Analyse de Game of Thrones, vu par des stratèges militaires de l'Ecole de guerre
Les dragons, la nouvelle dimension de la guerreL’arrivée des dragons à Westeros a introduit par la même occasion l’arrivée d’une nouvelle dimension du champ
de bataille et, partant, de la guerre. Si leur apparition fût toutefois épisodique, il convient de s’attarder spécifiquement
sur cette nouvelle forme de puissance aérienne, ce qu’elle produit comme effets tactiques et stratégiques,
mais également sur ses limites.Le paradigme tactique du dragonLa mobilité et la vitesse du dragon lui permettent d’entrer en premier sur le champ de bataille, précédant l’arrivée des troupes terrestres. Son feu creuse alors de larges sillons dans le dispositif adverse, disloquant complètement ce dernier. Son emploi contre des navires s’est également avéré redoutable(1) et son souffle est en mesure d’abattre des fortifications. À cet effet dévastateur peut s’ajouter la dimension psychologique : la simple hypothèse de la présence de la bête, et surtout son cri lors de sa plongée, peuvent générer des mouvements de panique parmi les troupes.
En revanche, une fois le choc des armées belligérantes effectué, l’imbrication des troupes rend difficile son emploi; son feu étant relativement peu discriminant à cette échelle. Par ailleurs, la difficulté à communiquer entre les dragons et la surface rend difficile toute manoeuvre combinée. Il peut certes intervenir au sol, mais ses capacités dans ce domaine semblent limitées, d’autant que cela rend très vulnérable le « dragonnier ». Il a certes la possibilité de déposer un faible nombre de troupes directement au coeur de la bataille, mais cette possibilité a été peu développée,
de même que celle lui permettant d’aller secourir des combattants isolés et en territoire reculé(2).
Dès lors et en l’absence de contre mesure actives adéquates, toutes concentrations de troupes paraissent inutiles.
La suprématie aérienne d’une des parties contraint l’autre à se tourner vers des approches asymétriques du combat.
Le dragon comme instrument stratégique et politiqueIl est possible ici de dégager deux grands axes. Le premier observé est une stratégie de décapitation des leaders
adverses, qui a été utilisée à plusieurs reprises et qui a donné quelques résultats, ouvrant par exemple la voie à un
basculement des troupes dans le camp ami(3). Ce résultat est toutefois permis par une intégration de la décapitation
à un projet politique clairement énoncé. Une autre décapitation a pu être observée mais elle a été immédiatement
suivie d’une destruction des moyens militaires adverses, ce qui rend difficile son évaluation.
L’autre approche est celle du châtiment, le dragon étant alors employé contre la population civile. L’objectif
ici n’est pas d’ordre militaire, mais politique : envoyer un message aux adversaires (voire aux alliés) quant à la
détermination à accomplir le projet politique et, ainsi, dissuader toute tentative d’entrave. Cependant, une telle
approche peut s’avérer contre-productive et de telles démonstrations de violence risquent de susciter l’animosité
des populations qui, soit feront bloc autour de leur seigneur, soit se montreront réticentes envers leur nouveau
suzerain, ce qui compliquera le règne de ce dernier. Enfin, de tels choix peuvent également susciter l’hostilité de
ses propres troupes et in fine, peut conduire à son éviction. La puissance sans équivalent du dragon ne doit pas
conduire à combattre en dehors de son système de valeurs(4).
Quelles contre-mesures ?Les dragons ne sont pas invulnérables : les balistes de type « Scorpion » peuvent en venir à bout. Si la technologie pour les concevoir semble maîtrisée, il apparaît que, même face à un nombre réduit de dragons, un grand nombre de ses appareils soit nécessaire : il faut créer un effet de masse et de saturation. Leur mise en oeuvre est complexe et il faut du personnel dédié et bien formé pour les employer. À cet égard, les coups au but constatés semblent relever de la chance. Enfin, une organisation de cette défense antiaérienne s’impose ; en effet, la défense de la capitale, doté d’un seul cercle, sans profondeur, s’est avérée incapable de stopper un dragon trop manoeuvrant
qui, une fois la première brèche enfoncée, a pu agir sans entrave. Il faut enfin souligner la modularité et la polyvalence de la baliste Scorpion qui peut en effet être montée sur chariot, rendant ainsi possible un accompagnement des troupes, ce qui leur procure une bulle de protection. On en a vu un exemple, mais à titre expérimental, alors que l’appareil n’avait pas encore été testé(5). Enfin, sa navalisation apparaît largement pertinente, tant en protection anti aérienne, qu’en arme antinavire, secteur où elle s’est montrée d’une efficacité redoutable.
Reste le cas où deux forces disposent d’un dragon, comme il a été observé. Il apparaît ici que la priorité est
d’abattre le, où les dragons adverses en vol afin de s’assurer la supériorité aérienne(6). Bien que nécessitant un approfondissement, ce cas est toutefois très rare.
Le dragon est donc une arme à la puissance incomparable. Il garantit à son détenteur non seulement la victoire,
mais une victoire rapide. Sa possession assure également une certaine forme de prestige, une esthétique de la puissance
qui ne peut être que le fait d’une élite, seule à même de subvenir à son entretien. Mais sa possession est aussi aléatoire
et c’est une arme qui nécessite de longues années de développement, durant lesquelles elle est vulnérable. Aussi puissante
que rare et chère, tout renouvellement en cas de perte est quasi impossible, ce qui doit conduire à une économie
de moyens et à un juste emploi de la ressource.(1) Deux flottes ont été entièrement détruites : celle des Maîtres de la baie des Serfs voulant reprendre Meereen et celle d’Euron Greyjoy.
(2) Lorsque Daenerys part secourir le petit détachement emmené par Jon Snow derrière le Mur.
(3) Cette approche par décapitation, articulé avec un discours politique fort, permet à Daenerys de rallier les Immaculés à sa cause.
(4) Cette stratégie d’inspiration de la terreur n’était certes pas étrangère à la mère des dragons, qui en avait déjà fait usage contre les esclavagistes
d’Essos (exécutés, leurs corps avaient ensuite été exposés aux yeux de tous pour dissuader les éventuels réfractaires ; une
méthode également familière du roi Joffrey et de Ramsay Bolton),
(5) La baliste accompagnait les troupes des Lannister, mais un seul modèle était alors disponible.
(6) Ce fût vraisemblablement le choix effectué durant la bataille de Winterfell : attendre que se dévoile le Roi de la Nuit et son dragon. Un
choix risqué puisque laissant l’effet de surprise à l’adversaire et entravant l’emploi des dragons alliés dans les phases initiales de la bataille.