Retour sur l’intégrale, avec des petits bouts de SPOILERS dedans:
Très content de mon achat.
Un titre manqué à l’époque, par manque de finances, et gros regret depuis. Je n’osais espérer une réédition, sans même parler d’un tel traitement de faveur. Un bon gros pavé de 380 pages comprenant 300 pages de BD, 40 consacrées à l’exploration de l’univers au début - à ne lire qu’après avoir fini la série, à mon avis - et 40 de recherches et illustrations autour de l’œuvre à la fin. Rien d’inédit, je pense, vu le boulot conséquent qu’USA avait déjà fait lors de la première parution. Mais quand même, avoir cette somme de travaux réunis dans un seul livre confère à celui-ci une dimension magasin de jouets à la fois enthousiasmante et roborative.
Deux bémols tout de même :
- des textes mal centrés dans leurs bulles page 60 ;
- et surtout, une reliure fragile, trop souple pour le poids du bouquin et qui craque à chaque page tournée, ou peu s’en faut. La maquette de la couverture laissait espérer un dos toilé bien rigide - dans mes rêves - mais c’est au final une simple reliure cartonnée arrondie qui a déjà commencé à marquer un pli avant même que je l’ai entre les mains, sûrement durant la livraison. Bref, déçu à ce niveau, mais je suppose qu’il y a des impératifs de fabrication dont j’ignore tout.
Pour en venir à l’œuvre proprement dite, c’est une lecture trépidante que je n’ai plus pu lâcher avant la fin, une fois entamée. Vingt ans d’attente évaporés en moins d’une après-midi, le risque de déception est grand. Mais en l’occurrence, à aucun moment il n’a point dans mon esprit. On sent Frezzato investi dans son univers dès le premier tome qu’il peuple d’emblée d’idées farfelues - comme cette insecte radar à carburant qui donne l’impression de traîner derrière lui une machine volante - de mecha designs ultra précis et de personnages forts qui donnent envie de les suivre malgré des enjeux flous au début.
Le lecteur est tout de suite plongé dans l’action, sans exposition, et c’est de manière organique que lui sont fournies les clés de compréhension de Kolonie, cette planète quasi vierge et pourtant déjà menacée, au gré des rencontres et des rebondissements.
On a tendance à classer cette série comme de la SF, et c’est aussi le cas, mais je trouve le récit plus orienté aventure au final. L’intrigue des cinq premiers tomes - sur six - ne se déroule que sur quelques jours et les péripéties s’enchaînent avec toujours plus d’embûches à surmonter et d’adversaires à prendre de vitesse dans une course-poursuite effrénée pour atteindre ce MASER McGuffin. Dans cette partie du récit, l’auteur est moins intéressé par les révélations que par la cohérence de son univers dont la géographie et l’Histoire oubliée servent de moteurs à l’intrigue. En cela, le format Intégrale est très propice à la découverte de la série car il permet d’éviter toute frustration et de pleinement profiter de l’emballement de l’action sans craindre le couperet du cliffhanger.
Même si elle a été présentée comme deux cycles de trois tomes, la saga ne connaît sa vraie césure qu’entre les deux derniers volumes, avec un basculement dans la SF pure qui conduit aux révélations et à l’éclaircissement des enjeux. Et si les réponses sont en elles-mêmes satisfaisantes, c’est bien de cette structure narrative déséquilibrée que provient la plus grande récompense pour le lecteur attentif. En effet, le temps passé à explorer ce monde mystérieux en compagnie de nos héros durant les cinq premiers chapitres paie ses divendes une fois la dernière page lue. Des liens se forment entre les lieux visités, les comportements de personnages secondaires ou encore certains dialogues cryptiques pour créer une vue d’ensemble dont la cohérence prouve la maîtrise scénaristique de Frezzato sur son œuvre.
Personnellement, j’apprécie particulièrement l’explication quant à la nature de l’œil de la mer qui devient une évidence dans le tome six sans pour autant être cité à aucun moment.
Je pense, étant donnée la teneur des propos à ce sujet dans ce topic, qu’une partie du mérite revient aussi à la qualité de traduction de cette nouvelle édition car je n’ai souffert d’aucun souci de compréhension. La lecture est d’une fluidité exemplaire. Je n’aurai jamais pensé pouvoir dire cela, mais ces vingt ans de délai auront été un mal pour un bien.
D’un point de vue graphique, Les Gardiens du MASER assume sa réputation. C’est vraiment une orgie de détails, de couleurs, de chara designs variés et précis. Le soin apporté à chaque planche crève tellement les yeux que même ceux qui n’apprécieraient pas le style ne pourraient nier le talent et le degré d’expertise et de maîtrise technique atteint. Je crois que Frezzato voulait mettre tout le monde d’accord avec cette BD, et il y est parvenu avec brio.
Mais ça ne l’a pas empêché de faire évoluer son dessin au fil de l’œuvre ni de tenter des choses. Après trois tomes au cours desquels il peaufine son style caractéristique ou la couleur joue un rôle crucial dans la perception du trait et l’expression des volumes, avec des nuances très fines, il opte dans La Tour de Fer pour une peinture plus franche, peut-être sur toile. Si les dégradés sont moins précis, les couleurs plus épaisses et plus sombres confèrent à cet épisode une atmosphère un peu brute de décoffrage. Je ne suis pas assez connaisseur, mais si quelqu’un à une idée, je suis très curieux de savoir quelle technique et quel support le dessinateur a employé sur ce tome.
Avec le chapitre cinq, l’auteur hybride son dessin avec des traits plus marqués qui donnent à l’album un rendu plus BD sans renier une seconde la patte qu’il a imposé sur sa série, avant de pondre un finale carrément cartoon qui détonne - pour des raisons parfaitement endogènes au récit - mais qui lui donne l’occasion de tirer vers l’abstrait et le psychédélique.
Bref, Frezzato n’aura jamais céder à la facilité et le cours graphique de la série n’aura jamais été un long fleuve tranquille. Avec quelques moments d’invention pure comme
les derniers moments d’Erha dont la conscience se dissout dans des souvenirs qui ne sont pas les siens et qui s’agrègent. Frezzato matérialise le phénomène par de très courtes descriptions dans les cases de ce qui y est montré, mettant sur le même plan des lieux, des objets, des sentiments, des sensations, qui, conjugués aux niveaux de gris du dessin, convoque une nostalgie lointaine et évanescente.
J’ai vraiment accroché à mort et c’est sans aucun doute une des lectures récentes qui m’a le plus marqué. Je pense que mon histoire personnelle avec cette BD doit grandement jouer sur ma subjectivité, mais l’enthousiasme est bien réel et inextinguible.
Pour résumer, une lecture prenante menée tambour battant, un auteur au style affirmé qui sait ce qu’il veut raconter et une édition à la hauteur de l’œuvre, dans Mortal Kombat, on appelle ça une fatality.