Pierre-Paul a écrit:Question à ceux qui ont lu: est-ce qu’il y a des éléments neufs dans cet album? Si on a lu à peu près toute la littérature sur le journal Spirou, et les biographies des grands auteurs est-ce qu’il n’y a pas redondance? J’hésite à le mettre sous le sapin, donc merci pour votre retour
Bonjour, je me permets de vous répondre, ayant codirigé l'ouvrage et rédigé la majorité des textes. Evidemment, j'ai une vision claire des nombreux apports neufs du livre, mais en revanche, je ne sais pas si ces très nombreux éléments nouveaux plaisent aux lecteurs ou même apparaissent en tant que tels durant la lecture. Contrairement à un ouvrage universitaire, qui se doit de souligner ses apports en expliquant qu'il contredit tel ou tel ouvrage, je me suis astreint à faire les recherches les plus poussées sans indiquer dans le texte ce qu'elles apportent de neuf ou corrigent. C'est pourquoi sur ce forum j'ai apporté quelques éclaircissements sur ces "nouveautés", comme les recherches liées à la datation de la première bande dessinée Dupuis.
Comme je l'ai indiqué précédemment, on a eu accès à des archives qui n'étaient pas encore défrichées, tant du côté de Marcinelle que du côté de Dupuis Paris. Ceci a permis d'aller très loin dans l'histoire de la société, notamment dans la chronologie en annexe, révélant pour la première fois de très nombreuses dates clés. J'ai également trouvé dans les archives des correspondances inédites avec les auteurs phares de la maison, Franquin en tête, mais aussi Morris, Goscinny, Charlier, Tillieux, Francis, Tome & Janry, Colman, Desberg, et bien d'autres, permettant de mieux comprendre leur rapport à l'imprimeur et à l'éditeur et leur façon d'interagir. De nombreuses archives pro de plusieurs rédacteurs en chef de Spirou, Martens, Vandooren ou Tinlot, ont été ouvertes et analysées pour la première fois depuis qu'elles ont été léguées à la maison d'édition. Même pour Jean Doisy, des recherches poussées ont permis de retrouver des entretiens oubliés depuis longtemps et jamais évoqués dans les ouvrages sur Dupuis.
L'ouvrage comprend de nombreuses parties sur des aspects jamais abordés de Dupuis, ou alors de façon très partielle, des Bonnes Soirées aux ouvrages pour enfants. Ce sont des sujets qui ont pu être étudiés sur la base d'un travail approfondi au sein des archives et un épluchage minutieux des publications, complétés par des entretiens avec les personnes vivantes liées à ces thèmes.
Difficile de savoir par où commencer ou de lister les apports de l'ouvrage. Mais par exemple, sur le sujet de l'album de bande dessinée et de sa conception, la maquette du premier album de Gaston est montrée pour la première fois, avec tout le travail de Franquin pour le graphisme de cet album - le tout pour accompagner un texte qui analyse pour la première fois l'évolution du format et du graphisme des bandes dessinées Dupuis. De nombreuses reproductions d'originaux inédites, comme celui de Tillieux pour les timbres Spirou, ou celui de Janry pour la couverture de La vallée des bannis, parsèment l'ouvrage.
Autre exemple, sur les collections de bandes dessinées, il n'avait jamais été raconté, à ma connaissance, que la collection Repérages était le résultat d'un putsch des auteurs, et s'était développée au départ sous le nom Bandeau Rouge. Toutes les collections sont étudiées avec des illustrations inédites révélant diverses étapes de la cuisine éditoriale, entre autres Gag de poche, Péchés de jeunesse, Aire libre ou encore Répérages.
Concernant les bandes dessinées elles-mêmes, une longue analyse stylistique explore enfin les diverses origines et l'étendue du terme "école de Marcinelle", expression qui est souvent mal employée ou mal comprise. En nous basant sur de nombreux entretiens inédits, et en analysant de près le dessin des auteurs, nous sommes remontés aux sources, aux diverses facettes et à la postérité de ce "style" qui est principalement dû aux demandes de l'éditeur.
La partie sur le réalisme chez Dupuis est elle aussi riche en approches nouvelles, notamment en soulignant un moment éditorial rarement analysé de façon aussi globale, où Vandooren demande à plusieurs auteurs de s'orienter vers le réalisme : des échanges avec Frank le Gall ou Frank Pé ont permis d'aller plus loin dans l'exploration de ce qu'on peut qualifier a posteriori de mouvement. Enfin, les outsiders et graphismes dépassant l'identité des éditions Dupuis mais néanmoins publiés par l'éditeur sont également approchés.
En réalité, aucun sujet n'est abordé sans son lot de révélations nouvelles, ce qui rendrait fastidieuse une liste totale des apports de l'ouvrage. En revanche, il est facile de signaler aussi que pour la première fois, une page de chiffres comparant les tirages des diverses revues Dupuis depuis leur création est publiée, fruit d'une comparaison minutieuse et de longues recherches.
Enfin, on m'avait demandé ici avant la parution du livre s'il s'agissait d'une hagiographie. A la lecture, cette crainte devrait se dissiper : de Jean Dupuis qui fait des contrefaçons de livres à ses débuts et engage un chroniqueur clairement raciste et réactionnaire pendant 20 ans pour les Bonnes Soirées, aux tristes conséquences de l'arrêt cette année de MDS Bénélux évoquées en chronologie, sans oublier l'auto-censure régulière menée par l'éditeur depuis ses débuts, cet ouvrage raconte de nombreux points factuels qu'une hagiographie aurait soigneusement passé sous le tapis (y compris la vente, très largement décrite en chronologie, ou le carnage opéré par Albert Frère & Hachette après avoir racheté Dupuis, démantelant l'activité historique de l'éditeur, ce qui est détaillé pour la première fois dans un texte sur le rapport au territoire, P. 365).