Si les collaborations entre Jeph Loeb et Tim Sale ont su prouver l’efficacité de ce duo, c’est indéniablement avec “Batman - Un Long Halloween” (qui est une des meilleures aventures du Chevalier Masqué) qu’ils graveront leur noms dans l’histoire de Batman et des comics en général.
“The Long Halloween” est initialement paru entre 1996 et 1997 en 13 fascicules en VO chez DC Comics. Cette saga avait la particularité de paraître mensuellement, avec une progression de l'histoire proche du temps réel.
Ce feuilleton en treize chapitres mensuels commençant et finissant à Halloween (d’où le titre de cette saga), fut ensuite repris en 4 volumes en VF chez Semic. Ces 4 volumes n’étant plus vraiment disponibles, et une version intégrale se faisant désirée depuis trop longtemps, mieux vaut profiter de la faiblesse du dollar pour s’approprier cette magnifique intégrale de 370 pages en VO à un prix raisonnable. De plus, la lecture en VO vous permettra de profiter pleinement de l’accent irlandais de Mickey “The Mink” Sullivan et de sa bande.
C’est grâce à Archie Goodwin, initiateur du projet et éditeur respecté du milieu comics, et avec la bénédiction de Frank Miller, que Jeph Loeb et Tim Sale s’attaquèrent à cette ‘suite’ de «Batman - Année 1», retraçant le passage de relais entre la mafia de Gotham et les criminels costumés, qui n’étaient pas encore pris au sérieux, mais qui vont finalement prendre les affaires criminelles en main lors de cette terrible année qu’Archie nomma «Long Halloween».
L’histoire commence donc là où Miller l’a abandonnée à la fin de «Batman - Année 1» : Batman débute sa carrière, James Gordon n’est pas encore commissaire, Harvey Dent n’a qu’un visage et Gotham City est contrôlée par de grandes familles mafieuses intouchables (les Falcone, les Maroni, les Sullivan).
Tout débute un soir d’Halloween, sous forme d’hommage au film «Le Parrain», avec le meurtre d’un des membres de la famille Falcone. Ce meurtre n’est que le premier d’une longue série et lancera tout Gotham à la poursuite d’un mystérieux meurtrier qui se fait appeler Holiday, car chacun de ses assassinats correspondent à un jour de fête (Halloween, Thanksgiving, Noël, Nouvel An, St-Valentin, 1er Avril, Fête des mères, Fête des pères, Independence Day, etc.).
Une parution par mois, un jour de fête par mois, un meurtre par mois : cette enquête policière en temps réel tiendra les lecteurs américain en halène pendant un an et modifiera à jamais le quotidien déjà peu attrayant de Gotham City.
Sous forme de polar noir et sur fond mafieux, Jeph Loeb va parsemer son récit de nombreuses pistes, incitant le lecteur à trouver l’identité de ce meurtrier en série avant que Batman n’y parvienne. En construisant son histoire autour d’une enquête policière qui va déchirer Gotham City, Jeph Loeb place intelligemment notre détective masqué dans son élément naturel.
Même si la majorité du récit gravité autour des familles mafieuses et du Romain, cela n’empêche pas Jeph Loeb d’intégrer, un à un, les protagonistes costumés les plus connus de l’univers de l’homme chauve-souris. On a premièrement ceux introduits par Miller dans «Batman - Année 1» (Catwoman et Harvey Dent, alias Pile-ou-Face) et ceux déjà traités par Loeb dans «Batman - Halloween» (l'Epouvantail, le Chapelier Fou, le Joker, Poison Ivy et le Pingouin), mais également l'Homme Calendrier, Solomon Grundy et le Sphinx (The Riddler).
La vraie force de Loeb est d’être parvenu à intégrer tous ces personnages de manière crédible à son récit, tout en développant habilement les liens entre les différents protagonistes. Du Joker mort de jalousie des crimes de Holiday à l’Homme Calendrier copiant Hannibal Lecter, chaque apparition est soignée et contribue à la force du récit. Le climax étant obtenu lors de l’apparition simultanée de Catwoman, Batman, Pile-ou-Face, l'Epouvantail, le Chapelier Fou, le Joker, Poison Ivy et du Pingouin dans une des pièces de la maison du Romain.
L’évolution de l’amitié entre Batman, James Gordon et Harvey Dent au fil des meurtres est également intéressante à suivre dans ce climat où tout le monde finit par suspecter l’autre d’être Holiday. Alors que les émotions de Batman se limitent souvent à la perte de ses parents, la mise à l’épreuve de cette amitié va nous montrer un autre côté sensible du Chevalier Masqué.
Et comme si cela ne suffisait pas encore, cette histoire narrée par Batman en personne, va également revisiter les origines du personnage de Pile-ou-Face, nous divulguant les origines de sa pièce de monnaie et de son visage mutilé. Le fait de découvrir l’homme qu’était Pile-ou-Face avant son accident va changer la vision qu’on a de ce personnage maléfique.
Et que dire du dessin de Tim Sale qui revoit ici la majorité des personnages de la série d’un style qui balance à la perfection le réalisme et le côté caricatural des protagonistes. D’une Poison Ivy enchanteresse à une Catwoman à la silhouette insaisissable, en passant par un Joker dès plus charismatique, Tim Sale a su leur donner le caractère nécessaire et une touche personnelle réussie.
L’univers sombre et corrompu de Gotham ressort à merveille du graphisme et la silhouette de Batman se fond dans l’ombre de ce décor, enveloppant le lecteur dans cette cape qui semble flotter au gré du vent au-dessus des pages de ce chef-d’œuvre. En plus, Tim Sale et Gregory Wright (à la colorisation) nous servent quelques gros-plans et doubles pages, qui ne viennent pas juste exploser la rétine du lecteur de manière gratuite, mais viennent porter l’attention sur des détails intéressants du récit, rendant le tout encore plus unique.
Bref, vous l’aurez compris, cet album qui a servi de source d’inspiration à la création du film «Batman Begins» et qu’il vaut mieux lire avant d’attaquer les quatre tomes de “Batman - Dark Victory”, s’avère être une lecture indispensable.