de Blokzog » 18/08/2024 17:54
Je suis un crouton passéiste. Ma base est donc sans surprise le franco-belge naïf d'une époque où la BD ne se vivait pas comme un art, ni une affaire d'adulte. Donc bien sûr :
1) Les Spirou de la période Franquin.
La période Jijé fait très très peur (graphiquement), la période Fournier/Nic m'a déplu au point que je n'ai, à tort, même pas donné leur chance à Tome & Janry (les noms n'ont pas aidé). Aujourd'hui, je continue à adorer, même si certaines cases ont vieilli, sur le ton et la forme. Je découvre aussi petit à petit que beaucoup de choses que j'y appréciais étaient dues à Jidéhem ou d'autres. Du coup, j'étends doucement mes explorations au voisinage...
2) Les Astérix, 3) Les Lucky Luke, de la période Goscinny.
C'est devenu un cliché de le dire, mais la force de Goscinny est d'être lisible avec un même plaisir à tout âge. Je reste sidéré par les dialogues, les structures des gags, de ces albums. Même chez Spirou, mon plaisir nécessite parfois de retrouver une certaine indulgence enfantine. Pas besoin de ça avec Goscinny. Et le trait d'Uderzo est phénoménal, dans ce mélange de réalisme et de caricature qu'on ne retrouve que chez Gotlib. Et Morris, son style entre crayonné et ligne claire, la distanciation qui surgit à ses occasionnelles cases monochromes ou silhouettées me fascinent. Les albums qui ont suivi le décès de Goscinny sont par contre douloureusement embarrassants à lire, dans les deux séries.
4) Johan et Pirlouit, 5) Les Schtroumpfs de la période Delporte.
Très élégants, très intelligemment socio-politique pour ce qui est des Schtroumpfs, c'est un univers médiéval folklorique dont j'adore la poésie graphique et narrative. J'aime ce qu'on appelle la "low fantasy" (par opposition à la "high fantasy" des elfes et boules de feu dans tous les sens), le médiéval avec une touche de surnaturel, mais de surnaturel exceptionnel, marginal, en phase avec les croyances de l'époque. Il y a une atmosphère que je ne retrouve nulle part (à part peut-être dans le Bone de Jeff Smith?), entre le dessin caricatural "bédé gros nez" et l'épique tranquille de ces récits et environnements, comme le château de Maltrochu, etc. Une beauté qui ne sent pas le forcé, le poussé. Juste un conte, bien ressenti.
Maintenant, si on sort de ce registre :
5) Les Hellboy de Mike Mignola.
Il y a quelque chose de bien médiéval et folklorique dans le style de Mignola. Ses cases pourraient souvent être des gravures sur bois. Son ton est agréablement rythmé par des éléments de décor en pleine case, qui donnent ce même effet de distanciation que les monochromes de Morris ou certains avant-plans animaliers chez le Lambil des Tuniques Bleues. J'ai décroché avec regret quand Mignola a lâché le crayon pour se consacrer au pur scénario. Son style graphique m'était nécessaire pour la crédibilité de ce demi-diable rouge.
6) Les deux premiers League of Extraordinary Gentlemen, 7) Watchmen, 8) Top Ten, scénarisés par Alan Moore.
Alan Moore (comme Pratt ou Jodorowsky) part facilement un peu trop dans le mysticisme abstrait, pour moi. Mais pour quelqu'un qui n'aime pas beaucoup le concept de superheros, ce qu'il en fait est vraiment fascinant. Et alors que je suis en général assez psychorigide sur les ré-interprétations de personnages de romans, le découvrir et reconnaître à travers le traitement qu'il en est fait dans The League a été un délice inattendu. Beaucoup aimé la sensibilité sous-jacente à ces séries.
9) The Walking Dead, de Kirkman.
Heureusement, la laborieuse série télévisée n'existait pas encore. J'ai beaucoup aimé le style graphique des deux dessinateurs, beaucoup aimé les thématiques de la série et la façon dont ses morts-vivants étaient utilisés comme un contexte d'arrière-plan. Certains épisodes dépassaient parfois l'insoutenable, mais il y avait là derrière une profonde humanité, une très belle façon de voir le monde, que je n'ai pas vraiment retrouvée dans, par exemple, Invincible.
10) Achille Talon.
Ah bah oui, bah tiens. Un oublié pour faire dix. Greg n'a pas tellement les mêmes sensibilités politiques que moi, et les postures derrière ses gags me sont parfois un peu pénibles. Et puis ses scénarii "sérieux" (chez Bruno Brazil) me font un peu rouler les yeux au plafond. Il n'empêche que, texte et dessin, Talon m'a passé des fous rires comme probablement aucun autre auteur (à part peut-être Franquin sur quelques Gaston). Une grosse influence de vie.
Et je suis bête. J'ai pas mentionné Tintin. Tintin, ça reste l'arrière-plan, avec l'étonnant vivant de ces dessins faussement figés, et la qualité des scènes maritimes, et la façon dont les personnages sont campés, et tout ça. Il y a plein de phases et de périodes différentes, ce qui en fait une évolution fascinante à suivre. Je le dis souvent, j'aurais adoré voir comment on va au-delà des Picaros. Peut-être que j'aurais été immensément déçu, parce que l'Alph-Art me semble pas très enthousiasmant. Peut-être que Picaros est un final parfait. Enfin bon. Ceci en canevas de tout. Pis ça fait onze. Exercice raté.
(J'y avais bien cru, pourtant.)