En fait, j'imagine que le retour de Basam Damdu est une manière détournée d'essayer de recréer l'univers de B&M. Un tel anti-héros devait replonger le lecteur dans l'atmosphère des premiers épisodes de la série...
C'est vrai qu'il y a une volonté évidente des différents repreneurs de B & M d'ancrer les nouveaux épisodes dans l'univers de la série jacobsienne. C'est manifeste dans L'affaire Francis Blake et, à un degré moindre, dans La Machination Voronov, c'est à dire la première reprise de chaque nouveau scénariste, qui reprennent nombres d'éléments de La Marque Jaune, référence privilégiée en la matière : le Centaur Club, l'appartement de Park Lane... On ne compte plus non plus les références plus ou moins explicites à telle ou telle des huit premières aventures, souvent La Marque Jaune là encore. Des personnages sont réutilisés : Basam-Damdu et les Jaunes dans L'Etrange Rendez-Vous, le Pr Labrousse et Nasir dans Les Sarcophages du Sixième Continent.
A ce propos, L'Etrange Rendez-Vous peut, à certains égards, être considéré comme un réarrangement d'éléments tirés des albums de Jacobs. A ce titre, il fait bien (peut-être trop, mais Jacobs lui-même s'était répété) partie de la saga. En tout cas, il n'a effectivement ni le rythme de L'Affaire Francis Blake, ni la densité de La Machination Voronov, ni l'apport d'éléments nouveaux des Sarcophages.
Peut-être pour conforter cet ancrage, les auteurs n'hésitent pas à renforcer ce qui avait été donné par Jacobs. Ainsi Mortimer n'a jamais été autant physicien nucléaire que dans L'affaire Francis Blake et La Machination Voronov, où on le voit même travailler (mais oui, mais oui) au CSIR. Blake, qui, chez Jacobs, enquête seul, sans chef et sans subordonnés, se retrouve dans L'Affaire Francis Blake (il est vrai que le sujet l'impose) entouré de toute la structure du contre-espionnage britannique : chefs, ministres, adjoints, agents, collègues..., qui sera réutilisé dans La Machination Voronov.
La forme jacobsienne est donc respectée, mais c'est le minimum que les auteurs devaient faire. Sur le fond, si les thèmes restent les mêmes : tentatives d'attaques, souvent de l'intérieur, contre le monde occidental, le traitement en est moins manichéen que chez Jacobs (même si le manichéisme de ce dernier n'était pas aussi absolu qu'on l'a dit). Années 2000 obligent, trop de simplisme serait inadmissible et les préoccupations écologiques ou politiquement correctes de notre temps transpirent partout. C'est ainsi que les "extra-temporels" de L'Etrange Rendez-Vous ou Açoka ne sont pas totalement mauvais, leurs motivations étant compréhensibles, sinon excusables. Plus révélateur peut-être, l'image de l'URSS dans La Machination Voronov, si on la compare à celle qui transparaît dans SOS Météores, beaucoup plus monolithique. Maintenant, on insiste sur la déstalinisation et les méchants sont minoritaires dans leur propre camp. Symétriquement, les Etats-unis, dont on sait que Jacobs n'appréciait pas le modèle culturel qu'ils répandaient dans le monde, si on se méfie encore de leur impulsivité dans La Machination Voronov (on attend pour leur faire part de la dite machination, de peur qu'ils ne déclenchent une guerre surle champ), ne sont pas présentés sous un jour spécialement négatif dans L'Etrange Rendez-Vous.
Le dernier opus, Les Sarcophages, apporte du nouveau dans la série : les deux héros sont maintenant dotés d'une histoire (qui s'appuie, il est vrai, sur les éléments donnés par Jacobs dans Un Opéra de Papier) et d'une profondeur psychologique, alors qu'ils n'avaient jusqu'à présent qu'un caractère figé et n'étaient mus que par quelques principes moraux et patriotiques simples. Dans le même ordre d'idées, on sait que l'absence de femmes chez Jacobs n'était due qu'au souci d'éviter des difficultés avec la censure. De nos jours, ces contraintes sont loin de nous et plusieurs personnages féminins ont été introduits. Si ceux de Van Hamme (Virginia Campbell, Jessie Wingo) sont encore des soldats, les femmes des scénarios de Sente (Nastasia Wardynska, Olga Pouskachoï, Gita) apportent une dimension de sensibilité et d'émotion qui manquait chez Jacobs. Un seul exemple : dans La Machination Voronov, la scène du magasin de jouets (Le Monde de l'Enfance) où Mortimer apprend par son seul regard à Olga Pouskachoï que son ami Sergueï a disparu, contient plus d'émotion que l'oeuvre de Jacobs toute entière.
Il semble donc que les auteurs, après s'être efforcés d'acquérir une légitimité vis à vis de l'oeuvre de Jacobs, commencent à s'émanciper et à injecter des préoccupations plus modernes dans les derniers épisodes. Souhaitons que ce soit effectivement un nouveau départ pour la série.
Rien à ajouter à cette analyse... :priere: