Près de cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, une nouvelle étude invite à tirer des leçons de cette crise sanitaire. Cela, alors que « les menaces de nouvelle pandémie restent très présentes », avertit Arnaud Fontanet, médecin épidémiologiste à l’Institut Pasteur.
Son équipe a comparé la surmortalité liée au Covid-19 dans treize pays d’Europe de l’Ouest, entre janvier 2020 et juin 2022. Un bilan sans appel, pour ce qui est de la première vague : quand elle a déferlé, il n’y avait encore ni masques en quantité suffisante, ni vaccins, et le mode de transmission du virus faisait débat. Les pays qui ont alors pris rapidement des mesures de restriction des contacts sociaux – seules mesures efficaces alors disponibles – s’en sont beaucoup mieux sortis. « Non seulement ils ont sauvé plus de vies, mais ils ont aussi mieux préservé leur économie », résume le spécialiste, qui publie ce travail, lundi 9 décembre, dans la revue BMC Global and Public Health.
Certes, le constat sur les vies épargnées ne surprendra guère les experts de santé publique. Encore fallait-il le documenter par une méthodologie rigoureuse, qui, pour la première fois, s’affranchit des effets de l’âge. Le Covid-19, en effet, a surtout tué les plus âgés. Mais selon les pays, la proportion des plus de 80 ans dans la population varie notablement, de 7,5 % en Italie à 3,5 % en Irlande (6,1 % en France). Pour une comparaison pertinente, il fallait donc faire appel à une méthode standardisée qui élimine l’impact de l’âge.
L’Italie a le plus souffertGrâce à quoi les auteurs ont calculé qu’entre janvier 2020 et juin 2022, l’Italie est le pays qui a le plus souffert : la surmortalité a atteint 2,7 pour 1 000 habitants. Puis viennent cinq pays, par ordre de fardeau décroissant : la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne, avec une surmortalité comprise entre 1,7 et 2 pour 1 000. Arrivent ensuite la France, la Suisse et l’Allemagne, avec un excès de mortalité proche de 1,5 pour 1 000. Les pays scandinaves (Norvège, Suède et Danemark) avec l’Irlande se positionnent en tête du peloton, avec « seulement » 0,5 à 1 décès supplémentaire pour 1 000 habitants.
La période qui court de février à juillet 2020 est la plus riche d’enseignements. Les auteurs ont regardé, dans chaque pays, quel était le nombre hebdomadaire de nouvelles admissions à l’hôpital, le jour où étaient instaurées des mesures de restriction (fermeture des écoles et des lieux de rassemblements, couvre-feux, confinements…). Ce précieux indicateur témoigne, en effet, de la rapidité du pays à réagir (si ses hôpitaux ne sont pas saturés) ou de son inertie (s’ils sont déjà submergés).
Durant cette première vague, le Danemark, l’Allemagne et la Norvège s’en sont les mieux sortis en ce qui concerne la surmortalité. Or, au moment où ils ont confiné ou pris des mesures de distanciation sociale, le Danemark et l’Allemagne avaient moins de vingt nouvelles hospitalisations par semaine et par million d’habitants ; la Norvège, moins de quarante.
La Suède reste dans la moyenneQuand la France a décidé de confiner, le 17 mars, son niveau hebdomadaire de nouvelles hospitalisations était proche de soixante-dix par million d’habitants. « En France, la situation n’a pas été catastrophique car malgré trois régions touchées, le premier confinement a gelé la situation », analyse Arnaud Fontanet, qui fut, par ailleurs, membre du conseil scientifique Covid-19 (une structure consultative).
Le Royaume-Uni, qui a confiné très tardivement, le 24 mars, est le pays qui porte le plus lourd fardeau de surmortalité, mais le pays n’a pas été en mesure de communiquer ses taux d’admission à l’hôpital à cette période. Quant à l’Italie, quand elle a pris la décision de confiner le 9 mars, son taux d’admission à l’hôpital explosait déjà, atteignant 130 par semaine et par million d’habitants. « Qui plus est, ces hospitalisations étaient concentrées dans le nord du pays, très densément peuplé », ajoute Arnaud Fontanet.
Le cas de la Suède est intéressant : en mars 2020, le pays s’est démarqué, misant sur des recommandations plutôt que sur la contrainte. Le gouvernement a fait appel au civisme des habitants, en leur demandant de rester chez eux au moindre symptôme, de limiter leurs interactions, de télétravailler au maximum, d’éviter les transports en commun… « La Suède a fait le pari de laisser le virus circuler pour que la population acquière une immunité de groupe, mais n’a pas réussi à protéger ses aînés dans les Ehpad », commente Arnaud Fontanet. De fait, ce pays a fait nettement moins bien que ses voisins scandinaves durant cette première vague. Ensuite, sa trajectoire s’est améliorée, sans doute grâce à la culture de santé publique de la population : au terme des deux ans et demi de l’étude, la Suède reste dans la moyenne des treize pays analysés.
« Depuis cinq ans, rien n’a changé »Les chercheurs ont aussi examiné l’impact de la vaccination. Entre février et mai 2021, la France et l’Italie se démarquent pour leur difficulté à vacciner les plus de 80 ans. « Ces deux pays ont aussi enregistré l’excès de mortalité le plus élevé entre mars et juin 2021 », résume Arnaud Fontanet.
Reste qu’après la première vague, certaines trajectoires restent surprenantes : en Italie, la surmortalité, après un plateau à l’été 2020, grimpe de nouveau en flèche à partir d’octobre 2020, « sans qu’on puisse l’expliquer », admet Arnaud Fontanet.
Plus inédit est le lien établi entre les mesures prises par chaque pays et l’évolution de son produit intérieur brut (PIB). Ceux qui ont mis en œuvre des mesures de restriction sociale précoces, alors que le nombre d’admissions à l’hôpital était faible, ont eu tendance à enregistrer de moindres pertes de leur PIB en 2020. Au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, le PIB a ainsi chuté de 10 % environ, contre 7,5 % en France et moins de 5 % en Allemagne, en Suisse, au Danemark et en Norvège. Les pouvoirs publics hésitent souvent à instaurer des mesures de restrictions sociales, par crainte de plomber l’économie. « Nous montrons ici que ce n’est pas le cas, bien au contraire », indique Arnaud Fontanet.
Ces leçons, en cas de nouvelle pandémie, seront-elles entendues et suivies ? Cela supposerait, autre enseignement de l’étude, que la population montre un fort niveau de confiance vis-à-vis du gouvernement pour adhérer aux mesures prises tôt, alors que les hôpitaux ne sont pas saturés.
Reste que, face à la menace pandémique, « rien n’a changé depuis cinq ans, se désole Arnaud Fontanet. Il n’y a toujours aucune régulation [du trafic d’animaux sauvages] sur les marchés chinois, et certaines pratiques d’élevage ne font qu’aviver le risque de passage à l’homme du virus de la grippe aviaire. » La circulation active de ce virus dans les troupeaux de vaches laitières, aux Etats-Unis, est un motif d’inquiétude.