C'est Joost Swarte (né en 1947), qui a inauguré l'appellation "Ligne claire" à travers le catalogue d'une expo qu'il a organisée en 1977 à Rotterdam: "De klaar lijn" consacrée aux héritiers d'Hergé (J'imagine qu'on y trouvait Jijé, Jacobs, Martin, De Moor ...). L'expression est restée.
Swarte est une sorte d'architecte de l'image, il n'est venu à la bd qu'après avoir eu une formation très poussée en art industriel. Chacun de ses dessins est réglé avec précision, et la caractéristique est l'absence d'ombres portées, de hachures, d'effets. Mais dans l'esprit, il est un auteur franchement underground.
Ce qui nous amène à distinguer deux lignes claires:
A savoir que la première -celle de Hergé, Jacobs, ... et même le Franquin des années '50- s'il elle exista bel et bien, n'avait pas "conscience" d'elle même, et donc, qu'elle ne se pensait pas en tant que telle (c'est à peine si ces gens avaient conscience d'être des artistes). Elle était "innocente".
Ainsi, ce sont des gens comme Swarte, Ever Meulen, Benoit, Chaland et Serge Clerc qui ont construit cette "ligne claire" en menant une réflexion esthétique et en désignant a posteriori un courant précis de l'histoire de la bd franco-belge (surtout Swarte en fait).
Par la même ils ont opéré une sorte de revival dans les années '70-80 qui a connu le succès que l'on sait et que l'on pourrait qualifier de deuxième ligne claire. Cette nouvelle mouture n'a rien à voir avec une "réaction" brutale aux grandes explorations des années '70; je la verrai plutôt comme un "renouveau", comme la prise de conscience d'un héritage. C'est une vision somme toute plus adulte que celle de la bd psychédélico-onirico-ésotérique des excellents Moebius, Druillet, ... en y intégrant à la fois une critique ou une distanciation vis à vis de son modèle, et des éléments extérieurs (culture altérnative, rock, littérature, politique ...)
En définitive cette deuxième vague serait une version intellectualisée de la première.
Enfin, pour information, dans l'ouvrage de Ted Benoit (grand tenant de la ligne en question),
Vers la ligne claire, on trouve en préface un dialogue de Joost Swarte -justement, qui en propose une définition:
VERS LA LIGNE CLAIRE par Ted Benoit
PREFACE DE JOOST SWARTE
A l'occasion de l'exposition « Tintin à Rotterdam » qui a eu lieu en 1977 au Lijnbaancentrum de
Rotterdam, ont paru quatre catalogues traitant chacun un aspect de I'Oeuvre d'Hergé.
L'un de ces catalogues s'appelle « De Klare Lijn » (« La Ligne claire »). Il recense un certain
nombre de prédécesseurs, collaborateurs, émules et épigones d'Hergé ou d'autres dessina-
teurs qui semblent l'avoir admiré ou pastiché.
Ce titre était si imaginatif qu'il a été repris dans plusieurs publications.
Pour classifier différents dessinateurs, il faut cependant définir certains critères.
Je ne connais pas ces critères. Je ne peux pas non plus les imaginer.
Pourtant, pour mieux pouvoir vous éclairer, je suis allé voir le peintre Anton Makassar qui a fait
ses preuves dans le domaine de l'invention. Il a des brevets d'invention à son nom. En plus
c'est un grand penseur.
Son frère dans l'art, Pierre van Genderen, était aussi présent lors de ma visite.
Celle-ci s'avèra essentielle lorsqu'un dialogue passionnant sur « La Ligne claire » s'engagea en-
tre Anton Makassar et Pierre van Genderon. Je vous le livre tel quel.
A.M. - Ca c'est un sujet intéressant Swarte. Mais tu ne pourras pas définir les critères de la
« Ligne claire », tu t'y brûleras les ailes. Même pour moi ce n'est pas facile.
P.v.G. : Vous n'avez pas assez de recul. Pour moi, c'est clair comme de l'eau de roche - « La
Ligne claire » aspire à la simplicité dans le texte et l'image.
A.M. . Est-ce qu'une photo peut relever de « La Ligne claire » ?
P.v.G. . Certainement pas !
A.M. : Un photographe aspire-t-il aussi à la clarté dans son oeuvre
P.v.G. : Oui, naturellement.
A.M. : Le problème ne semble donc pas aussi simple qu'il en a l'air.
P.v.G. : Oui, bien sûr, mais vous ne me laissez pas m'exprimer. En fait, je voulais dire que « La
Ligne claire » recherche la simplicité du texte et de l'image par le moyen du graphismes.
A.M. : Et les dessinateurs qui hachurent beaucoup pour mieux donner l'impression de
matière ?
P.v.G. : Ils n'en font pas partie. J'ai oublié de dire que « La Ligne claire » ne peut être exécutée
que par un trait à l'encre d'une extrême sobriété qui indique les contours de l'objet ou du per-
sonnage représenté, de telle sorte que le lecteur a une image du personnage ou de l'objet aussi
bien que de leur situation dans l'espace et que des détails.
A.M. : Ça c'est pour l'image. Mais la clarté du texte... Ce qui est clair pour l'un est obscur pour l'autre.
P.v.G. . Justement. C'est pour ca que je voudrais encore ajouter quelque chose sur les critères. Avec « La
Ligne-claire », l'auteur peut tout faire pour aider le lecteur à comprendre.
A.M. : Elle sert à présenter du bavardage. Car c'est trop souvent ce que veut le lecteur.
P.v.G. . Non, moi je pense que l'auteur se met à la place du lecteur.
A.M. : Tout ça me semble vraiment évident.
P.v.G. : Hum... Hum... Il vaudrait peut-être mieux que celui qui veut savoir quels dessinateurs
font partie de « La Ligne claire » se fasse une liste au lieu de s'embêter avec des critères en-
nuyeux.
Est-ce que ca n'est pas déjà quelque chose ? Moi, par exemple, je pense à Ted Benoit.
A.M. : C'est largement suffisant Pierre. J'ai bien compris ta pensée, dans le texte et dans
l'image !
P.v.G. ?
Si ça peut aider