de francois d » 26/01/2016 16:03
je suis enfin arrivé au bout de ma lecture de L’Art de Morris. je dis « enfin » car il y a tellement de bon livres pour l’instant (Spirou intégrale Jijé, Le Moustique, La VHDS tome 2,…) qu’il faut trouver le temps pour pouvoir les lire et savourer à son aise.
cet ouvrage m’a beaucoup plu (malgré quelques remarques), surtout parce que c’est la toute première fois que l’on a l’occasion de voir autant d’originaux de cet auteur reproduits dans un même livre. il est clair que j’irai également voir l’expo à Angoulême au printemps ! j’avais pensé, à tort, qu’il s’agissait d’une biographie de Morris mais, au fil de la lecture, j’ai compris que c’est un livre sur son travail et sa série Lucky Luke. à ce niveau là on est donc très bien servi : l’iconographie, je le répète, est très bien choisie, les textes sont bien écrits (un petit bémol, voir plus loin) et les sujets sont très variés. les agrandissements de cases sont particulièrement intéressants car on y retrouve une partie du crayonné de l’auteur. donc, n’hésitez pas à vous le procurer, vous en aurez pour votre argent !
quelques remarques ou questions au cas ou l’auteur/les auteurs passeraient par ici :
- dans les repères chronologiques en fin d’album, il est mentionné que Morris rejoint le CBA en mars 1945 et qu’il y travaille aux côtés de Paape, Franquin et Peyo jusqu’à l’année suivante. Je suppose que c’est une erreur reprise de l’ouvrage de J.P. Tibéri (Le livre d’or de Morris, 1984) que de penser que le CBA a fermé début 1946.
L’ouvrage Franquin, Morris, Peyo et le dessin animé (Capart-Dejasse, 2005) précise que Morris y est rentré en mars, puis cela a été au tour de Geo Salmon et ensuite Franquin. Peyo les a rejoints alors qu’il a à peine 17 ans (Peyo est né le 28 juin 1945). C’est confirmé dans l’ouvrage de H. Dayez sur Peyo. Et Salmon explique que le CBA a fermé ses portes quelques temps après les deux bombes atomiques au Japon (6 et 9 août 1945). D’ailleurs les premiers dessins de Morris pour le Moustique ont été publiés en octobre 1945. Et les premiers dessins de Franquin pour Dupuis (Moustique et Spirou) ont été publiés en novembre 1945. Le CBA a donc fermé ses portes fin août-début septembre 1945 et non pas début 1946.
- je suis étonné qu’il ait souvent utilisé de la trame. est-ce, au point de vue technique, un gain de temps pour ne pas devoir encrer des hachures par exemple ?
- le fait de pouvoir admirer des scans de planches originales permet également de constater l’utilisation de feutre par Morris. que ce soit souvent pour les textes (par ex. pp 208-209) et parfois pour le dessin (par ex. pp 178-179, 218-219) ou pour tracer les cases (par ex. pp 184-185). sait-on si pour Morris c’était un gain de temps ? c’est étonnant que ce ne soit nulle part évoqué dans l’ouvrage alors que celui-ci est justement orienté sur les aspects graphiques et techniques de son œuvre.
- comme Hubinon l’avait fait pour les premiers Buck Danny, Paape pour ses Valhardi et, plus tard, Uderzo pour ses Luc Junior, je constate que Morris a numéroté ses planches en continu durant très longtemps. bien plus longtemps que ses confrères puisqu’il en sera ainsi jusqu’à la dernière planche du Juge publiée en avril 1958 – elle porte le n° 566 – soit durant onze années. on doit cependant attendre la fin de l’ouvrage, dans la liste des bandes dessinées publiées de Morris, pour que ce soit mentionné mais sans autre explication.
- un regret qu’il n’y ait aucune reproduction d’originaux de couvertures (ce sont uniquement des repros de publication)
- dans le chapitre consacré à la couleur il n’est pas fait mention que les planches des premières histoires de Lucky Luke ont été mises en couleur a posteriori par des apprentis à l’imprimerie Dupuis. et les nombreuses planches en couleur reproduites dans l’ouvrage ne le mentionnent pas non plus. quasi tout le stock de planches originales (années 1945 et suivantes) qui « traînait » à l’imprimerie a été confié vers 1952-1953 à des ouvriers de chez Dupuis pour justement se faire la main en colorisant ces planches. il en est ainsi des planches de Jijé (Blondin et Cirage, quelques Spirou et quelques Valhardi), Will (Tif et Tondu), Hubinon (Buck Danny), Sirius (Godefroid de Bouillon), Paape (Jean Valhardi) etc.
- l’histoire de Calamity Jane a bénéficié d’un traitement « bluewash » - aquarelle bleue – sait-on pourquoi ?
en conclusion, je dois avouer que cet ouvrage m’a permis de mieux comprendre l’art de Morris et surtout de constater que même s’il avait un dessin très efficace et le sens du découpage et de la narration, son trait n’a pas la même assurance que celle d’un Franquin, d’un Uderzo ou d’un Peyo par exemple. Si l’on analyse bien les dessins, entre autres reproduits en pp. 176-177 et 271, on y décèle une approximation de l’encrage que je n’ai jamais vu chez ses confrères que je viens de citer. En cela, les textes critiques de cet ouvrage ne prennent pas de recul par rapport à l’œuvre. Je les trouve souvent dithyrambiques et me donnent l’impression de vouloir faire appel au génie de l’auteur en analysant son œuvre après coup. L’analyse donnée de la planche 26 de Doxey (p. 158) en est un exemple parmi d’autres. Cela me fait penser un peu à ceux qui donnent une signification en l’an 2000 des prophéties de Nostradamus écrites au XVIe siècle ! Bref, il faut lire cela avec un peu de recul, le contenu en est néanmoins très désirable.
À quand une biographie de Morris par Bertrand et Christelle ? Tant que Francine peut encore témoigner…
fd