...Je rentre de
"Marseil" (avec à l'occasion un œil sur les éditions antérieures).
Sur la forme, la parution retardée de ce gros bouquin aurait dû permettre une relecture plus attentive du matériel : certaines fautes ont disparu mais pas toutes (aucune n'a été ajoutée, c'est déjà ça).
Comme dans l'édition précédente, certains textes comportent un renvoi chiffré dont on ne trouve pas la correspondance. Parfois aussi les récitatifs un peu lourds de Crespin (souvent inspirés de Giono, pour ce que j'en connais ?) auraient mérité une subtile retouche (« Sur sa demande je sortis par une porte détournée... » -- on n'aurait rien volé à l'auteur en y substituant « une porte dérobée »).
De plus, éditorialement, ça manque de cohérence : certaines mentions comme "à suivre" sont demeurées mais pas d'autres, et on en voit même qui ont été barrées mais pas effacées ; certains titres ont changé de couleur, d'autres pas... Bref !
Un bon point en revanche quant au format, supérieur aux albums initiaux ; si les Humanos avaient cédé à la pente que suivent parfois Dargaud ou Glénat en proposant des intégrales en format réduit, ç'aurait été un massacre !
J'ai lu chacun des cinq temps qui constituent ce récit à leur sortie, mais si j'en avais volontiers relu isolément certains de temps à autre je n'avais encore jamais refait le voyage in extenso d'une seule traite.
Sur le fond, "Marseil" et "Armalite 16" ne prétendent sûrement pas décrire un univers impeccablement cohérent comme on peut en trouver dans d'autres histoires post-apocalyptiques, mais son contexte est manifestement réfléchi (même si dans cet univers où on n'écrit plus qu'en phonétique tout le monde semble connaître le jour du calendrier), et son trait et son ton sont -- radicalement ! -- uniques ; si son utilisation de la couleur est parfois déconcertante (mais il a fait encore plus déroutant ailleurs) il rendait la chaleur des levers et couchers de soleil comme peu d'auteurs (révérence gardée à Hermann). De plus, je redécouvre son attention aux décors, auxquels il n'hésite pas à accorder une vaste part de ses cases.
Par principe -- et donc sûrement à tort -- je suis toujours un peu réticent devant des albums comportant une majorité de cases sans texte, mais quand c'est Crespin qui raconte, je ressens l'exact contraire -- quand bien même son découpage, taiseux et loin d'être limpide (de moins en moins à mesure qu'on avance vers "Les Infernets"), m'a fait souvent froncer les sourcils, de même que ses textes où il emploie les points de suspension un peu à la manière de Céline.
Quoi qu'il en soit, on ne peut je crois qu'admirer son audace à multiplier -- c'est le moins qu'on puisse dire ! -- les techniques au sein d'un même récit ; par moments on jurerait un précurseur de Rossi, non par la sûreté du trait mais par l'utilisation de la couleur directe.
Habituellement, le passage annoncé de la BD au film me laisse froid, et le résultat (quand j'en prends connaissance) trop souvent insatisfait, mais les planches de Crespin semblent appeler la caméra -- ses incises, ses gros plans, ses plans larges voisinant avec des planches hyperdécoupées ("Les Infernets", encore) -- si bien qu'en l'occurrence je me suis surpris à m'en faire tout un film...!
(Re-)Lecture faite, je regrette vraiment que Crespin n'ait pas mené son récit plus loin comme ç'a un temps été son intention...
La préface de Dionnet est agréablement chaleureuse, et le rédactionnel en fin de volume donne le sentiment qu'avec cette intégrale on a pu faire le tour d'un récit aussi singulier que son auteur était atypique.
Note : je découvre avec stupéfaction que depuis les années 80 je ne m'étais jamais interrogé sur le sens de "Armalite 16", titre générique du long prequel à "Marseil" ! Apparemment ArmaLite est une marque d'armes à feu...