxystique au virus.
Ces chiffres nous indiquent qu’en s’organisant de manière responsable et en protégeant de manière renforcée et ciblée les plus âgés et les plus vulnérables, le nombre de décès et de formes graves a été limité drastiquement.
Si ces décès restent bien entendu à jamais intolérables, ils attestent néanmoins de l’efficacité d’une organisation humaine qui d’une part a eu accès aux mesures de protection et de dépistage, et d’autre part a bénéficié d’une grande autonomie locale dans la gestion des risques encourus par son personnel. C’est ce qui constitue sans doute, au-delà d’avoir fait front face à la pandémie, l’autre grande victoire de la communauté des soignants.
Plus que jamais, il convient désormais de donner une place plus large à une représentation collective moins inquiétante de l’épidémie, issue des données factuelles observées au sein d’une population active, avertie et sans doute plus armée que l’ensemble de la population française, mais faisant émerger un autre visage de cette pandémie.
José Cohen, immunologiste ; Philippe Grimbert, chef du service néphrologie et transplantation ; Jean-Daniel Lelièvre, chef du service maladies infectieuses ; Marie Matignon, médecin dans le service néphrologie et transplantation. Tous sont médecins au CHU Henri-Mondor."