de chris24 » 07/02/2021 16:58
C'est marrant, je suis aux antipodes de ton ressenti.
Déjà je ne trouve pas que Oleg soit un "vieux con réac", je ne sais pas quel âge tu as mais il est peut-être juste simplement en décalage avec la génération actuelle (comme tout un chacun quand on a ne serait-ce que 2 générations d'écart, puis 3, 4, car ça ne va pas en s'arrangeant, par la force des choses, et là encore c'est quelque chose de bien universel). En décalage aussi avec la direction que prend notre monde. Partageant visiblement bien des convictions et choix de vie de l'auteur (végétarisme, pollution, nucléaire, sur-consommation, réseaux sociaux) je ne peux que comprendre ce décalage et peut-être malaise intérieur à vivre à contre-courant.
Je n'ai pas trouvé le discours des lycéens via sa fille comme un ramassis de questions débiles non plus. Elle a même plutôt un questionnement et un regard assez lucide, désabusé aussi parfois. Après ils sont happés par leur monde et leur univers, comme nous l'étions par le nôtre à notre époque, sauf que le leur est ô combien plus captif, accéléré, épidermique et violent au travers de ces réseaux.
Pour les dédicaces, j'ai plutôt ressenti tout ça comme un brouhaha, d'agitations, de mondanités, d'automatismes aussi car en tant qu'auteur, j'imagine qu'on doit entendre sans cesse les mêmes genres de questions, faire les mêmes réponses. Ce n'est pas tant que tout ça est débile, c'est que l'auteur y répond sans doute plus par obligation mais que toute cette agitation lui pèse. Ça doit être assez éprouvant à vivre. Ce qui peut se comprendre aussi par le métier même d'auteur qui est un métier avant tout d'isolement social. Quand la plupart côtoient 7h/jour leurs collègues, un auteur travail seul. Le contraste avec les mondanités doit sans doute être encore plus difficile à vivre.
Le médecin ne m'est en aucun cas apparu comme un robot, bien au contraire aussi. Je lui ai senti de l'empathie et un côté bien humain. Surchargé à un moment et usé par son travail, irrité, mais aussi toujours impliqué envers ses patients. D'ailleurs Oleg le dit bien, sa femme et lui doivent beaucoup à ce médecin. Il a sans doute été un phare, un repère, pour naviguer un peu à l'aveugle dans cet océan d'épreuves.
Quant à la beauté du monde, Oleg en perçoit peut-être plus la beauté perdue. Il a peut-être dans chacun de ses regards l'inéluctabilité de notre perte et le saccage (oui le terme est approprié donc) de notre monde. Et là encore je ne peux que partager son point de vue tant la réalité diverge de ce qu'il faudrait faire. L'écologie est la dernière des préoccupations des gouvernements et c'est sans doute une préoccupation contrainte et forcée par le biais des 5 % de gens à peine qui sont réellement concernés et qui font aujourd'hui entendre leur voix. Et le minimum syndical est fait, histoire de dire qu'on a fait quelque chose, mais ça ressemble plus à pisser dans un violon qu'autre chose. Le dialogue qu'il a avec sa mère est très représentatif et ô combien dramatiquement drôle du fonctionnement d'une grande majorité de gens. Le monde va a sa perte et il ne peut en être autrement parce qu'il est mû par l'inverse de l'harmonie, du respect de la vie, que ce soit de sa propre vie (malbouffe, tabac, alcool, drogues...) comme de celle de l'environnement (et les deux sont liés, pour qui s'est amusé à ramasser les détritus dans les fossés longeant nos routes, c'est très parlant). Si je devais faire une analogie religieuse sans être chrétien pour autant, je dirais que le monde est mû par Satan avec pour unique but de pervertir et détruire le monde de son Créateur renié (mais le mal est peut-être la dimension opposée du bien pour faire éprouver le monde, le côté pile de la face de la même pièce). Au-delà de la pertinence ou non-pertinence de donner une dimension religieuse, la réalité est que nous fonçons dans le mur depuis 2 siècles mais que là il est vraiment proche. Nous vivrons dans un mode très différent à la fin de notre vie en comparaison de celui de notre enfance. Alors oui, voir la beauté du monde. Certes. Mais il faut une bonne dose d'optimisme qui confère peut-être plus de l'aveuglement et de l'espoir vain que de la lucidité... hélas. Bien hélas.
Quant à ne pas voir d'humanité dans les personnages, là encore je ne comprends pas. Les protagonistes de l'histoire ne sont pas déshumanisés, bien au contraire, et je ne vois pas ce qui pourrait conduire à ce constat. Leurs émotions, leurs peurs, leurs joies nous sont partagées, parfois même dans de petits détails, un petit rictus ou geste de connivence, que ce soit entre Oleg et sa fille ou Oleg et sa femme et inversement.
Maintenant la BD ne nage pas dans le pathos. Elle est assez emprunte de pudeur bien qu'elle soit explicite sur les sentiments ressentis. C'est peut-être ça qui manque de force pour toi et ne t'a pas fait t'impliquer et qui t'a fait passer à côté de l'universalité de l'histoire du coup...
Je serais loin de conclure aussi sur la panne d'inspiration. S'il ne nous avait pas été dévoilé qu'Oleg qui avait toujours 2 ou 3 projets d'avance se retrouve ici à réfléchir à son prochain travail sans trop savoir vers quoi il se dirige, il nous aurait été bien difficile de le savoir. Saccage est un album personnel, à la limite de la BD, mais n'est pas sans inspiration. Oleg est bel et bien né. Et avant encore L'homme gribouillé a plutôt été bien apprécié (par moi moins). Bref, l'auteur poursuit sa route. Et pour une fois qu'il a dû chercher son sujet, on ne va pas pour autant crier au manque d'inspiration. Le plébiscite de ce dernier ouvrage montre bien que l'inspiration il a bien fini par la trouver...
.
.
« Dans un art narratif, le plus important c'est la narration. Le dessin est là pour être un outil par rapport à cette narration » Bastien Vivès
« Le monde est une immense roue en mouvement. Il faut être fou pour courir dans une roue » Jérémie Moreau