Yannick Noah : "Je suis contre toute forme de dopage"25.11.11 | 14h01 • Mis à jour le 25.11.11 | 14h08Yannick Noah.REUTERS/© Jacky Naegelen / Reuters
Entre deux concerts, Yannick Noah reprend la parole pour réagir aux réactions provoquées par sa chronique sur le dopage parue dans notre édition spéciale consacrée à l'Espagne du 19 novembre.
Vous attendiez-vous à ce que votre chronique suscite un tel tollé ?Je ne m'attendais pas du tout à une réaction d'une telle ampleur et d'une telle violence. Au contraire, je pensais que j'allais recevoir plus de soutiens. J'avais déjà eu cette expérience il y a trente ans : j'avais 20 ans, j'avais parlé de dopage et de drogue et tout le monde m'était tombé dessus. Je pensais que les mentalités avaient évolué.
Pourquoi décidez-vous de réagir aujourd'hui ?Au début, j'ai préféré rester dans ma bulle, je ne pouvais pas répondre à tout le monde. Par exemple, à Jean-Louis Murat qui assure que je me suis dopé, un chanteur que je ne connais même pas ! A Toni Nadal, l'oncle de Rafael, qui dira à son neveu de ne plus me dire bonjour. Mais qu'est-ce que ça peut me faire qu'il me dise bonjour ou pas ! A Marine Le Pen, qui ne m'accorde pas le droit de m'exprimer parce que j'habiterais à l'étranger pour ne pas payer d'impôts en France. Je le redis donc, j'habite dans les Yvelines, je paye mes impôts ici, et oui, j'ai habité en Suisse entre 1992 et 1994 et j'ai payé mes impôts là-bas à cette période.
En France, on vous reproche d'avoir prôné la légalisation du dopage. Etait-ce votre intention ?Quand j'écris : "Arrêtons l'hypocrisie. Plus personne n'est dupe. La meilleure attitude à adopter est d'accepter le dopage. Et tout le monde aura accès à la potion magique", il s'agissait bien entendu d'une démonstration par l'absurde. Mon intention n'était pas de dire : "A partir de maintenant, la bonne idée serait de mettre tous les gamins sous perfusion !" Mais entre ceux qui font semblant de ne pas comprendre, ceux qui ne savent pas lire, ceux qui n'ont pas d'humour et ceux qui sont motivés parce que, tout d'un coup, ils ont droit à la parole, on perd de vue l'objectif qui était le mien : soulever cette chape de plomb qui pèse sur le dopage.
Si j'ai choisi cette phrase, c'était pour m'adresser aux autorités, pas aux jeunes. Pour les interpeller. Pour ouvrir un débat. Car, en tant que sportif ou ex-sportif, je suis un peu frustré qu'il y ait deux poids deux mesures en matière de dopage, que ce soit avec l'Espagne ou d'autres pays. J'ai été athlète pendant quatorze ans, capitaine de l'équipe de France : je me sens légitime pour poser une telle question. Maintenant, bien sûr que les sportifs espagnols ne sont pas tous dopés ! Mais je suis "Bleu Blanc Rouge", n'en déplaise à Marine Le Pen, et j'en ai assez : pourquoi bosse-t-on autant pour ne récolter la plupart du temps que des médailles en chocolat ? Sommes-nous plus nuls que les autres ? Je ne le crois pas.
En Espagne, où les réactions sont encore plus vives, l'entraîneur du FC Barcelone, Josep Guardiola, vous demande d'apporter "des preuves"...Bien sûr, je ne me suis jamais retrouvé dans des chambres avec des joueurs de foot en train de prendre des pilules ou de se faire piquer ! Je ne suis pas en train de pointer du doigt tel ou tel, mais un système. Ce que je sais, et que tout le monde sait, c'est le cas de ce cycliste qui a mangé une viande qui lui a permis de pédaler plus vite et qui a été blanchi par sa fédération, celui de cette spécialiste du demi-fond arrêtée par la police puis blanchie, etc. Ma question est donc la suivante : tout cela ne serait-il pas orchestré ? J'ai le droit de poser la question. Dans le dossier Puerto (du nom du vaste réseau de dopage démantelé en 2006 en Espagne), j'ai le sentiment que l'affaire a été étouffée, que des noms ont été dissimulés. Peut-être que je me trompe. En tout cas, j'ai l'impression très désagréable, compte tenu des nombreux témoignages que je reçois, de dire tout haut ce que tout le monde sait ou pense. Et je ne parle pas des gens dans la rue, mais de personnes dans les fédérations, de sportifs... Et ça, c'est très gênant car j'ai la sensation de servir de bouclier. Maintenant, je suis arrivé à un moment de ma vie où je ne vais pas me planquer au nom du politiquement correct.
Et les discussions autour du dopage sont très "politiquement corrects"...Pour venir à bout du dopage, pour peu qu'on en ait envie, il va falloir un peu plus de courage, que ce soit au niveau des fédérations ou des hommes politiques. C'est tellement plus facile de me rentrer dedans ! Mais j'assume. Pas la peine de m'envoyer par derrière des textos en s'excusant des positions prises contre moi !
Je suis contre toute forme de dopage mais je suis aussi hypersensible à l'injustice. Or, aujourd'hui, il y a trop de tricheurs qui gagnent. En Espagne ou ailleurs. Et il y a les effets secondaires, qu'on ne retrouve jamais à la "une" des journaux. On sait qu'il y a eu des soucis par le passé avec des joueurs de foot italiens qui sont maintenant gravement malades. On sait depuis quelques jours que des footballeurs algériens ont eu des enfants handicapés. Sans compter ces joueurs de rugby sud-africains en fauteuil roulant. Je ne m'attaque ni au foot, ni au rugby, ni à l'Espagne entière, je souhaite juste ouvrir le débat.
Il y a trente ans, vous aviez déjà reçu une volée de bois vert après une sortie sur le dopage. Comment expliquez-vous que l'omerta soit toujours aussi forte ?Je pense que le système est bien installé avec des réseaux politiques puissants et des enjeux économiques considérables. Cela m'intéresserait vraiment de savoir ce qui se trame derrière tout ça. Je ne comprends pas que dans notre pays, le chef de l'Etat accueille Lance Armstrong comme un héros, alors qu'on traite Richard Virenque comme un pestiféré. Comme je ne comprends pas que la première chose que font les autorités françaises, c'est de me rentrer dedans alors que je ne fais que dire la vérité. Il y a la vérité officielle et la vérité officieuse.
Le directeur de l'Agence mondiale antidopage a reconnu il y a quelques jours que les contrôles n'attrapaient que des "dopés simplets"...Qui sont les "dopés simplets" ? Ceux qui ne sont pas protégés ? Ceux qui n'ont pas les moyens ? Et à partir de quand un athlète est-il considéré comme dopé ? Quand il prend un produit qui le fait courir plus vite, le rend plus résistant, le fait récupérer plus vite ? Ou alors quand il est contrôlé positif ? La réponse à cette question n'est pas la même selon les pays.
Quand vous étiez joueur, à quoi ressemblait la lutte antidopage ?Dans les années 1980, il y avait très peu de contrôles. De mémoire, j'ai dû être contrôlé trois ou quatre fois dans ma carrière, pas plus. Je me souviens d'un match de Coupe Davis où un joueur avait refusé d'être contrôlé avec le soutien de son équipe. Un joueur qui refuse un contrôle, à mes yeux, est suspect.
Avez-vous été tenté à un moment donné de recourir à des produits dopants ?Je n'ai jamais fait appel à un médecin ou à quiconque pour me fournir en produits. A mon époque, on prenait tous des petits trucs, j'avalais par exemple des cachets pour dormir dans l'avion parce qu'en arrivant il fallait bien jouer. C'était anecdotique. Une seule fois, par pure ignorance, j'ai utilisé un produit officiellement interdit : pendant quatre jours, j'ai pris du Di-Antalvic pour lutter contre la douleur car je m'étais brûlé la jambe. J'étais passé à l'hôpital et on m'avait conseillé de prendre ce médicament le temps que la brûlure s'apaise. Deux ans après, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un produit interdit. Sinon, oui, j'ai carburé quelques matches au café cognac ! Soyons sérieux. Pour tous les matches que j'ai disputés, je me suis entraîné comme une bête, et tous ceux qui ont travaillé avec moi le savent, les entraîneurs et mes adversaires. Mais, sur le circuit, il y avait certains comportements qui m'interpellaient.
Etes-vous étonné de la virulence des attaques de la famille du tennis à votre encontre ?Je ne suis pas surpris. Quand tu te nourris dans la main du système, tu peux difficilement prendre tes distances ensuite. Mon téléphone ne sonne pas trop en ce moment mais ça va, je n'ai plus 20 ans, je tiens le coup.
La Fédération française de tennis a publié un communiqué pour dénoncer vos "propos provocateurs"...
J'ai eu le patron de la fédération, Gilbert Ysern, et je lui ai dit ma façon de penser.
Vous êtes en tournée. Comment le public réagit-il ?La majorité des gens que je rencontre pensent comme moi, me remercient de dire la vérité et me proposent leur soutien. Depuis le début de cette polémique, je suis à fleur de peau, mais cela fait de très bons concerts !
Propos recueillis par Stéphane Mandard et Simon Roger