J'ai particulièrement apprécié ce recueil de récits complets qui, mis bout à bout (excepté peut-être le dernier), forment un ensemble très homogène.
Bien que le recueil
Tokyo killers soit paru au début 2016, les récits en forme de contes cruels qui le composent sont parus initialement au Japon en 1986. C'est dire qu'on n'y trouvera ni téléphones mobiles, ni drônes, ni toile web.
En revanche, on y croise des tueurs professionnels désabusés et tristes, fatigués de la vie, parfois atteints de maux incurables (mal de vivre et dépression après la perte d'un être cher, cancer, etc...), des tueuses (séduisantes de surcroît), des prostituées, des bagnoles et des bécanes des années 80, des métros, des terminaux d'aéroport, etc... Un univers qui n'est pas sans rappeler celui des romanciers hexagonaux Jean-Patrick Manchette (Fatale, La position du tireur couché, etc...) et Francis Ryck (Drôle de pistolet, L'Incroyant, Le compagnon indésirable, Autobiographie d'un tueur professionnel, etc...). On songe par moments à l'implacable et taciturne Parker de Donald Westlake ou encore au tueur du Canicule de Jean Vautrin (brillamment transposé en BD par Baru). Du côté du cinéma, les références sont multiples, évidemment et je serais bien incapable de toutes les recenser. Pour ma part, l'ambiance de ces récits me ramène à des films comme "The killers" (de Robert Siodmak, 1947, avec Burt Lancaster et Ava Gardner) d'après la nouvelle d'Hemingway ou encore à l'esthétique des films de Melville ("Le Doulos", "Le Samourai"). Scorcese n'est pas loin, non plus.
Au niveau du graphisme, Jirô Taniguchi est un auteur en devenir, en ces années 80. Il est fortement influencé par la BD européenne et en particulier par les auteurs qu'on trouve dans les pages de Métal Hurlant, Moebius en premier lieu, mais pas exclusivement. Le dessin est toujours soigné, la mise en page et le découpage particulièrement efficaces, toujours au service du récit. La majorité des pages est en noir et blanc, mais certaines sont en couleurs.
Pour les amateurs de clins d'oeil et de mises en abîme, les pages 151 à 153 sont savoureuses puisque l'action s'y déroule dans une librairie parisienne spécialisée BD. On y reconnaît, sous une forme légèrement travestie ou altérée, quelques ouvrages marquants publiés par les Humanos à l'époque : Marcel Labrume d'Attilio Micheluzzi, un bouquin de la collection "Pied jaloux", "Le Ci(d)" d'Antonio Hernandez Palacios, "Marseil" et "Armalite 16" de Crespin.