yann gourhant a écrit:Pour moi, les séries sont inégales. La Corée, j'ai pas trop aimé, mais c'est peut-être les histoires de guerre qui ne me touchent pas, de façon générale?
Voilà ce que je disais à l'occasion de la réédition de Frontline Combat par Akileos (réédition que je vous conseille plus que fortement, malgré les petites remarques que j'émets) :
Jim Lainé a écrit:Ah, j'ai commandé le premier tome, il est arrivé quand je finissais de lire le premier recueil des
Two-Fisted Tales, donc tout s'enchaîne à merveille.
Donc, c'est le règne de Kurtzman, qui traite de différents conflits (les deux guerres mondiales, la guerre de Corée qui arrive dans l'actualité…), soutenu par des dessinateurs de premier ordre (je ne me lasse pas de Jack Davis, pour ma part…). Il livre en général des récits sans concession, avec des personnages accrochés à leurs illusions mais broyées par la machine infernale. Kurtzman dans sa mise en scène confronte le soldat américain au soldat ennemi : c'est moins franc que dans
Two-Fisted Tales, où il ose carrément mettre l'ennemi, civil ou militaire, au centre de la scène, mais c'est déjà une rupture avec des habitudes de l'époque. Ici, l'histoire la plus forte que j'ai lu pour l'instant, c'est "
l'Heure h", qui rappellera un moment fort de
La Canonnière du Yang-Tse. En revanche, Kurtzman n'est pas exempt de fautes de goût. Le récit "
Contact", qu'il dessine lui-même, arbore un ton assez patriotique et chauvin, qui tranche nettement avec le reste du sommaire, et qui affiche une vision assez bas du front de la puissance de feu américaine. L'ironie, s'il y en a une, ne transparaît aucunement. Est-ce la faute de la traduction ? Il faudrait que j'aille vérifier.
À propos de traduction, je trouve le boulot correct, mais sans plus. La version française colle bien trop à la version d'origine, presque mot à mot, occasionnant des lourdeurs, des répétitions, des anglicismes et des impropriétés. Traduire "
canopy" par "
canopée" et non "
verrière" voire "
cockpit" (relevé dans
Two-Fisted Tales), ou "
he wants very badly" par "
il veut de très mauvaise manière" au lieu de "
il insiste lourdement" (relevé ici) relève de la faute de débutant.
Je n'insisterai pas sur le lettrage, propre et net, mais un peu au minimum syndical (ce qui est dommage : les EC Comics avaient un lettrage raide, mais avec une forte personnalité, qui ne transparaît ici aucunement).
Ces deux petits détails (qui, hélas, pour la BD franco-belge, ne sont que ça, des détails : l'édition BD dans notre pays semble volontairement méconnaître l'importance du lettrage) gâchent un peu une édition raisonnée qui a pourtant pour elle toutes les qualités : excellente reliure, très belle couverture, papier agréable, présentation chronologique et intégrale. C'est d'ailleurs la grande force de cette édition, remettre dans le contexte une œuvre qui bénéficie d'une aura exceptionnelle en France, et que l'on peut redécouvrir aujourd'hui avec ses qualités évidentes et ses quelques défauts. De quoi regarder avec un œil neuf une idole, à défaut de la descendre de son piédestal.
Bon, je retourne lire la suite, parce que, malgré les petites pétouilles, je ne m'en lasse pas.
J'aime particulièrement cette approche, quand même : le genre guerre permet de parler de la société (comme tous les genres, me direz-vous…) contemporaine, et frappe les imaginations des gens qui suivent les actualités, c'est clair. Ça devait remuer des choses, à l'époque…
yann gourhant a écrit:Je préfère le genre horreur/terreur, même si les hitoires sont un peu datées. Je pense que cet esprit novateur, à l'époque, tient du cliché, aujourd'hui. Mais j'aime ce charme.
Je ne sais pas trop. La SF, bien goupillée (et toujours un peu datée, c'est évident) permet des choses, des propos, qui en sont toujours d'actualité.
Désolé pour le copier-coller, mais justement, on en parlait un peu, de ça, à propos des récits de guerre, de ce côté "novateur", et je me dis que ça peut intéresser du monde :
Jim Lainé a écrit:Jeje-99 a écrit:Le côté “tout permis”, jouissif et politiquement incorrect que l’on pouvait trouver sur le premier volume est un peu atténué par des récits plus fades et/ou idéalistes mais peut-être plus fédérateurs, ce qui expliquerait de les voir arriver dans la fin de vie du magazine. On imagine aisément que les auteurs n’ont pas laissé libre cours à leur imagination et leurs délires.
Sur ce dernier point, je crois que c'est lié à la conjoncture. Les histoires de ce tome 2 datent grosso modo de 1953 (le dernier numéro américain étant sorti tout début 1954). Et c'est une période où l'on parle beaucoup de censure. Depuis 1948, les gens bien pensants s'acharnent sur les
comic books (les premiers autodafés de
comics datent de cette période). Wertham commence à avoir une popularité certaine et l'écoute qui va avec. Et 1953, c'est aussi l'année de l'ouverture des auditions de la commission Kefauver qui s'intéresse à la délinquence juvénile. Cette commission ne s'intéressera à la BD que l'année suivante, mais je gage que les éditeurs sentent un peu le vent du boulet, déjà.
Stan Lee et Joe Maneely réalisent
"The Raving Maniac", un récit de quatre pages publié dans
Menace #29 d'avril 1953 (ce qui veut dire qu'ils l'ont fait vers fin 1952) fustigeant le comportement dangereux de Wertham et de ses pareils. Donc on peut affirmer que les inquiétudes remontent à loin.
Qui plus est, il me semble que George Evans, dans l'une des préfaces des anthologies de la collection Xanadu, avait raconté que Bill Gaines était effondré par la commission Kefauver bien avant l'édification de la Comics Code Authority (rédigée fin 1954 pour une application début 1955), texte qui allait régimenter et donc édulcorer (pour ne pas dire châtrer) le contenu des
comics à partir de là*. Et Gaines était effondré au point qu'il a décidé d'arrêter plein de titres pour en créer d'autres. D'après Evans, les gars autour de lui pensaient que le contexte s'adoucirait et lui conseillait de ne rien en faire, mais Gaines aurait dit "
ils disent que nos comics font du mal aux enfants, et moi je ne veux pas faire du mal aux enfants". L'arrêt de certains titres aurait donc été décidé par Gaines lui-même dans un élan d'inquiétude.
Cet élan d'inquiétude n'est peut-être pas soudain, c'est peut-être le résultat d'un long stress et d'une observation angoissée du marché depuis des mois voire des années. Il est connu que Gaines souffrait d'insomnies et était sous médicaments (d'où sa prestation faiblarde devant la commission). Donc on peut légitimement imaginer également que ces inquiétudes aient transparu dans le contenu des
comic books publiés en 1953-1954. D'où une certaine édulcoration.
Jim
*Chose ironique, les EC Comics n'étaient certes pas les plus violents ni les plus gores. Dans
Seduction of the Innocent, Wertham en cite un exemple, mais extirpe plein d'exemples, détournés de leur contexte, en provenance de plein d'autres éditeurs. Une partie de l'acharnement contre EC vient également du fait que c'était un repaire de libres penseurs, qui pointaient du doigt le racisme ou les travers d'un patriotisme inepte. Ça flaire davantage le politique qu'autre chose, au final…
Et durant mes recherches diverses, j'en suis arrivé à la conclusion que des
comics conservateurs et des
comics progressistes, on en trouvait chez tous les éditeurs. De là, qu'est-ce qui a valu, notamment en France, qu'EC Comics soit à ce point considéré comme un jalon (ce n'est pas immérité, loin de là, mais c'est un peu injuste pour certains confrères de l'époque) ? Je pense que l'on doit cette vision au fait que les EC Comics ont joui d'éditions en albums très tôt, ce qui leur a permis d'accéder à une visibilité évidente (par le biais d'un certain snobisme pour la chose cartonnée, propre au marché français depuis trente ou quarante ans). Je pense que si les récits de monstres, de SF ou de guerre publiés chez Atlas avaient profité du même format, mettant en avant des gens comme Bill Everett, Joe Maneely, Jerry Robinson, Carmine Infantino, Gene Colan (dessin) ou Hank Chapman (scénario), aujourd'hui on parlerait d'Atlas comme un jalon du récit court dans la BD américaine.
Malgré cela, EC Comics, c'est gigantesque. Et les rééditions d'Akileos doivent être saluées.
yann gourhant a écrit:Pour compléter un peu le côté historique, c'est suite aux controverses autour de cet éditeur que le "Comics Code" est né aux Etats Unis. Après EC, il était interdit de montrer du sang, du sexe, et plein d'autres choses en bande dessinée.
Alors pas tout à fait. Dans
Seduction of the Innocent, Wertham visait plein de gens, pas seulement EC Comics. Les polars de Jack Cole étaient plus précisément visés, par exemple (mais il serait intéressant de retrouver les différentes illustrations et de pointer qui était visé au premier chef, tiens). De même, lors des auditions sénatoriales, de nombreux
comics sont affichés, de tous les horizons, y compris Atlas (l'ancêtre de Marvel).
Non, ce qui a changé la donne, c'est deux choses :
- d'une part, Bill Gaines est le seul éditeur à avoir témoigné auprès de la commission sénatoriale qui s'intéressait à l'impact des
comic books sur la jeunesse (commission Hendrickson, je crois, de mémoire…). Et du coup, il est devenu le seul éditeur identifié, à la fois par la sphère politique et par la sphère journalistique.
- d'autre part, EC Comics a été l'un des rares éditeurs à ne pas ratifier le Comics Code (avec Gilbertson, qui publiait les
Classic Illustraded, caution littéraire évidente, et Dell, éditeur des
comics Disney, donc assez inattaquable). Cela avait pour conséquence que le sceau du Comics Code n'apparaissait pas sur les couvertures, ce qui permettait aux points de vente (kiosques, épiceries de quartier) de les refuser, mais également aux institutions (police, mairie…) de les interdire sur leur territoire.
On imagine sans mal les dégâts que cela peut avoir sur un éditeur.
yann gourhant a écrit:Je crois que le "Code" a tenu jusqu'aux années 90, quand même...
Il a été amendé plusieurs fois (la première fois en 1971), et il a été abandonné à la fin des années 1990 parce que plus personne ne l'appliquait et que c'était devenu une habitude, un réflexe, plus qu'autre chose. Qui plus est, à part Marvel et DC, la plupart des signataires de l'époque avaient cessé toute activité, et les éditeurs des années 1970 et 1980 n'avaient jamais signé le truc et donc n'étaient pas concernés.
Jim