Sur l'ancien superpouvoir, Denny Colt avait fait des "notes de lecture" sur ces Batman de Grant Morrison, et c'était super éclairant. Hélas, tout cela est perdu et je n'avais pas sauvegardé le truc, con de moi !
Mais en gros, il expliquait qu'une partie de la thématique de Morrison tourne autour du rapport entre l'original et la copie. Au sens large : la copie artistique, le copycat qui imite… Ce thème, on le trouve dans des œuvres précédentes : c'est par exemple les Martiens blancs qui se font passer pour une nouvelle Ligue, ou les Ultra-Marines, dans JLA ; c'est aussi la drogue à base de gènes mutants, le kick, dans New X-Men, qui permet de devenir des copies de mutants originaux…
À cela s'ajoute l'intérêt que Morrison éprouve pour la représentation (notamment théâtrale), et qu'on retrouve avec la Confrérie de Dada dans Doom Patrol, ou carrément avec l'histoire de Mystery Play.
Et enfin, dernier thème majeur, c'est la transmission de génération en génération, chaque génération essayant de s'inscrire en rupture avec la génération précédente tout en reproduisant des structures (de pensée, de société) en remplacement de celles de la génération précédente. Et là, le thème générationnel, on le retrouve dans The Invisibles ou dans New X-Men.
Et dans ses Batman, tout est là : l'imitation (copies de Batman…), la représentation (mise en scène par le Docteur Hurt, par le Joker, création d'une scène devant un public…) et la transmission générationnelle (présence de Damian, exploration de la généalogie de la famille…).
nonoboz a écrit:Acheté et lu. Jai bien aimé le 1er arc mais le dernier par williams III ma decu. Au final mitigé. Jai lu les batman chez Panini a partir du n3 et les run de Morisson sont sympa. J'hésite à continuer mais j'aime vraiment quand y'a Damian.
Pour ma part, j'ai adoré l'arc par J.H. Williams III. C'est sans doute l'un de mes préférés, d'une part parce qu'il est intéressant, d'autre part parce que c'est une prouesse visuelle et graphique.
Torelli a écrit:Le 1er arc avec Damian et la relation qui s'installe avec Batman est vraiment bien traité. Qui plus ait l'action est bien présente et les dessins d'Andy Kubert sont sublimes.
Ce premier arc est effectivement très accessible. Et visuellement, ça tabasse.
Après, j'attire l'attention sur la scène de l'exposition, avec le combat contre les Menbat : Kubert (à l'instigation de Morrison) utilise les toiles d'art pop qui sont exposées pour littéralement commenter l'action : on y voit des bulles de pensée ou des onomatopées qui font écho à la baston dans la galerie. Et ça, c'est important parce que ça indique quelle sera la note d'intention de l'ensemble du run. Non seulement ses prochains récits seront un jeu perpétuel sur la nature de la fiction (un peu comme dans Animal Man, du même Morrison, où le héros rencontre son scénariste), mais ce sera aussi un commentaire perpétuel sur l'esthétique de la BD. Bref, en gros, dans cette grande scène de baston, Morrison nous amène à nous interroger sur la nature de héros fictionnel de Batman, et sur la manière dont il est perçu comme icône pop, et dont il est représenté.
ulys a écrit:L'arc avec le fils caché, même si bien mené, ne m'a pas enthousiasmé, surement à cause de ce personnage parachuté ici.
Parachuté, c'est beaucoup dire : l'existence d'un enfant de Bruce et Talia est sous-entendue depuis Son of the Demon, c'est-à-dire la fin des années 1980.
Et je trouve que c'est très ingénieux de la part de Morrison de commencer par ça : d'une part, pour le lecteur qui ne connaît pas toute l'histoire de Batman, c'est une bonne porte d'entrée, un thème universel (la paternité contrariée), et qui ne fait pas obligatoirement appel à des connaissances pointues. C'est bien amené, ça tape, et ça sort Batman de son contexte de polar sordide dans lequel il patauge depuis longtemps. Y a presque une atmosphère à la James Bond, avec le smoking, les gadgets et les repaires secrets, qui me semble hautement accessible au nouveau lecteur. Et d'autre part, pour le vieux lecteur, c'est un signal fort : Morrison envoie un énorme clin d'œil au vieux lecteur en lui disant "attention, je vais travailler sur la continuité, sur les vieilles histoires, je vais ressortir des trucs que personne n'exploite plus depuis des décennies, et je vais en faire quelque chose de neuf".
Du coup, ça me donne l'impression d'une entrée en matière qui peut satisfaire à la fois le vieux fan et le néophyte.
Torelli a écrit:Quant à la partie dessinée par JH Williams 3 elle est beaucoup plus convenue mais permet d'introduire des personnages qui auront de l'importance dans le run de Morrison notamment dans Batman Inc avec El Gaucho par exemple.
Ce qui est intéressant aussi dans cet arc, c'est que Morrison joue sur des personnages qui existent depuis des décennies. Les Batmen de tous les pays se constituent en club. On retrouve le thème de la copie, chacun de ces Batmen étant une copie de Batman, qui est l'original. Donc là encore, déclinaison sur le thème de la marque, du logo, et de la propagation des idées dans le monde moderne.
Mais cela s'associe à un travail formidable de J. H. Williams III sur les représentation stylistique : chacun de ces Batman est dessiné dans un style graphique différent. Cela permet de mettre Batman (et ses copies) en perspective non seulement dans l'histoire des comic books et des super-héros, mais aussi dans les courants de l'imaginaire (SF, aventure…). Il fallait un mec de la trempe de Williams III pour restituer cette dimension analytique et critique.
Torelli a écrit:J'en serai pour la suite qui sortira en juillet et contiendra Batman RIP entre autre.
Les choses deviennent sérieuses, dans "R.I.P.".
Nikolavitch a écrit:voizein a écrit:Y'a t-il une raison à ce que le chapitre 663 soit placé à la toute fin, après le 669 ?
Ce n'est pas exactement une BD, mais une nouvelle illustrée, déconnectée de l'intrigue principale.
Qui plus est, repousser cette nouvelle illustrée en fin de volume permet de constituer un gros corpus Andy Kubert, et donc de renforcer l'unité graphique du volume. C'est loin d'être inélégant, comme choix.
ulys a écrit:L'arc du club des héros... c'est du grand n'importe quoi, je pense qu'il faut le prendre au second degré voir comme une parrodie.
Plus qu'une parodie, c'est un commentaire, comme je le disais plus haut. C'est un commentaire sur le genre super-héros, sur Batman, sur les icônes de la culture populaire et sur leurs représentations. Et le traitement visuel de Williams III permet de renforcer la portée de l'analyse.
Après, Morrison utilisant les références comme des meubles gigognes, il y a des clins d'œil dans les clins d'œil : des personnages réunis sur une île et abattus les uns après les autres, c'est bien entendu un clin d'œil aux Dix Petits Nègres d'Agatha Christie, mais c'est aussi une intrigue directement reprise d'un épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, dont on sait bien que Morrison est fin connaisseur.
Là encore, on voit bien que le commentaire sur Batman s'inscrit dans un commentaire plus vaste, et dans une vision historique du genre thriller.
Reste qu'en plus, c'est une bonne intrigue, avec une enquête, qui permet de mettre en valeur les talents de détective de Batman : au premier degré, ça se lit bien aussi !
ulys a écrit:Je suis un peu refroidie quand même, sachant que ce sera 8 tomes en tout.
J'espère que la suite sera quand même un, voir deux, crans au dessus.
Ça dépend ce que tu cherches : personnellement, j'aime moins, parce que c'est plus violent. La dimension de commentaire est moins évidente, plus masquée. Moi, je préfère les débuts, mais à toi de voir.
Baltimore a écrit:Merci pour les avis, celui d'ulys me refroidi pas mal.
Je pense passer mon chemin et attendre La revanche de Bane et Knightfall
C'est nettement plus classique. C'est très bien, hein, je conseille aussi, mais c'est pas la même note d'intention.
Je crois que la dimension commentaire dans le travail de Morrison a échappé à Ulys, qui, du coup, a moins profité du travail du scénariste.
Tireg a écrit:Ah bah ça me rassure, je pensais être le seul à ne pas être convaincu par Grant Morrison !
Tout le run m'a un peu gonflé en fait... J'ai eu le sentiment que Morrison se regardait beaucoup écrire...
Morrison parle de sa perception de Batman, des super-héros et de la pop culture. Donc fatalement, y a un recul et une réflexion sur le travail en cours, qui est très présente.
Somme toute, on ne peut pas réellement dire qu'il "se regarde écrire" : ce qu'il apporte enrichit le mythe de Batman. Avec lui, Batman a un fils, par exemple. Ce qui change considérablement la donne, c'est sans doute l'apport le plus significatif depuis des années, voire des décennies. Et je n'en dirais pas plus pour ceux qui ne sont pas allés plus loin dans la série, mais il va utiliser le concept du "Club des Héros" qu'il va pousser plus loin, ce qui va apporter une nouvelle grosse modification dans l'univers de Batman.
Donc le scénariste ne se contente pas de se faire plaisir : il fait avancer ce petit univers de fiction dans des directions jusque-là inédites.
Mr Degryse a écrit:Pas enthousiaste non plus par ce Grant Morrison. Heureusement, graphiquement c'est beau car au niveau scénar c'est très faible
Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus (enrichir le mythe de Batman, travailler sur la représentation, établir un commentaire fort, utiliser la continuité même quand elle est contradictoire…), j'ai du mal à considérer que c'est faible au niveau du scénario. On peut ne pas aimer, on peut trouver ça aride, mais "faible", c'est un peu fort comme terme.
Au contraire, les jeux sur les décors, la confrontation de personnages qui se ressemblent et sont pourtant différents, les intrigues croisées, tout ça, c'est du boulot.
Julienne a écrit:Alors moi j’ai plutôt accrochédès le premier tome. Je trouve que l’histoire est intéressante, avec un univers relativement fidèleà celui de Batman. Les dessins sont très réussis même s’il y a une baisse de régime dans les deux derniers tomes. Je pense, néanmoins que c’est fait exprès pour la présentation de nouveaux personnages, qui joueront un rôle clé dans les prochains volumes.
Si tu parles du récit sur l'île, faut pas perdre de vue que le traitement visuel est fait aussi pour évoquer d'autres traditions graphiques, d'autres époques, d'autres genres. Mais Williams III fait un travail de premier ordre.
(mais peut-être que tu parlais des tomes sur Bane…)
kilfou a écrit:J'ai choppé le train du run Morrison en cours de route via la revue Batman Universe chez Panini et effectivement, c'est plutôt chaud patate à comprendre.
Je pense que la traduction chez Panini n'a pas aidé, non plus, à rendre ce run accessible.
kilfou a écrit:Morrisson s'appuie énormément sur les créations précédentes, et faut presque une thèse en batmanologie pour capter toutes les références qu'il glisse.
Oui et non.
Comme je le disais plus haut, pas besoin d'avoir lu quarante ans de Batman pour comprendre que Talia lui présente le fils qu'il n'a jamais connu. La manière dont c'est fait est assez claire et accessible, me semble-t-il. Le dessin d'Andy Kubert y est certes pour beaucoup, mais Morrison livre un script limpide.
De même, la rencontre avec les Batmen de tous les pays est assez clairement présentée, je crois.
Cependant, il est vrai qu'il utilise la continuité du personnage, et il ressort des concepts anciens, qu'on imaginait effacés de la continuité. Des trucs des années 1950 que plus personne n'avait utilisés. Hé bien il les utilise, et en tire de la matière. On peut dire cela des Batmen de tous les pays. On peut dire cela de Zur-En-Arrh (je n'en dis pas plus pour ceux qui n'en sont pas encore là…).
kilfou a écrit:Ca et sa tendance à pratiquer l'ellipse de manière abusive, ça n'aide pas à convaincre les nouveaux lecteurs.
Alors là, en revanche, je suis pleinement d'accord : Morrison est le roi des ellipses, et parfois elles sont tellement violentes qu'on ne pige pas ce qui se passe. Et dans la partie "R.I.P.", il pousse la technique de l'ellipse très loin. Parfois, l'ellipse, elle est entre deux épisodes, entre la fin du précédent et le début du suivant. Si bien que cela donne l'impression d'avoir loupé un épisode. Du coup, faut vraiment s'accrocher.
C'est frappant aussi dans les premiers épisodes de Batman & Robin : y a des ellipses vraiment déstabilisantes.
Personnellement, je trouve ça dommage. D'autant qu'une narration claire, c'est possible, on l'a vu dans "Batman & Son", par exemple.
Torelli a écrit:Oui c'est vrai mais justement cette collection permet de bien commencer le run de Morrisson sur le Batverse et d'éviter d'être larguer.
Entièrement d'accord.
fringeous a écrit:je ne connais pas bien grant morrison je suis encore relativement novice en matière de comics
mais alors c'est exactement ce que j'ai pensé après avoir fini de lire son new x-men ressorti très récemment chez panini en tpb abordable
C'est pourtant pas mal, ses New X-Men : des idées intéressantes et novatrices (Cassandra Nova ou les Nano-Sentinelles, rien que ça, c'est du tout bon !), une volonté de traiter la communauté mutante de manière plus réaliste (ouverture de l'école, ouverture des ambassades…), un travail sur l'aspect générationnel dont je parlais plus haut, avec des mutants haut en couleurs (les Stepford Cuckoo, Quentin Quire…). Non, vraiment, c'est plutôt bien.
Ce qui lui manquait, c'est une stabilité graphique : avec Quitely, c'était formidable, mais il a eu des passages à vide graphiques, quand même…
fringeous a écrit:ça plus ça et la d'autres avis très tranché sur cet auteur vont finir de me convaincre de me faire un avis définitif sur lui
Morrison n'a jamais laissé indifférent.
fringeous a écrit:il a surement de bonnes idees mais ne semble pas forcement capable de les raconter correctement au commun des mortels
Moi, je te répondrais ce que je réponds aux gens qui trouvent que League of Extraordinary Gentlemen : Century, c'est difficile pour "le commun des mortels" (ou les "lecteurs bas du front", pour reprendre l'expression d'un forumeur sur superpouvoir) : faut pas se dévaloriser.
Les références, c'est du biscuit pour les fans, pour les connaisseurs. Comme une cerise sur le gâteau. Mais ça ne fait la quintessence du truc. Y a plein d'histoires qui se lisent très bien au premier degré. "Batman & Son" se lit très bien au premier degré, sans réfléchir aux thématiques de la copie, de la représentation ou de la génération. Une belle baston contre les Menbat, l'arrivée de Talia, le conflit entre Damian et Robin, tout cela est hautement accessible et, je pense, savoureux. Et si l'on aime les romans policiers, les whodunnit et les suspense, l'arc avec les Batmen de tous les pays est vachement agréable aussi.
Après, quand on parle des ellipses pas faciles à suivre, ça, c'est de la technique narrative, ça n'a rien à voir avec les références. Ça a à voir avec l'accessibilité, mais une ellipse ratée (ou trop exigente, peut-être, ou mal placée, ou trop audacieuse…), ça gène tout autant le lecteur néophyte que le lecteur chevronné.
fringeous a écrit:et donc du coup ca ma refroidi vachement pour ce tome Urban qui m’intéressait
L'avantage des bouquins en librairie, c'est qu'ils sont disponibles longtemps. Donc tu peux toujours le prendre plus tard.
fringeous a écrit:je vais donc moi aussi surement attendre un peu et me rabattre sur les deux ouvrages sur bane
Qui sont très bien, aussi, au demeurant.
Pour conclure, je crois que si vous avez aimé ce que Moore a fait sur Supreme ou sur Tom Strong (voire sur la League), à savoir qu'il a raconté des aventures intéressantes et surprenantes tout en réfléchissant au genre et au mythe super-héros, alors vous devriez aimer cette collection Grant Morrison Présente Batman. On y retrouve la même volonté de revenir en arrière, de jeter un regard sur ce qui a émerveillé tant de générations de lecteurs. En apportant de nouvelles surprises en même temps !
Jim